Le FN les espère à la rue, et eux s’imaginent dans la rue : les Patriotes de Florian Philippot pensent profiter de la « Grande marche pour l’Europe » lancée par Macron le 24 mars prochain pour faire parler d’eux en organisant une « marche pour la France », prévue à Paris entre République et Nation. Pari osé (quand on sait que le FN, lui, n’ose plus aller dans la rue depuis maintenant trois ans) surtout pour une formation qui part pour ainsi dire de zéro, et qui peine pour le moment à trouver sa place dans la petite galaxie « souverainiste ».

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Il y a deux jours, la direction des « Patriotes » envoyait à ses adhérents une lettre afin d’une part de fustiger la campagne de La République en Marche pour faire la promotion de l’Europe de Bruxelles le 24 mars prochain, et d’autre part pour leur annoncer que « Florian Philippot prend les devants en organisant le même jour "Une marche pour la France"  ». Le trajet prévu de cette « marche symbolique » est celui des traditionnelles manifs syndicales : entre la place de la Nation et la place de la République ! Il fallait oser…

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La lettre reçue par les adhérents annonçant la "manif".

Une manif aux petits pieds

Cela dit, les Patriotes n’annoncent pas à proprement parler une manifestation, et il y a de grandes chances que l’initiative se limite plutôt à une déambulation, puisqu’ils espèrent « s’arrêter à la terrasse de cafés pour échanger. Car l’objectif au delà de notre nombre [sic], sera de convaincre, de faire germer des questions dans les têtes que nous rencontrerons . » Conscient de ne pas être en mesure de mettre des milliers de gens dans la rue, le mouvement de Philippot joue gros en terme d’image, car le FN ne ratera pas une nouvelle occasion de railler la taille plus que modeste de la nouvelle formation nationaliste, et il faut reconnaître à Philippot un certain culot. D’autant que le FN, voyant chaque année ses troupes fondre comme neige au soleil lors de sa seule manifestation de rue le Premier Mai, n’ose plus aller dans la rue depuis 2016 : il avait à l’époque pris comme prétexte de vagues menaces de Daesh pour ne plus organiser de défilé, au profit des seuls meetings, où il est plus facile de contrôler la parole des militants à la presse, et de maquiller le faible nombre de personnes présentes.

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Dernier défilé du FN en 2016 : les vieux (Jean-Marie Le Pen à gauche, Bruno Gollnisch à droite) avaient été un peu ingérables ce jour-là… De quoi être dégoûtée de leur avoir fait prendre l’air !

Un forain pour pas foirer ?

À moins que les Patriotes ne comptent, pour gonfler leurs rangs, sur leur ami Marcel Campion, l’autoproclamé « roi des forains » : durant les mobilisations contre la « loi Travail » [1], ce dernier avait en effet permis à son ami Philippot de participer au cortège en le cachant dans un camion (authentique).

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Campion a également permis aux Patriotes d’avoir rapidement un local, en leur louant à prix d’ami un appartement à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis (ce qui est assez amusant dans la mesure où le 93 est l’un des rares départements où les Patriotes ne comptent aucun référent), dans un bâtiment lui appartenant, ce qui a passablement énervé des riverains, dont certainEs ce sont mobiliséEs contre cette implantation d’une formation d’extrême droite dans un haut lieu de la culture manouche, qui, comme l’avait alors déclaré au Figaro le président de l’Union syndicale du marché aux puces, Majdi Jeljeli, représente " le brassage de l’immigration, c’est le monde entier qui est réuni là. Ce quartier est donc en contradiction totale avec les idées de Florian Philippot ". Une manifestation antifasciste, rassemblant environ 200 personnes, s’est ainsi tenue sous les fenêtres du local des Patriotes le 20 décembre 2017.

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Manifestation antifasciste devant le local des Patriotes.

Des "patriotes" menacés par des "patriotes"

À ce propos, les antifascistes parisienNEs vont-ils/elles se mobiliser face à cette nouvelle provocation des Patriotes ? Et là encore, Philippot et ses maigres troupes espèrent-ils compter avec Campion pour assurer leur sécurité sur le parcours ? Quoiqu’il en soit, surtout si, comme les dernières mesures antisociales du gouvernement peuvent le laisser espérer, un nouveau mouvement social prend forme, on pourra toujours compter sur la maréchaussée pour protéger le cortège nationaliste… D’ailleurs, ce n’est pas tant, pour l’instant, du côté des antifascistes que la pression est venue : Florian Philippot (qui bénéficie depuis d’une protection policière) a en effet porté plainte au mois de janvier pour des menaces de mort contre sa personne, dont, selon ses propres dires, " le vocabulaire laisse penser que ça vient de cercles d’extrême droite ". Le gag, c’est qu’en novembre, ce sont des militants frontistes qui, captures d’écran à l’appui, avaient prétendu avoir été menacés par Philippot et ses amis : l’un d’entre eux, qui avait rejoint les Patriotes tout en restant au FN, Baptiste Ledoux, dit avoir reçu des menaces de Philippot, et mêmes des menaces de mort de Julien Acard, conseiller municipal de Besançon et passé aux Patriotes…

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Info ou intox ? Philippot crie à la fake news, Baudoux à la menace physique… Qui croire ?

