Depuis 30 ans, l’extrême droite radicale prend le prétexte de la mort de l’un des leurs pour parader dans les rues de Paris. Avec la date anniversaire, la mobilisation risque d’être plus importante cette année en dépit de son interdiction… Voici un rappel des faits et des manifestations du 9 mai du début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, sans oublier les mobilisations antifascistes qui s’y sont opposées, dont celle du 11 mai, avec un village antifa place du Panthéon de 14h à 18h.

Le 7 mai 1994, pour protester contre le cinquantième anniversaire du débarquement américain en Normandie, le GUD et les Jeunesses nationalistes Révolutionnaires (JNR) de Serge « Batskin » Ayoub appellent à une manifestation place Denfert-Rochereau à Paris, la fin de la présence nazie en France et en Europe signifiant pour eux le début de la « véritable occupation » (sic) ; des militants de l’Œuvre française mais aussi du Front national de la Jeunesse (structure jeune du Front national) sont également présents.

9mai1994
Manifestation du 9 mai 1994, regroupant le GUD et d’autres groupuscules nationalistes, dont les JNR d’Ayoub.

La manif n’est pas autorisée, mais les nationalistes se rendent néanmoins sur le lieu prévu : des affrontements ont lieu avec la police, obligeant les manifestants à quitter la place. L’un d’eux, Sébastien Deyzieu, militant à l’Œuvre Française, se réfugie dans un immeuble rue des Chartreux (situé à plus de 800 mètres du lieu de la manifestation) et trouve la mort dans des conditions inexpliquées, en tombant du toit de l’immeuble. Hospitalisé, il meurt deux jours plus tard, le 9 mai.
Un Comité du 9 mai (C9M) qui regroupe le GUD, l’œuvre française et les JNR est aussitôt créé : il organise l’année de sa création une manifestation pour demander la démission du ministre de l’intérieur de l’époque, Charles Pasqua et des occupations, dont celle des studios de Fun Radio, pendant une émission en direct de grande écoute. Surtout, chaque année suivante, une marche aux flambeaux est organisée le 9 mai par le C9M avec surtout le GUD à la manœuvre (Serge Ayoub et son mouvement disparaissent de la circulation en 1995), mais la date rassemble des militants de toutes les chapelles de l’extrême droite radicale, ainsi que des militants du FNJ mais aussi, après la scission, du MNJ (les jeunes avec Mégret).

Fachos hors de nos rues !

Au milieu des années 2000, les Identitaires s’invitent dans l’organisation. Cependant, si en 2006 la manifestation est bien déposée en préfecture par une responsable du Bloc Identitaire francilien, la soirée est également assurée par le Renouveau français, un groupuscule national-catholique. En 2007, le C9M, afin de gonfler les rangs de plus en plus clairsemés avec les années, associe l’hommage à Deyzieu à celle de Julien Quemener, un ultra du PSG tué en décembre 2006 lors du match PSG/Tel-Aviv, espérant ainsi recevoir le renfort d’une partie des « durs » de la tribune Boulogne.

Affiche du 9 mai 2003

Il faut dire que depuis 2003 (et ce sera le cas jusqu’en 2010), les antifascistes du Scalp-Reflex, de la CNT et d’autres organisations libertaires ou trotskistes se sont organisés collectivement pour opposer une contre-manifestation à la marche nationaliste : malgré la répression et un terrain plutôt hostile, la stratégie a été payante car elle a permis qu’en 2008 la manifestation du C9M soit interdite en raison du trop grand risque d’affrontement…

Le retour de Batskin

En 2009, à nouveau, les militants fascistes n’ont pas pu occuper la rue le 9 mai au soir, alors que les antifascistes étaient bien présents, organisant même un concert et un meeting les jours précédents. De leur côté, les militants d’extrême droite se sont contentés d’une messe à Saint-Nicolas du Chardonnet ! Si le Renouveau français (qui s’est occupé de cette partie religieuse) et l’Œuvre française sont bien présents, la célébration était sous la direction de Serge Ayoub, qui signait là son come-back dans le milieu nationaliste, en proposant un concert dans la soirée, qui a regroupé plus de 500 militants néonazis dans une salle paroissiale, en toute impunité.
Un concert et une messe c’est bien, mais une manif, c’est mieux. En 2010, l’Action Française, l’Œuvre Française, le Renouveau Français, le GUD et les JNR d’Ayoub vont défiler ensemble pour la « résistance nationale au mondialisme », le tout autour de la figure de… Jeanne d’Arc.

