Une semaine après l’assassinat de Jo Cox, députée travailliste britannique qui s’était engagée pour le maintien de la Grande Bretagne dans l’Union européenne et prononcée en faveur de l’accueil des réfugiés sur le sol britannique, il est temps de revenir sur les circonstances de ce meurtre politique et d’examiner ce que les médias français ont mis un certain temps à admettre, c’est-à-dire la violence politique d’extrême droite à visée terroriste.

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Le jeudi 16 juin, les médias français informaient leur public que la députée travailliste Jo Cox avait été agressée par un homme, qui l’avait grièvement blessée. À ce moment-là, alors même que la presse allemande (par l’intermédiaire du très sérieux hebdomadaire Die Zeit ) et la presse britannique et américaine faisaient mention d’un cri poussé par l’agresseur « Britain First », les médias français omettaient de parler de ce qui apparaissait pourtant d’emblée comme une revendication politique, à mettre en lien avec le cadre politique général britannique, soit la campagne pro ou anti Brexit, mais aussi avec le background politique de la victime, Jo Cox, connue pour son engagement en faveur des réfugiés et pour sa volonté de faire rester la Grande Bretagne dans l’Union européenne.

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L’agresseur de Henriette Reker, Frank S., à son procès

Il est vrai qu’alors, on ne sait presque rien de l’agresseur ; les informations arrivent cependant assez vite, une fois passées la stupéfaction et l’horreur à la nouvelle que Jo Cox n’a pas survécu à ses blessures. Ce meurtre d’une femme politique favorable à l’accueil des réfugiés nous a rappelé l’agression perpétrée en octobre 2015 sur Henriette Reker, candidate sans étiquette à la mairie de Cologne, dont le responsable, cela mérite d’être souligné, vient d’être jugé à Düsseldorf et a réaffirmé son intention de blesser Mme Reker pour ses prises de position pro-réfugiés. Là encore, la presse française n’avait pas mentionné les attaches de Frank S. avec la scène néonazie allemande, en particulier dans les années 1990, alors même que leurs confrères allemands (y compris Bildzeitung ) n’avaient pas rechigné à publier les informations pointues données par les antifas (voir ici).

Qui a tué Jo Cox ?

On sait désormais qu’il s’agit de Thomas Mair, 52 ans, dont les liens passés avec l’extrême droite et l’engagement politique actuel (même s’il s’apparente davantage à ce qu’on appelle outre-Manche un lone wolf , un loup solitaire) sont sans ambiguités. En effet, comme l’ont finalement évoqué (quatre jours après les médias des autres pays) les médias français, Thomas Mair était abonné à un journal pro-apartheid sud-africain, S. A. Patriot , et il avait fait pour plus de 600 dollars de commandes à la National Alliance, le premier et historique parti néonazi américain. Parmi ces commandes, on trouve des guides de fabrication d’armes artisanales ainsi que d’explosifs, mais aussi tout une littérature dont les titres sont largement évocateurs : sur les runes, sur toutes sortes d’armes artisanales, ou sur le combat ( Ich kämpfe , en allemand).

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Pour rappel, la National Alliance fut fondée par William Pierce, aujourd’hui décédé, qui publia plusieurs romans racistes, dont les fameux Turner Diaries , qui raconte l’histoire post-apocalyptique d’un homme blanc menant une guerre pour la « préservation » de la race blanche. Ce roman fut une source d’inspiration pour Timothy McVeigh, responsable en 1995 de l’attentat meurtrier d’Oklahoma City, qui fit 168 morts.

Le terrorisme d’extrême droite existe

Alors, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Norvège, en Allemagne et ailleurs en Europe, on n’hésite pas à qualifier ce type de démarche de terrorisme d’extrême droite, même dans le cas de figures isolées du type « loup solitaire ». Comment expliquer le silence français ? Par le manque d’expérience ? C’est vrai qu’on n’a pas vu de tueries du type de celle d’Oklahoma City, de Londres (1999, David Copeland), d’Oslo et d’Utoya (juillet 2011, Anders Breivik), ni non plus du type de celles qui ont été perpétrées par le NSU (Nationalsozialistischer Untergrund, 2000-2011). Dans le cas de Grégoire Moutaux, 25 ans, ce Français originaire de Lorraine arrêté en Ukraine en possession d’explosifs et d’armes (kalachnikovs et lance-roquettes), on peut rester dans le doute, effectivement, d’une part parce que cet homme a été arrêté avant que se produise un quelconque attentat de sa part, mais peut-être aussi parce qu’il s’agit là vraisemblablement d’un trafic d’armes dont serait responsable quelqu’un dont les attaches sont certes à l’extrême droite, mais sans que l’on puisse trouver une forme concrète d’engagement, du moins à notre connaissance.

Dans le cas de Thomes Mair, on est typiquement face à un militant d’extrême droite convaincu, certes isolé dans la multitude de groupes d’extrême droite britanniques (voir la présentation de cet excellent panorama publié par Hope Not Hate ici), mais qui a franchi le pas de l’action meurtrière, emmené par le discours violemment raciste et islamophobe diffusé tous azimuts par, dans le désordre, l’EDL, Pegida UK, le BNP, Britain First et le UKIP.

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L’assassin de Joe Cox

Alors Britain First a beau se récrier et clamer que Thomas Mair n’appartenait pas à leur groupe, tandis que d’autres conspirationnistes (du UKIP) affirment que Jo Cox a été tuée par des sbires de l’UE pour influencer le vote des Britanniques, Thomas Mair a bien agi pour des motifs politiques et ce sont bien ses positions racistes (voir les photos de Hope Not Hate le montrant au milieu de militants de Britain First ci-contre) qui l’ont amené à commettre ce meurtre.
La Horde