Ces "faux grossiers" (Philippot envisagerait de porter plainte) ont évidemment ont été largement partagés sur les réseaux sociaux par des militants FN. C’est un peu l’arroseur arrosé : Philippot lui-même n’avait pas hésité, pendant la campagne présidentielle, à diffuser de faux messages dans lesquels des militants d’En Marche auraient dit vouloir "tuer" Marine Le Pen.

Quel avenir pour les Patriotes ?

Pour mémoire, Florian Philippot a quitté le Front National le 21 septembre dernier, et a définitivement transformé son association « Les Patriotes » en formation politique lors du congrès fondateur de ce nouveau parti le 18 février dernier : dans l’intervalle, l’ex-numéro 2 du FN a eu bien du mal à rassembler autour de lui. Cela dit, contrairement à Marine Le Pen, Philippot peut quand même compter sur sa famille : son frère Damien, pourtant assistant parlementaire de Marine Le Pen, l’a finalement rejoint après avoir un peu hésité, et son père Daniel dès les premières heures, entraînant avec lui le collectif Racine désormais affilié aux Patriotes. Il a pu aussi compter sur ses proches : Sophie Montel évidemment, mais aussi Kelly Betesh (dont nous avons déjà parlé iciici ou ) et connue pour avoir lancé le pseudo "couscousgate" ou encore la section de Forbach où il s’est implanté un temps.

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Aujourd’hui avec Philippot, hier avec Marine… Mais toujours au premier rang ! Sacrée Kelly Popy.

Enfin, quelques rares élus l’ont quand même suivi : Gérard Marchand, le maire de la ville de Brachay présentée comme le "berceau du marinisme" (depuis 2012, Marine Le Pen y faisait sa rentrée politique, voyant dans ce petit village de Haute-Marne un symbole de la « France des oubliés »), le député José Evrard… Mais on ne peut pas dire que ce soit la foule autour de Florian Philippot.

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Gérard Marchand et Evrard

La loi des séries appliquée aux "félons" ?

Pour enfoncer le clou du cercueil des Patriotes, nombreux sont les observateurs et "spécialistes" de l’extrême droite à faire la comparaison avec les scissions frontistes précédentes (Bruno Mégret en 1999, Carl Lang en 2008), pour démontrer qu’elles se sont toujours soldées par des échecs pour ceux qui ont quitté le FN. Mais il existe deux différences majeures avec les scissions précédentes, qui font que, même si elle ne démarre pas dans les meilleures conditions, la formation de Philippot pourrait bien tirer son épingle du jeu.

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Les anciens numéros 2 du FN : Bruno Mégret, Carl Lang, Bruno Gollnisch et Florian Philippot.

La première, c’est que le FN était resté le FN après le départ des « félons » ; or cette fois, le Front annonce pour son congrès du week-end prochain une « refondation » complète, et envisage même un changement de nom. Ainsi, il se dit que le mouvement de Marine Le Pen pourrait s’appeler « les Nationaux » (selon une "trouvaille" de Gilbert Collard), ce qui peinerait à le distinguer des « Patriotes », les deux mots étants pour ainsi dire synonymes. En tout cas, ce serait faire une croix sur le poids historique du FN qui reste pour beaucoup le centre de gravité de l’extrême droite : pourquoi des électrices et des électeurs déboussoléEs et orphelinEs de leur parti de toujours choisiraient "les Nationaux" plutôt que "les Patriotes" ? Quant à la "refondation" tant annoncée, si on ne sait pas encore de quoi elle retourne exactement, sa capacité à troubler l’image du FN dépendra de sa capacité à inclure ou non la tendance "historique" du FN, autrement dit à s’émanciper de l’extrême droite traditionnelle dont le FN est issu.

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Jean-Marie dans une posture conquérante en 2002, Marine ridicule en 2017.

La seconde, c’est que, au moment de la scission et après, l’image de Jean-Marie Le Pen comme leader "naturel" du parti n’était pas entamée, comme le montre sa présence au second tour de l’élection présidentielle de 2002 : bien que vieillissant, il restait une figure respectée et incontestée. Celles et ceux qui étaient partis se seraient bien gardés de le singer méchamment en l’imitant comme l’a fait Sophie Montel avec Marine Le Pen lors du congrès fondateur des Patriotes.
C’est que le débat de l’entre-deux tours est passé par là, et le moins que l’on puisse dire c’est que l’avenir de Marine Le Pen à la tête du parti n’est pas assuré sur le long (et même le moyen) terme, d’autant que le retour de sa nièce sur la scène politique n’est pas là pour la rassurer…
La Horde