FocusLe Mouvement Chouan : génèse d’un mal-né

Chez les nationalistes la période est à la profusion de groupes locaux à l’existence souvent éphémère. Cette dynamique s’explique en partie par les dissolutions administratives prononcées à l’encontre des structures qui se voulaient rassembleuses comme le Bastion Social ou Génération Identitaire. S’organiser à un échelon local, voire microscopique, à l’avantage d’offrir plus de souplesse. On l’a vu avec « Bordeaux Nationaliste » qui s’est réinventé en « Bastide bordelaise » avant même que son décret de dissolution ne soit paru. A rebours de cette tendance, en mars 2023, un groupe de nationalistes a commis un happening, aux environs de ministère de l’économie à Bercy, pour officialiser son existence : Le Mouvement Chouan.

Vous allez le constater, rien de neuf à l’extrême droite. On prend les mêmes et on recommence avec comme toujours la volonté de brouiller les cartes pour rechercher la respectabilité. Ce matin là, non loin du ministère de l’économie, une trentaine de militant.es agitent les drapeaux d’ancien régime des provinces du quart nord-ouest du royaume de France : Anjou, Normandie, Maine, Bretagne, Touraine, Poitou. C’est pour le moins dissonant mais plusieurs drapeaux bleu, blanc, rouge sont aussi pavoisés. L’action se veut visuelle et est captée par plusieurs caméras. Une banderole bavarde « Inflation, retraites, fiscalité : macronie = esclave des lobbies, syndicats complices » est exposée en hauteur sur une ligne du métro aérien. Des militant.es sont symboliquement pendu.es dans le vide et représentent les sacrifié.es « victime du libre-échange » et de la macronie : agriculteur, ouvrier du BTP. Le porte-parole, mégaphone en main récite un discours aussi verbeux que la banderole avec derrière lui un craquage de fumis en apothéose. A vrai dire le happening est plutôt raté : il est très (trop) tôt ce matin, les lieux relativement déserts, les militant.es pendu.es sont masqué.es et on peut les prendre pour de vulgaires mannequins. Qu’importe l’essentiel est que ce soit filmé.

