Avec un nom évoquant tout à la fois la culture classique (Jean Racine), un des dadas nationalistes (« l’enracinement ») et un prénom désormais omniprésent au FN (Marine), le Collectif Racine est une nouvelle tentative de séduction du Front national en direction des enseignants, du primaire au supérieur. Mais ce n’est pas la première fois que le FN s’organise pour diffuser sa vision de l’école : en quoi cette initiative se distingue-t-elle des expériences passées ?

PICHON Olivier (FN-MEN)

Il y a des années que le Front national n’avait plus de structure pour diffuser son projet éducatif. En fait, il faut remonter à plus de vingt ans pour en retrouver une un peu solide. Au milieu des années 1980, le FN crée de nombreuses structures (les « cercles »), chargés de diffuser les idées du FN un peu partout, en particulier dans les milieux professionnels. Il se crée ainsi en 1987 un Cercle National de l’Enseignement, qui s’adresse à la fois aux parents d’élèves et aux enseignants, et qui va devenir en 1995 le Mouvement pour une Éducation Nationale (MEN). Le MEN déclare lors de sa création : « Aujourd’hui le combat pour la sauvegarde de la nation et de l’identité française passe prioritairement par l’école, principal enjeu politique de cette fin de siècle ». Le projet est ambitieux, puisqu’il reprend l’idée de la Nouvelle Droite d’une nécessaire « reconquête culturelle », préalable à toute conquête politique : en effet, « l’éducation ne doit pas être laissée aux mains des syndicats marxistes inféodés au nouvel ordre éducatif mondial » tonne son président, Olivier Pichon, également élu au comité central du FN. Revendiquant 2000 adhérents et sympathisants, le MEN va éditer un bulletin, diffuser des plaquettes, et tenter sans succès de se présenter aux élections professionnelles (il réussit cependant à créer une quinzaine d’associations locales de parents d’élèves qui présenteront des listes).

En 1999, Bruno Mégret, numéro 2 du FN, quitte avec fracas le parti, emmenant avec lui bon nombre de cadres, dont la quasi-totalité des dirigeants du MEN, qui vont rejoindre le Mouvement National Républicain (MNR), le nouveau parti de Mégret. Olivier Pichon se fait élire sous l’étiquette MNR comme conseiller régional, avant de quitter le mouvement en 2003. On le retrouve deux ans plus tard comme l’un des leaders de la très réactionnaire « Révolution bleue », aujourd’hui totalement oubliée, une sorte de Printemps français avant l’heure et en miniature, créée à la suite des émeutes de 2005. Chroniqueur régulier sur Radio Courtoisie, il s’en fait virer en 2007, pour monter par la suite une webradio avec le nationaliste-révolutionnaire Jean-Gilles Malliarakis.

Après l’expérience du MEN, la question éducative ne revient dans le discours frontiste que de façon perlée, pour dénoncer la violence scolaire et le coût exhorbitant de l’éducation dans le budget de l’État, accuser les enfants issus de l’immigration de faire baisser le niveau, et surtout conspuer les enseignants, tous « gauchistes », qui, lorsqu’il ne sont pas en grève, distillent perfidement leur idéologie antinationale et mondialiste : le FN caresse ainsi dans le sens du poil son électorat massivement hostile au corps enseignant…

collectifracine

Il faut attendre l’année dernière pour que Marine Le Pen réalise que plus d’un million de personnes travaillent dans l’Éducation nationale, que la plupart sont d’honnêtes citoyens débordant de sens civique, et donc des électeurs en puissance. En septembre 2012, lors d’un colloque sur l’éducation de son think tank Idée Nation, elle déclare ainsi, s’adressant aux profs : «  Il y a eu un malentendu entre nous. Nous n’avons pas su vous parler.  » Huit mois plus tard, au mois de mai 2013, des enseignants signent une tribune dans Le Figaro , « Appel pour le redressement de l’École », annonçant au passage la création (dans l’indifférence générale) du Collectif Racine, une structure regroupant des professeurs du primaire au supérieur se retrouvant dans les idées du Front national. La plupart d’entre eux présentent un profil assez lisse : souvent candidats du Rassemblement Bleu Marine aux prochaines élections municipales (Gilles Lebreton à Pont-Lévêque, Catherine Rouvier à Aix-en-Provence, par exemple), ils ont rarement un engagement politique connu ailleurs, à l’exception d’Alain Avello, intervenu il y a quelques années lors d’une « université » du Parti Communautaire National-Européen (PCN), un micro-parti d’inspiration nationale-bolchévique, ou d’Emmanuel Protin, membre du Snalc, un petit syndicat de profs ultra-réac.

