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En ce jour de rentrée des vacances de Noël, nous vous proposons de lire l’interview de Jean-Michel Barreau, professeur à l’université de Lorraine, auteur entre autres de L’extrême droitel’école et la République aux éditions Syllepses, et qui prépare un nouvel ouvrage sur le Front National dans ses rapports avec l’école de la République. Cette interview, dont voici un extrait, a été initialement publiée sur le blog profencampagne (vous pouvez la retrouver en intégralité ici)  :
Comment analysez-vous le programme du FN pour l’école ? Le retour vers un âge d’or mythique semble être l’essence de ce programme. Quels en sont les ressorts idéologiques ?

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Le FN est un imprécateur implacable de l’école de la République. Il l’a toujours été, avec une extrême virulence : Jean-Marie le Pen dans les années 70, Marine le Pen aujourd’hui. Aucun anathème n’a été épargné sur plus d’une trentaine d’années : décadence générale totale, pensée gauchiste dominante, illettrisme abyssal des écoliers, laxisme écœurant des professeurs, baisse tragique du niveau scolaire, sauvagerie insupportable des élèves, méthodes pédagogiques aberrantes, climat de pornographie et de pédophilie latent ou patent etc. Le tout, avec de sévères accusations sur le « voyou maghrébin » et les « immigrés qui font baisser le niveau scolaire ». Jean-Claude Martinez ou Bruno Mégret se chargeaient de ces anathèmes dans La lettre de Jean-Marie Le Pen et dans Français d’abord ! Valérie Laupiès ou Bertrand Dutheil de La Rochère ont pris aujourd’hui le relais sur le site internet officiel de Marine Le Pen. C’est une France scolaire de type « Orange mécanique » dont ont inlassablement parlé les idéologues du FN. Avec un ton guerrier qui en a toujours dit long sur leur volonté d’en découdre avec une école qu’ils ont constamment détestée.
Le programme de ce parti politique va très logiquement dans le sens de ce combat. Sélection à l’école, abolition du collège unique, suppression de la carte scolaire, révision des programmes dans un sens plus « national », mise en place d’une pédagogie « traditionnelle » et autoritaire, « protection » des établissements scolaires de l’immigration seront au rendez-vous de ce projet. C’est-à-dire un démantèlement radical de l’école de la Cinquième république
Afin de mieux légitimer ses prises de position, le FN fait vibrer intensément la corde du « c’était mieux avant ! ». Pour cela, il fait référence à une école de type Troisième République où maître sévères, élèves disciplinés et justice scolaire auraient été la règle fondamentale. C’est une version de l’histoire républicaine totalement erronée car si Jules Ferry incarnait bien la République, son école n’incarnait absolument pas l’égalité républicaine. L’école primaire gratuite était « l’école du peuple » et l’école secondaire payante était celle des « notables ». L’enseignement secondaire féminin de Camille Sée n’était pas allé jusqu’à créer un baccalauréat pour les filles. Cela n’est pas du tout faire injure à cette école de la 3ème République que de constater ses inégalités car elle les a corrigées par la gratuité du secondaire dans les années 30 et la création du baccalauréat féminin en 1924, par exemple. La Cinquième République a continué de démocratiser cette école républicaine. Tout cela sous les huées de l’extrême-droite de l’époque qui criaient au « communisme » et à « l’égalitarisme ».
Dans les années 1990, le FN avait tenté, sans succès, l’infiltration des corps intermédiaires en créant des syndicats. Comment analysez-vous l’émergence des collectifs tels que Marianne, Audace, Racine, avec en leur sein, pour certains, des cadres de l’Éducation nationale ?

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La fine équipe du Collectif Racine

Ces collectifs qui s’adressent aux enseignants, aux étudiants, à la jeunesse et aux actifs « patriotes » sont des stratégies d’ouverture auprès de publics qui restaient encore fermés au FN. Ce sont des manœuvres que l’on pourrait qualifier de dé-ringardisation de ce parti politique. Car le FN du papa, avec son bandeau noir sur l’œil, son rictus haineux, son racisme récurrent et ses saillies négationnistes, ne passait pas auprès de ces publics. Le FN de la fille, avec le visage lisse de ses jeunes militants, la figure angélique de Marion, ses cadres costumés et cravatés et son discours politiquement correct passera sans doute mieux.
Ces néo-frontistes, qui viennent parfois de la gauche Chevènementiste, ont la foi des néo-convertis persuadés de faire du neuf. Le Collectif Racine qui s’est réuni le 12 octobre 2013 à Paris en conférence de presse sous l’égide du Rassemblement de Marine Le Pen était caractéristique à cet égard en appelant au « Redressement de l’école ». Ce collectif a énoncé une liste de sentences extrêmement sévères contre l’école de la Cinquième république. Ses intervenants ont parlé « d’égalitarisme », de « désastre », de « déclin », « d’illettrisme », de « pédagogisme », « d’individualisme de 1968 », « d’idéologie permissive de 1968 », de « difficultés à instruire les élèves d’origine immigrée », « d’immigration de masse qui pose un problème », de « dogmes mondialistes appliqués à la politique éducative » etc.

