FocusBeaucoup de Fraternités, beaucoup de rivalités : Sur les catholiques intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X (mais pas que) en Anjou.

Lu sur le blog du Réseau Angevin Antifasciste.
Nous vous proposons un focus sur une fraction non-négligeable des catholiques intégristes en Anjou : la Fraternité Saint-Pie-X. Il s’agit là d’un groupe important, numériquement et en terme d’engagement militant. Il s’agit de poser des repères pour comprendre ce qui les rapproche mais également ce qui les éloigne d’autres catholiques réactionnaires et/ou d’extrême droite que nous évoquons en fin d’article, parce que les amalgames n’aident pas à une compréhension fine. Cet article met de côté Civitas, actuellement sous le coup d’une dissolution administrative, qui au début de son histoire a été le bras politique de la Fraternité Saint-Pie-X avant que les liens ne se distendent. Nous vous renvoyons vers les articles de La Horde qui ont posé les jalons d’une brève histoire de Civitas.

Les jeunes fous de la messe

Le 21 janvier 2023, une quinzaine de jeunes catholiques intégristes perturbe, psalmodiant en boucle des « Je vous salue Marie », une rencontre des différentes confessions chrétiennes (catholique, orthodoxe et protestante) qui se tient à l’église Sainte-Marie-de-la-Croix à Belle-Beille en présence d’Emmanuel Delmas, évêque d’Angers.

La police doit intervenir pour permettre la tenue de ce moment de prière œcuménique. Un incident similaire a eu lieu en 2017 à Angers, en l’église Saint-Léonard. Même s’il est rare d’assister au grand jour à des conflits au sein de la communauté catholique, n’oublions pas que depuis le concile de Vatican II, un clivage historique et très vif oppose le Vatican aux croyant·es les plus réactionnaires qui soient.

Vatican II et ses opposants

Le IIème concile œcuménique du Vatican, couramment appelé Vatican II, s’ouvre en octobre 1962 et se termine fin 1965. Il est généralement considéré comme l’événement le plus marquant de l’histoire du catholicisme au XXème siècle. Prenant acte des progrès technologiques, de l’émancipation des peuples et de la sécularisation croissante des sociétés, il symbolise une ouverture au monde moderne. Parmi les changements nombreux engendrés par Vatican II, quelques-uns marquent les croyant·es : la liturgie (façon dont on célèbre le culte) est remaniée, la liberté religieuse dans la société civile reconnue par le Vatican et l’Église rompt avec l’indifférence ou l’hostilité envers les autres religions. Certains prêtres et évêques refusent les décisions et orientations de ce concile. Selon eux, elles s’opposent à l’enseignement bimillénaire de l’Église. Ils estiment les déclarations du concile en contradiction avec la dénonciation du modernisme portée par le pape Pie X. En 1903, sa première encyclique pointe « les manœuvres fallacieuses d’une certaine science nouvelle qui se pare du masque de la vérité et qui, à la faveur de raisonnements trompeurs et perfides, s’efforce d’ouvrir la voie aux vues du rationalisme et du semi-rationalisme ». De l’opposition au schisme En France , le refus le plus lourd de conséquences émane de Marcel Lefebvre, ancien archevêque de Dakar. Après avoir accepté librement de signer les déclarations du concile, il les rejette publiquement en 1974. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X, (FSSPX) qu’il fonde en 1970 en Suisse, est déclarée dissoute en 1976. Elle poursuit néanmoins son existence et s’oppose aux réformes. Elle défend la messe tridentine (ou messe de Saint-Pie-V avec des pratiques typiques comme la génuflexion pour recevoir l’hostie, le prêtre qui tourne le dos à l’assistance, l’emploi du latin, etc.) comme étendard de sa contestation du concile et en 1988 Marcel Lefebvre est excommunié par le Vatican. Comme le souligne La Horde « Ayant repris sa liberté, la Fraternité peut afficher sans gêne ses préférences politiques, en soutenant toute une brochette de dictateurs fascistes (l’Argentin Videla, l’Espagnol Franco, le Portugais Salazar) et en France, c’est logiquement Jean-Marie Le Pen qui a sa préférence. » La Fraternité Saint-Pie-X, poursuit son développement, en France et à l’étranger. Elle forme du personnel et de fait une de ses forces provient de sa dynamique de vocations sacerdotales. Ordonnés prêtres, les séminaristes vont renforcer l’implantation de la FSSPX en bénéficiant de la politique d’achat de locaux. Le reste découle avec facilité : rédaction d’un bulletin local et, si possible, ouverture d’une école hors-contrat. Tout cela permet une installation durable dans le paysage local. Le coup d’éclat de la FSSPX reste, en 1977, l’occupation de l’église parisienne de Saint-Nicolas du Chardonnet. Jamais expulsée à ce jour, il s’agit du centre névralgique de la Fraternité. Aujourd’hui si elle revendique 600000 fidèles à travers le monde dont 35000 dans l’hexagone la réalité française est plus proche de 15 à 20000 fidèles reparti.es dans 250 lieux. Une communauté nombreuse et soudée dont bon nombre des membres sont issu·es de familles de l’ancienne aristocratie ou de la grande bourgeoisie catholique. Vous l’avez compris, idéologiquement on grenouille dans un milieu réactionnaire et ultra-conservateur où par exemple les thèses anti-vaccinales sont très présentes.