Idéologiquement, le discours est marqué de références poujadistes : défense des « petits » artisans, paysans, commerçants qui « croulent sous les charges et les normes », dénonciation de l’extrême gauche et des syndicats. Il y a aussi quelques moments plus délirants comme lorsque « Le Mouvement Chouan dénonce l’anarchie du parlementarisme jacobin, qui fait le jeu des lobbies et des puissances d’argent. ». Les poncifs de la logorrhée antisémite sont exhumés.
On résume, un discours corporatiste, antifiscaliste, mais aussi nataliste avec pour imaginaire politique une audacieuse collision de la révolte chouanne et de l’héritage maréchaliste (« c’est le régime de Vichy qui instaura le système par répartition qui a fait le bonheur de plusieurs génération »), pas de doute on assiste à l’acte de naissance d’un groupe d’extrême droite radicale.
A vrai dire le doute n’était pas de mise. Derrière le mégaphone on retrouve Jean-Eudes Gannat. Outre une prose indigeste, difficile de résumer ici la liste de ses méfaits. Néanmoins, pour mémoire, il était porte-parole des angevin.es de l’Alvarium, groupe dissout ce qui ne l’empêche pas de refaire parler de lui par sa violence. Issu en premier lieu des rangs du FN, il est aussi un proche de la GUD connexion auprès de laquelle il a travaillé (chez Riwal, une société de Frédéric Chatillon) puis casé bien des proches. Il a aussi fait parler de lui dans une affaire aux forts relents d’escroquerie de la commune d’Andlau qui n’a jamais été jugée.
Pour ce qui est des troupes en présence à ce happening, c’est sans surprise les militant.es de l’Alvarium qui servent de socle. Renseignements pris auprès du RAAF, pas moins de dix nationalistes angevin.es sont présents : Théodore Riant, Gersende Barrera, Thérèse Beauvais, Hervé Le Morvan, François-Aubert Gannat, Gaspard Beaumier, Briac De La Rivière, etc. On retrouve aussi quelques membres de Des Tours et des Lys, tel Lucas Maupin et un autre militant investi en parallèle à la Cocarde. Les rennais.es de L’Oriflamme revendiquent aussi leur présence sur les réseaux sociaux « avec » le Mouvement Chouan mais se garderont bien de dire « dedans ».
De fait la géographie des militant.es permet de saisir les faiblesses de ce nouveau mouvement qui se targue de s’étendre au quart nord-ouest de la France. Si on fait le compte il manque du monde à l’appel et c’est là qu’on voit que ce mouvement naît boiteux. Vouloir lutter contre le jacobinisme républicain en découpant l’hexagone de manière arbitraire afin de reconstituer un ensemble artificiel est un choix audacieux. Cela s’exprime visuellement par cette étrange cohabitation des drapeaux français et d’ancien régime. Et puis la question de l’indépendance bretonne fracture les ambitions exposées. Cela est évident dans une interview de Jean-Eudes Gannat pour le média d’extrême droite Breizh Infos quand : « J’aimerais ajouter quelques lignes à destination des militants bretons qui regardent avec une bienveillante circonspection notre initiative. […] Je ne peux pas leur mentir ; le Mouvement Chouan n’a pas vocation à militer pour l’émergence d’un Etat breton indépendant. Avec toute l’affection que j’ai pour des camarades indépendantistes et leur cause […] je crois qu’en l’état actuel elle relève […] du folklore. » Venant d’un gars qui cherche son inspiration plus de 200 ans en arrière, dans l’ancien , parler de « folklore » relève d’un énigmatique sens de l’à-propos. On comprend bien à lire ces lignes suivies d’un appel du pied à les rejoindre que le mouvement ne fait pas l’unanimité et qu’il s’est privé du soutien de l’extrême droite indépendantiste bretonne. Une frange certes groupusculaire mais le Mouvement Chouan ne l’est pas moins et peu difficilement faire la fine bouche en matière de forces militantes.
Le groupuscule refera parler de lui au début du mois de juin lorsque, Jean-Eudes Gannat en tête, un petit groupe de nationalistes viendra brièvement troubler le conseil municipal de Saint-Brévin qui vient de choisir comme nouvelle maire Dorothée Pacaud.

Déjà, le 29 avril c’est le Mouvement Chouan qui avait lancé une cagnotte pour remplacer la voiture incendié et encore fumante d’un néo-nationaliste après que ces derniers aient pu parader en ville sous escorte policière. Nous sommes loin de la défense des petits et bien que sous-jacent dans son manifeste, la xénophobie et le racisme refont surface à la moindre occasion.

Elle valait plus cher que ça à l’argus.

De fait, le Mouvement Chouan est peu actif. Basé sur une identité improbable aux contours flous, construit sur une idéologie qui a tout du fourre-tout confus, confronté à des fractures internes à l’extrême-droite : le départ est poussif. Difficile de parler de « mouvement » quand cela ressemble à une marque lancée par le chef pour donner corps à ses lubbies et son imaginaire historique. Un chef feu-follet qui passe beaucoup de temps dans les prétoires : condamné cette année pour diffamation , il est actuellement sous contrôle judiciaire et passe au tribunal en août pour les violences avec armes commises à Angers récemment. Sans compter d’autres affaires à venir qu’il exhibe fièrement sur les réseaux sociaux. Alors Jean-Eudes Gannat fait ce qu’il maîtrise le mieux. Plutôt que d’accepter sa sottise, il accuse le Système et réclame de l’argent qu’il draine parfois vers son propre compte paypal. Son anti-fiscalisme primaire viendrait-il de la crainte anticipée d’un contrôle fiscal ?
A l’extrême droite, à part le site national-catholique Présent et Breizh Infos, la couverture médiatique a été très faible. Même chose en ce qui concerne l’intérêt de « personnalités », si ce n’est fortuitement Christian Bouchet, quand sur internet quelqu’un lui rappelait, ainsi qu’à Jean-Eudes Gannat, l’existence d’un Mouvement Chouan dans les années 1980. Néanmoins, il faut les garder à l’œil, ne serait-ce que pour mieux comprendre les diverses stratégies d’implantation actuellement explorées par les nationalistes.

La Horde