En effet, l’Action française se rassemble historiquement le deuxième dimanche de mai ((c’est Maurice Barrès, proche de l’Action française, qui, en 1920, va instituer à cette date la « fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme », qui est toujours aujourd’hui une fête officielle en France.)) pour rendre hommage à la Pucelle d’Orléans. Ayoub comprend vite qu’il est plus malin de défiler à plusieurs centaines en pleine journée un dimanche du côté des Tuileries, qu’à quelques dizaines un soir de semaine dans le Quartier latin. Certes, il n’y a plus de manifestation spécifique pour Deyzieu (un gerbe de fleurs est quand même déposée le soir rue des Chartreux), mais le C9M regroupe quand même une centaine de personnes derrière une banderole « Sébastien présent ».
C’est le même scénario qui se répète les trois années suivantes, et à chaque fois l’hommage au jeune militant de l’Œuvre française mort il y a presque 20 ans s’estompe : comme le disait le site antifasciste REFLEXes à l’époque, « loin Deyzieu, loin du cœur » ! Il y a bien toujours un cortège du C9M, mais il ne regroupe plus qu’une poignée de sans-amis, tandis que le GUD, les JNR, le Renouveau français et tous les autres groupuscules défilent chacun sous leurs propres couleurs.

Pire, l’unité de façade finit fatalement par se fissurer : en 2012, l’Action française, dont c’est la date historique rappelons-le, commence à trouver qu’Ayoub et ses encombrants amis prennent beaucoup de place, au propre comme au figuré ; de même le Renouveau français commence à comprendre qu’il s’est fait instrumentaliser au profit des JNR qui tirent la couverture, et décide de reprendre son autonomie. En 2013, c’est au tour de l’Œuvre française et de ses Jeunesses nationalistes de se fâcher avec les JNR de « Batskin » : c’est également la dernière fois que ces trois formations défilent dans les rues de Paris, pour cause de dissolution prononcée quelques mois plus tard à la suite de la mort de notre camarade Clément Méric, tué par des militants de Troisième Voie, le mouvement politique d’Ayoub. Le GUD, qui avait défilé l’année précédente malgré là encore des tensions avec Ayoub, brille cette fois par son absence.

Retour aux sources

En 2014, pour les 20 ans de la mort de Deyzieu, on aurait pu s’attendre à un effort : mais une fois de plus, c’est le service minimum, avec une courte marche aux flambeaux et un concert du groupe de RAC Lemovice, cette fois chez Logan Djian (les deux années précédentes, c’est aux Caves Saint-Sabin, à deux pas de la place de la Bastille, qu’avaient eu lieu les concerts qui clôturaient la journée). Djian, un ancien du Kop de Boulogne qui fut un temps proche de l’Œuvre française avant de prendre la direction d’une énième reformation du GUD, a en effet ouvert un bar nationaliste, le Crabe-Tambour, dans la foulée de la fermeture administrative pour cause de dissolution de celui de Serge Ayoub, le Local, et à quelques centaines de mètres de ce dernier.
Si la « facho pride » des années 2010-2013 avait quelque peu éclipsé la mémoire de Deyzieu, la reprise en main par le GUD vient la rappeler. Cette tendance se confirme en 2015, avec un appel à manifester sur le trajet originel.

Les militants de l’Œuvre française appellent eux aussi à rejoindre l’initiative après la tenue de leur "Forum de l’Europe » qui rassemblent des néofascistes de toute l’Europe, organisés au sein de l’Alliance for Peace and Freedom (APF). Résultat, environ 150 personnes se regroupent à 20h30 à Port-Royal : on note la présence dans les rangs de Steven Bissuel, responsable du GUD Lyon.
L’année suivante, en 2016, c’est ce même Bissuel qui anime le cortège : Logan Djian est en effet interdit de séjour à Paris depuis son agression d’Edouard Klein et en attente de procès. Peu voire pas d’anciens, la moyenne d’âge des 80 participants est très basse, toutes et tous militant·es ou sympathisant·es des GUD de Lyon et de Paris : la date ne fait visiblement plus recette, et le GUD fait la démonstration que le sectarisme de ses leaders l’empêche de rassembler même autour d’un événement jusque-là consensuel.