Dans un rapport de la MIVILUDES de 2017 on apprend qu’une enquête de l’Institut de veille sanitaire de 2008 établit une corrélation entre une épidémie de rougeole et l’implantation en France de la FSSPX.

Implantation de la FSSPX en Anjou

Dans le département le siège officiel de la Fraternité est le prieuré Saint Louis-Marie Grignion de Monfort à Faye-d’Anjou. Lieu de vie de cinq abbés, dirigé par l’abbé Pierre-Marie Laurençon, situé au cœur du vignoble, il est composé d’une belle maison bourgeoise et de nombreuses dépendances où se déroulent des retraites spirituelles pour les croyant.es intégristes. Cinq chapelles dépendent de ce prieuré. Cela représente une vingtaine de messes par semaine. Ces chapelles sont à Saumur dans un local dédié, à Chemillé dans un local rue du presbytère, à Avrillé au monastère Saint-Joseph, lieu de vie d’une dizaine de religieuses d’inspiration dominicaine, à Angers au fond d’une impasse rue Jean Jaurès et à Thouars (79) à l’église collégiale Notre-Dame. Une école maternelle et primaire scolarisant une quarantaine d’élèves située à Mauléon dans les Deux-Sèvres, l’école Saint Louis-Marie Grignion de Monfort, fait aussi partie de ce réseau catholique schismatique. Enfin, depuis 2013, nos blafard.es intégristes se sont réapproprié·es la Fête Dieu, une procession qui se déroulait jadis dans les rue d’Angers qui fut abandonnée par l’église en 1967. C’est l’occasion pour 300 personnes chaque année de défiler sous les bannières en chantant d’antiques cantiques dans une ambiance très XIXème siècle.