Mot pour mot, c’est très exactement ce que dit sur l’école le Front National, depuis sa création. Le collectif Racine qui croit faire du neuf ne fait qu’un copier/coller des vieilles affirmations du FN. Par ailleurs, Marine le Pen, qui aime jouer de la formule de "l’UMPS" pour postuler du copinage des partis politiques entre eux, ne fait pourtant rien d’autre elle-même que du "Jean-Marine Le Pen". C’est à dire une sorte de métamorphose de l’identique, entre le père et la fille.
L’école est actuellement secouée par des tensions autour du genre (ABCD de l’égalité, JRE, Vigigender). On retrouve souvent à leur origine les mêmes militants que ceux de la "manif pour tous". Quels sont leurs liens avec l’extrême droite et/ou le FN ? Comment analysez-vous ce phénomène ?
L’ABCD de l’égalité a focalisé contre lui des groupements dont les motivations, les militants et les actions se croisent et s’entrecroisent avec des appellations diverses. Ils ont pourtant une convergence de méthodes d’attaque : l’accusation de perversité sexuelle. Ils font jouer à fond la fibre de cette perversion proclamée car ils savent très bien que cela touche la personne dans ce qu’elle a de plus profond : l’intimité, l’innocence, la pudeur, l’amour. Farida Belghoulaccuse l’Education nationale de promouvoir l’homosexualité, la bisexualité et la transsexualité à l’école. Sur son site, La Fédération autonome de Parents Engagés et Courageux, on trouve de longs articles très argumentés de la part de ses militants pour déclarer que « Débauche masturbatoire et endoctrinement des masses » serait l’objectif final d’un « Nouvel Ordre Sexuel Mondial ». Vigigender parle de « sexe polymorphe » et de « monde androgyne » comme finalité concoctée par l’Education nationale. Sa coordinatrice Esther Rivet explique que des expositions à l’école, financées par l’Etat, apprennent aux femmes à « détester la maternité ». A Strasbourg, une soirée s’est terminée avec l’évocation de relations sexuelles entre personnes de même sexe et de sodomie dans une école Haut-Rhin. La Manif pour tous dit s’opposer à « tout ce qui déconstruit l’identité sexuelle des enfants ».
Les plus-values fermement escomptées de ces réquisitoires sont celles de la peur, de l’indignation, de la panique, de la colère, de la révolte et du… retrait des enfants de l’école par leurs parents.
Mais pour aussi violents et diffamatoires qu’ils soient, ces accusations et ces faux procès ne sont pas nouveaux. Ils font même partie intégrante de l’histoire scolaire et sociétale. Au 19e siècle la création de l’enseignement secondaire féminin faisaient dire aux conservateurs de l’époque que les jeunes filles déboussolées par leur savoirs allaient « se donner en premier venu » et que la « prostitution » et le « suicide » en seraient la rançon. On reprochait que la création du baccalauréat en 1924 fasse sortir les femmes de leur « tradition séculaire » qui était celle du foyer et des enfants. Dans les années 60, ceux qui s’opposaient à la mixité filles-garçons dans les établissements scolaires affirmaient avec horreur que lycées allaient devenir des « bordels ». Sans oublier que les femmes qui voulaient se maquiller, porter le pantalon ou prendre la pilule se faisaient traiter de « putes », de « garces » et de « salopes ». Et les garçons qui se laissaient pousser les cheveux longs à la mode des Beatles se faisaient traiter de « gonzesses ». Actuellement, certains parlent de « féminisation du monde ».
Quant au Front national, il a toujours été un champion des accusations de « décadence » sexuelle à l’école : un véritable athlète dans ce domaine. Par exemple, à la fin des années 90, dans le contexte des affaires de pédophilie en Belgique et en France, Bruno Gollnisch profitait de cette actualité pour accuser les gouvernants de « laxisme », avec leurs « lois tordues » qui n’empêchaient pas les « détraqués sexuels » de venir rôder autour des écoles avant d’avoir purgé leur peine. Cette pédophilie était devenue un « mal français » qui s’était abattu sur notre pays, disait-il. Au moment de l’accès de la « pilule du lendemain » dans les établissements scolaires, il était question dans Français d’abord ! d’une école où l’on y apprenait désormais la « débauche ». D’autres numéros parlaient d’une école dans laquelle on faisait lire sciemment aux élèves des textes pornographiques. Prostitution/pornographie/pédophilie a été l’éternel triptyque que l’extrême droite a toujours mis en avant pour mieux insulter et dramatiser les changements scolaires qu’elle refusait. L’esprit de 1968 était derrière toutes ces horreurs, et cette extrême droite le dit encore aujourd’hui.