Tulle : récit de la lutte contre le local de la DNR

Alors qu’une marche contre l’installation du local de la Division Nationaliste Révolutionnaire est organisée par le Collectif des 7 collines ce samedi 17 février à 15h devant la cathédrale, nous vous proposons de revenir sur la mobilisation contre ce local, et dont voici le récit par celles et ceux qui l’ont menée.

En moins de trois semaines, grâce à une mobilisation exemplaire, des habitants de Tulle sont parvenus à étouffer dans l’œuf l’implantation dans leur ville d’un local de la Division Nationaliste Révolutionnaire (DNR), un groupuscule d’extrême droite dont nous vous avions parlé en début de semaine. Une lutte éclair, où tout le monde a mis sa pierre à l’édifice, une lutte où, comme souvent en situation de crise, il y a eu beaucoup d’écoute, de solidarité et d’échange.

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Tulle est une petite ville de Corrèze (15396 habitants en 2009). Plutôt tranquille, certainement en rien un terrain de culture pour l’extrême droite (même si 22% de ses habitants y ont voté pour le candidat FN aux présidentielles de 2017). C’est qu’à Tulle, le 9 juin 1944, 72 heures après le débarquement en Normandie, après avoir raflé les hommes de 16 à 60 ans, les SS et des membres du Sipo-SD vouent 120 habitants de Tulle à la pendaison, dont 99 sont effectivement suppliciés. Dans les jours qui suivent, 149 hommes sont déportés à Dachau, où 101 perdent la vie. Au total, les crimes de la Wehrmacht, de la Waffen-SS et du Sipo-SD font 213 victimes civiles à Tulle. La ville, où existe un Comité des martyrs de Tulle, reste fidèle à cette mémoire.

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Le projet de la Division Nationaliste révolutionnaire (DNR) concernant le local qu’ils prétendaient louer à Tulle, et qui devait s’intituler, sans doute par provoc, « Local de la résistance », comprendre « Local de la résistance des Gaulois » : « Loué à titre privé par l’un des membres du mouvement, il s’agirait d’un lieu de rencontre « des patriotes qui veulent défendre les intérêts de leur pays, de leur Nation, de leur région, de leur culture, de leurs traditions et qui veulent se sentir bien dans un lieu où on peut passer du temps entre patriotes » explique Romain Bellonie, l’un des membres du groupuscule, à France Bleu Limousin. Ce local servira-t-il à planifier des actions ? « Pour l’instant, on veut défendre une certaine idée de la France. Après, on espère grandir ». Pour Sébastien Dudognon, interviewé par France 3,« On n’est pas comme les jeunesses révolutionnaires, on a notre propre doctrine. On va pouvoir politiquement combattre l’Etat. On est plus concret dans nos idées que le Front National qui essaie de se mélanger aux autres partis. On fait du social pour défendre le national . »

Chronique de la lutte

Début janvier, une habitante de Tulle reçoit d’une connaissance un lien sur la page Facebook de DNR, annonçant l’inauguration, prévue pour le 11 mars prochain, d’un local à Tulle.

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Un échange sur Facebook d’interrogations et d’indignations s’est alors très vite développé. Nous nous sommes rapidement mis d’accord sur le fait qu’on ne pouvait pas laisser passer ça. Nous avons monté un groupe de discussion privé, auquel nous avons adjoint des membres dit "dignes de confiance". Mais c’est vite devenu désordonné, il était difficile de s’y retrouver, et ça manquait cruellement de discrétion. Le groupe a donc rapidement été ramené aux plus impliqués et efficaces, une dizaine de personnes.