Un schisme dans le schisme

En juillet 2007, le pape Benoît XVI, rend possible sous conditions la célébration de la messe selon le rite tridentin. L’objectif affiché de ce geste d’ouverture vers les schismatiques est d’infléchir leur attitude de rejet de Vatican II. Le 21 janvier 2009, Benoît XVI lève l’excommunication qui frappait les quatre évêques ordonnés par Marcel Lefebvre, il s’en suit des négociations entre la FSSPX et le Vatican. Négociations qui ne font pas consensus chez les intégristes. Le divorce semble aujourd’hui consommé entre deux courants et partout en France et dans le monde fleurissent des implantations dissidentes à la FSSPX. Nous en avons un exemple en banlieue d’Angers, à Avrillé, avec le prieuré de la Haye-aux-Bonshommes. Il est situé à deux pas du monastère Saint-Joseph lui affilié à la FSSPX. Le prieuré de la Haye-aux-Bonshommes est en opposition avec la Fraternité affirmant qu’eux seuls sont restés fidèles à l’esprit et à l’œuvre de Marcel Lefebvre. Le prieuré est lié à la Société Sacerdotale des Apôtres de Jésus et Marie (SAJM). Fondée en août 2016 par Mgr Faure, cette congrégation dissidente est composée de onze hommes et trois religieuses. D’après leur site internet iels sont implanté·es au Brésil, en Italie, en Suisse ou aux États-Unis. Plus près de nous, c’est au nord du département, dans le bourg de Morannes, dans un ancien hôtel-restaurant sentant le renfermé, que la congrégation forme des prêtres. Comme elle le précise elle même « L’occasion de la création du séminaire fut l’affaiblissement doctrinal et les compromissions « par palliers » (sic) de la Fraternité Saint Pie X, en recherche d’un accord avec la Rome « de tendance néo moderniste et néo-protestante » […] Nous entendons faire perdurer la ligne doctrinale de Mgr Lefebvre, ainsi que continuer l’ « Opération Survie » du sacerdoce et des sacrements catholiques. ». La guerre entre les gardiens du temple lefebvriste fait rage pour s’attribuer l’héritage du fondateur.

Un antisémitisme qui ne se cache pas

Comme on l’a dit, la tolérance accordée à partir de 2007, fait naître au sein de la FSSPX une opposition à un rapprochement avec le Saint-Siège. Alors évêque, l’une des figures les plus acharnées à toute relation avec le Vatican est Richard Williamson. il sera exclu de la Fraternité en 2012. Il poursuit sa carrière en toute indépendance et on le retrouve, avec le ronflant titre d’Archevêque, en juin 2022 au prieuré de la Haye-aux-Bonshommes pour l’ordination d’un prêtre et de deux diacres.

RIchard Williamson en juin 2022 au prieuré de la Haye-aux-Bonshommes

La présence de cet antisémite notoire est révélatrice de la pensée qui règne ou est tolérée au prieuré. Originaire du Royaume-Uni, ordonné par Marcel Lefebvre en 1988, il multiplie depuis des années les déclarations négationnistes et complotistes. La pandémie de Covid-19 est pour lui l’occasion d’accusations contre les juifs. Ses amis angevins ne sont pas en reste. Dans « La lettre des dominicains d’Avrillé » (septembre 2021) on peut lire : « tournons nous vers le Christ, c’est seulement de cette manière que le projet maléfique de nouvel ordre mondial pourra être vaincu ». Toutes leurs publications débordent d’une vision conspirationniste du monde et de la religion. Leurs « Editions du Sel » proposent des publications sur la « dérive hérétique de l’Action Catholique », « Le protestantisme assassin » et le « Lutherrorisme ». Le genre de pensée qui ne semble pas gêner SOS Calvaires qu’on retrouve en train de vendre des crucifix à la sortie de la messe, le dimanche 19 juin 2022, a la Haye-aux-Bonhommes. Nous vous avions longuement parlé de cette association qui se rêve lobby de lutte contre la « déchristianisation » du paysage. Le salut des âmes par le bourrage de crâne. Gravitant autour du monastère on trouve sur le site d’Avrillé l’école primaire Sainte-Philomène. Elle scolarise une soixantaine d’élèves, dans une « ambiance familiale » comme le vante la brochure disponible sur le site internet des dits dominicains d’Avrillé, garantissant une instruction religieuse avec messe hebdomadaire et prière en commun. Pour poursuivre la scolarité, mais uniquement pour les garçons, on trouve dans un autre bâtiment le foyer Saint-Thomas d’Aquin qui propose un enseignement a une centaines d’élèves de la 6ème à la terminale. En juillet 2017 dans un article du Canard Enchaîné on apprend que suite à une inspection de l’établissement par les services de l’académie, des enseignements problématiques sont pointés. Les croisades ne seraient imputables qu’à « l’apparition d’une horde de musulmans fanatiques » et dans plusieurs copies d’élèves on peut désigner « les juifs comme initiateurs du mondialisme » sans que l’enseignant ne corrige cette saillie antisémite. Des propos qui seraient probablement validés par Richard Williamson.