Après une nouvelle tentative durant l’été d’annoncer leur création, le collectif Racine revient à la charge ce samedi 12 octobre pour tenter une fois encore de faire parler de lui, en proposant une « journée d’étude » à Paris sur le thème du « redressement de l’école », avec en bouquet final un discours de Marine Le Pen… Alors, ce collectif apporte-t-il quelque chose de neuf ? Pour l’essentiel, non.

Il y a vingt ans, le MEN organisait son discours autour de six idées principales, reprises pour l’essentiel par le collectif Racine :

1) «  défendre l’école du savoir et du mérite  », c’est-à-dire pour l’essentiel revenir aux méthodes d’enseignement des années cinquante (cours magistral, cloisonnement des disciplines), dont la médiocrité a tout récemment été prouvée (une enquête de l’OCDE publiée le 8 octobre dernier montre qu’en France, ce sont les 45-65 ans qui sont les moins performants pour lire comme pour compter), et surtout mettre au feu toute innovation pédagogique ;

2) «  diverisifier les filières dès la sixième  », c’est-à-dire promouvoir l’orientation précoce et en finir avec le collège unique (un des rares dispostifs de l’Éducation nationale visant un accès égal pour tous aux savoirs) afin de fournir au patronat une petite armée de précaires prêts à jouer les variables d’ajustement ;

3) «  pour une véritable neutralité scolaire  », c’est-à-dire «  interdire les manifestations politiques dans les écoles  » ; mais l’agitation anti-mariage pour tous ayant passé par là, avec la propagande qui l’a accompagnée dans les écoles privées, ce point du programme du MEN a été « oublié » provisoirement par le collectif Racine ;

4) «  pour le respect de la discipline  », c’est-à-dire dans la version 2013 contre la «  culture laxiste de l’excuse  » : le FN recase ici l’essentiel de son discours sécuritaire qu’il applique au domaine scolaire, associée à la valorisation du «  dépassement de soi par l’effort   » ;

5) «  pour un enseignement national  », c’est-à-dire faire la promotion d’une histoire réinventée à la Lorant Deutsch, des langues anciennes et des cours de morale ;

6) «  revaloriser la fonction enseignante  » : si le MEN rappelait à l’occasion le principe de préférence nationale (déjà appliqué par l’État), le collectif Racine se contente de reprendre le discours « syndicaliste » de protection et de soutien des personnels du MEN, en y ajoutant ce qui est finalement la seule touche originale du Collectif Racine, en droite ligne du nouveau rapport du discours du Front national avec l’État.

En effet, dans les années 1990, le FN s’inscrit dans la continuité du mouvement pour une école « libre », et les établissements privés sont montrés en exemple : autonomie des établissements, renforcement des pouvoirs du chef d’établissement, etc. Il inscrit son projet pour l’école dans son programme plus général d’inspiration libérale, voire ultra-libérale. Aujourd’hui, le FN explique que c’est au contraire le désengagement de l’État qui est la cause de tous les maux, et revendique une «  recentralisation de l’administration de l’Éducation nationale  », un revirement qui peut sembler étonnant, alors que pour l’essentiel, encore, le programme économique et sociale reste libéral (dérèglementation du code du travail, dénonciation de « l’assistanat », suppression de l’ISF, etc.). C’est que pour le FN, la menace sur les « libertés » telles qu’il les entend vient de Bruxelles : renforcer les prérogatives de l’État-Nation, c’est lutter contre les « instances supranationales  » qui veulent la mort de la France, en distillant une pédagogie dévoyée et des enseignements politiquement orientés (que ce soit sur l’histoire du monde ou la question du genre, par exemple) et en voulant priver les nations du façonnage des jeunes esprits pour en faire de "bons citoyens".

Le Collectif Racine, au final, ne propose pas grand-chose de neuf, et a du mal à se détacher du sempiternel "c’était mieux avant". En revanche, il s’inscrit dans la droite ligne du projet mariniste d’un État-nation autoritaire et fermé sur lui-même, qui, pour être mené à bien, ne peut pas faire l’impasse sur la formation des générations futures.