1km à pied, ça use, ça use…

En 2017 et en 2018, on prend les mêmes et on recommence : le GUD ressort la même banderole, et Bissuel est toujours là pour assurer l’animation. Rappelons qu’alors, le GUD n’est plus, remplacé par le Bastion social qui n’a pas d’antenne à Paris : l’hommage à Deyzieu perd sa dernière étiquette militante, et désormais seul le Comité du 9 mai apparait publiquement dans le cortège, mais pour le reste, rien ne change vraiment.

C’est pas la foule… (manif du 9 mai 2018).

En 2019, c’est à moins de 15 jours de la date qu’est officiellement décidé la dissolution du Bastion social en conseil des ministres le 24 avril. Cela n’empêche pas les militants de ses différentes antennes de se mobiliser pour le 9 mai : l’animation est assurée par les Zouaves Paris, dont plusieurs membres étaient passés quelques mois auparavant, en janvier, pour des violences commises pendant la mobilisation des Gilets jaunes. Apparus en 2017, alors que le GUD Paris décline avant de disparaitre, les Zouaves fédèrent des ultras venus du stade, quelques militants de l’Action française et d’autres nationalistes sans mouvement, tous unis dans un goût immodéré pour la violence. Leur chef, Marc « Hassin » de Cacqueray-Valmenier, est lui-même issu de l’AF, et devient brièvement le chef du GUD à la suite de Logan, avant de prendre la tête des Zouaves.
Les années suivantes, la date tombe en plein confinement : impossible d’organiser un événement public, mais une poignée de militants bravent l’interdiction pour déployer une banderole et brailler quelques chants nationalistes.

Hommage rue des Chartreux en 2020.

De son côté, le groupe de rock identitaire Francs-Tireurs Patriotes diffuse un concert acoustique en hommage à Deyzieu, le soir même à 20h.
Début 2022, un compte Instagram et un compte Telegram au nom du C9M sont ouverts. Le visuel diffusé, décrit au début de cet article, ne comporte aucune mention de Sébastien Deyzieu, ni même ne précise l’objet de la manif : on voit bien que la date est devenue un simple prétexte pour se rassembler et parader dans les rues.

En 2022, Sébastien… Absent !

Derrière le comité du 9 mai qui organise toujours officiellement l’événement, des Zouaves Paris, et pour la communication le groupe de l’ouest parisien Luminis. Si ce sont des groupes constitués récemment qui prennent en chargent le 9 mai, il y a toutes les raisons de penser que c’est avec la bénédiction des anciennes générations, en particulier celles du GUD.
L’année dernière, en 2023, on prend les mêmes et on recommence : un cortège d’environ 300 personnes défile sur quelques centaines de mètres.

Streetpress évoque des violences en marge du cortège, en particulier l’agression menée par les jeunes fachos de la Division Martel contre un homme qui les filmait, agression revendiquée par la DM sur leur compte Instagram, et dont la vidéo est diffusée par Médiapart. Cette publicité ne plaît pas au chef des Zouaves, Marc de Cacqueray-Valmenier, qui craint une interdiction pour les prochaines éditions. L’ensemble de la presse semble alors découvrir l’événement et des images de la manif tournent en boucle, alors que les années précédentes déjà, des personnes avaient été agressées dans le quartier aux abords de la manif. Les politiques ne sont pas en reste : le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin demande aux préfets d’interdire toute manifestation de « l’ultradroite » et la première ministre Elisabeth Borne qualifie devant les députés cette manif d’« inacceptable ».

Et cette année ?

En 2024, l’année du trentième anniversaire, des figures historiques du GUD ont annoncé leur venue (c’est le cas d’Axel Loustau ou Frédéric Chatillon, qui étaient déjà venus passer une tête lors de certaines éditions) et la mobilisation, prévue le samedi 11 mai, s’annonçait plus importante que les années précédentes, plusieurs groupuscules nationalistes ayant prévu de faire le déplacement, comme par exemple Lyon populaire.

Affiche de 2024


Côté antifasciste, une initiative originale : au lieu de la traditionnelle contre-manif, un village antifasciste, avec plusieurs table ronde sur des thématiques variées (anticolonialisme, dénonciation de la politique autoritaire de l’État, féminisme et lutte contre la transphobie) est organisé de façon unitaire par de nombreuses organisations syndicales, libertaires, antifascistes ou antiracistes.

Si la préfecture a annoncé l’interdiction du rassemblement des néofascistes, la mobilisation reste entière côté antifasciste.
À nous de rappeler à l’extrême droite, le 9 mai comme les autres jours de l’année, que la rue ne leur appartient pas !

La Horde