Notre-Dame-des-Victoires paroisse préférée de l’extrême droite angevine ?

Nous l’avons vu depuis des années au sein du Vatican une minorité traditionaliste jette des ponts avec les intégristes de la FSSPX. Sont ainsi proposées dans chaque diocèse des messes célébrées sous la forme « extraordinaire ». L’église Notre-Dame-des-Victoires, place Imbach à Angers est le lieu où les plus traditionalistes s’agglutinent le dimanche pour la messe de 11h célébrée par le nouveau prêtre en charge de cette paroisse, l’abbé Hugues de Montjoye. Passé par Lyon dans l’église Saint-Georges fréquentée par les jeunes de l’Action Française, il a pu y célébrer une messe en l’honneur de Louis XVI avec ces mots « Un régicide dont la France n’a pas su encore se relever ». Il a été formé par la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre (FSSP). La FSSP a en effet été fondée en 1988 par d’anciens séminaristes et prêtres de la FSSPX. Par ce geste fondateur, ils voulaient mettre un terme à la situation schismatique qui découle des consécrations illicites de Marcel Lefebvre. Arrivé en 2023, Hugues de Montjoye semble tout a fait apte à entretenir autour de lui la ferveur des catholiques les plus réactionnaires. Et pas des moindres. Le dimanche 1er mai 2022, en pleine bouffée paranoïaque, une partie des militants fascistes de l’alvarium est présente à l’office afin de « défendre » leur église d’un cortège syndical qui défile avec indifférence depuis des années devant ce bâtiment qui fait face à la Bourse du Travail. Il n’est pas inutile de noter que la FSSP dirige des établissement scolaires hors-contrat dont l’Institut Croix-des-Vents à Sées qui a accueilli en 2019 l’université d’été (udt) d’Academia Christiana consacrée à la « reconquête » face au « Grand Remplacement ». Quand on sait que depuis des années l’alvarium est l’équipe logistique de cette udt on comprend le sentiment d’attachement aveugle à la paroisse. L’alvarium entretien aussi un lien avec la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier. On l’a vu via les interminables conférences du « Père Henri » rue du Cornet. Ce dernier a aussi été aperçu au Bazar leur discret bar clandestin. Là encore, on recoupe le réseau d’Academia Christiania. Le père Louis-Marie de Blignières, fondateur de cette fraternité est ainsi intervenu à leur udt. Son pedigree est explicite, car avant de revenir dans le giron de l’Église il a été ordonné prêtre en 1977 par Marcel Lefebvre. On saisit vite que l’unique établissement de la communauté qu’il a fondé à Chéméré-le-Roi, en sud Mayenne, fait preuve à l’instar du Père Henri, d’une modération religieuse et politique somme toute très relative. On le voit la frange la plus réactionnaire du catholicisme n’est pas un bloc sans aspérités. Il y a de nombreuses nuances et autant de luttes d’influences. Ce sont souvent des groupes assez hermétiques avec leurs trajectoires propres. Ainsi lors de l’action menée contre la cérémonie œcuménique évoquée en début d’article, aucun·e militant·e de la FSSPX présent·e n’a frayé, à notre connaissance, avec la milice de l’alvarium. Nous suivrons avec attention le dénouement de cette action qui se solde par un procès où les jeunes intégristes acceptent mal de devoir justifier de leurs méfaits devant une autorité qui ne soit pas religieuse.