Tout le monde s’est mis à récolter des infos, prendre la mesure de l’ampleur de leurs idées, et essayer de connaître l’adresse de leur fameux local. Nous avons pris connaissance de sa localisation, en plein centre-ville. Beaucoup de membres de leur groupe Facebook fermé comptait répondre présent pour l’inauguration qui s’annonçait particulièrement arrosée. Nous nous sommes efforcéEs de ne pas nous précipiter, les laissant s’exalter, tout en espérant qu’ils allaient eux-mêmes se tirer ainsi une balle dans le pied. Nous avons écarté tout projet de confrontation directe avec les membres du groupe ; quant au recours à la violence, il eut été déraisonnable, nous l’avons donc aussi exclu. Notre plan résidait en deux points :

  1. La récupération d’éléments à transmettre à la presse, pour que celle-ci à son tour informe les citoyens.
  2. Prendre contact avec les élus afin de s’organiser sur les mesures légales pouvant être mises en œuvre.

Le 27 janvier, nous avons lancé une pétition, ce qui pour nous était autant un moyen de fédérer qu’un moyen efficace de communication. Dans le même temps, grâce à la carte des groupes antifas de La Horde, nous contactions des collectifs antifascistes, dont beaucoup nous ont répondu.

Le 31 janvier, en l’espace d’une journée, tout s’est précipité. Plusieurs journaux locaux ont publié des articles : France-bleu, Libération, La Riposte, L’écho-info  ; le journal local de France 3 Limousin a lui aussi diffusé l’info, accompagnée d’une interview de Michel Drelon, président du Comité des Martyrs de Tulle, chagrin et indigné, puis La Montagne.

Et le lendemain, on apprenait que l’inauguration du local était repoussée. Le soir-même, les habitants de Tulle pouvait entendre Sébastien Dudognon, entouré de camarades qui tentaient de le faire taire, exhaler sa déconvenue en diffusant à plein volume des chants de la Waffen SS

Rester vigilant

Toutefois, contrairement à ce que prétendait la DNR, selon le journal local 12-13 du Limousin de France tvinfo, aucun arrêté d’interdit n’a été pris par la mairie ni quiconque. Autrement dit, DNR aurait toute latitude pour se trouver un local ailleurs, pour peu qu’un propriétaire peu regardant le leur concède. (« On aura bien un local ailleurs que l’adresse prévu on lâche pas DNR ahoouuuu » affirmaient-ils du reste le 2 février sur leur blog.). Les habitants de Tulle, dont la pétition a recueilli déjà plus de 2200 signatures, restent donc vigilants. ANACR a rejoint le mouvement citoyen de protestation, ainsi que quelques partis politiques.

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Réunion de l’A

Même le FN, par la voix de Jose Dinucci, son secrétaire départemental Corrèze, qui est aussi et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, s’est certes désolidarisé publiquement de l’entreprise : " Ce local n’a rien à voir avec les locaux du Front National situés avenue Alsace-Lorraine ", insiste-t-il. Mais le 15 janvier, date où il était censé avoir démissionné de ses fonctions auprès de la jeunesse corrèzienne et néanmoins FN, on trouvait encore sur le blog de Sébastien Dudognon le message suivant : " Le combat continue ne lâchez rien, 2018 nous promet de beaux projets FNJ ."

Malgré une petite victoire dans le report de l’ouverture du “Local de la Résistance”, nous restons plus que jamais sur nos gardes . En effet, grâce aux efforts de tous, les débiles savent maintenant utiliser Facebook. Sebastien Dudognon et son équipe ont apparemment découvert la fonction “Cacher vos publications”. Ils font très attention à ce qu’ils publient sur les réseaux sociaux, et il devient extrêmement difficile de maintenir une surveillance. Il reste bien la page “DNR Île-de-France”, mais elle ne semble guère usitée. Si l’élan collectif qui a permis de les faire reculer avait quelque chose de magnifique dans sa spontanéité, son application aurait probablement méritée plus de réflexion et de stratégie. Le bilan est néanmoins encourageant, l’évènement nous ayant permis de prendre conscience de notre force commune.
Des habitantEs de Tulle mobiliséEs contre le local de la DNR