ReimsÀ Reims, l’extrême droite et les néonazis battent le pavé en toute impunité

Lu sur le site Manif’Est, un retour sur le défilé de militant-e-s d’extrême droite à Reims le 24 novembre sous prétexte de "rendre hommage à Thomas". Les différents groupes de la région s’y sont retrouvés, d’abord relayé par la branche rémoise de l’UNI et des ultras du stade de Reims, finalement s’y retrouveront aussi les membres de Remes Patriam et les MesOs pour déambuler en toute tranquillité avec croix celtique.

Ce vendredi 24 novembre 2023, la cité des sacres a été le lieu de rencontre de l’extrême droite régionale, rassemblant lepénistes, zemmouristes, royalistes, mais avant tout identitaires, et parfois néonazis. Pendant près d’une heure, environ 70 personnes ont déambulé dans le proche centre en scandant bras tendus slogans identitaires, nationalistes et racistes, sans être inquiétés par la police ni la municipalité. Rétrospective.

Reims légendaire, Reims réactionnaire, Reims identitaire

Le 22 novembre, un appel à se rassembler le 24 novembre à 21 heures au parking du Boulingrin de Reims est d’abord partagé sur la page Instagram Français réveillez-vous, avant d’être relayé sur certains canaux Telegram à tendance identitaire, parfois clairement néonazie. Le rassemblement a officiellement pour but de rendre hommage à Thomas, le jeune homme assassiné à Crépol le 19 novembre. L’appel sera notamment relayé par la branche rémoise de l’UNI (syndicat étudiant d’extrême droite) et de nombreux jeunes Ultrems - les ultras du stade de Reims, en principe apolitiques, mais en réalité très marqués à l’extrême droite.

C’est peu avant 21 heures, l’heure prévue du rassemblement, que des personnes vêtues de noir, répondant à l’appel lancé sur les réseaux, s’attroupent à l’entrée des Halles du Boulingrin. Elles sont jeunes : aucune famille ni personne âgée n’est présente. En effet, et malgré certaines prétentions, cet appel relayé par des canaux nationalistes radicaux ne s’adressait pas aux personnes souhaitant seulement rendre hommage, mais plutôt à celles souhaitant agir de façon beaucoup plus concrète et réaliser un tour de force. Parmi les personnes présentes seront entre autres reconnus plusieurs Ultrems, certains hooligans néonazis des MesOs dont on ne présente plus les innombrables faits de violences, des membres de l’UNI et de Remes Patriam (groupuscule royaliste et identitaire connu pour des agressions et des conférences antisémites), ainsi que des militants de Laon et de Bordeaux. Le préfet et le maire ont été alertés en amont de leur présence, mais n’ont rien fait pour interdire le rassemblement. Les renseignements généraux (RG) sont déjà présents sur place.

Un des participants prend fièrement la pose devant le Boulingrin avec son bonnet Mysanthropic Division et s'anonymise avec des Totenkopf… avant de poster la photo sur son profil personnel public tout en y taguant son camarade. L'élite, on vous dit.
Un des participants prend fièrement la pose devant le Boulingrin avec son bonnet Mysanthropic Division et s’anonymise avec des Totenkopf… avant de poster la photo sur son profil personnel public tout en y taguant son camarade. L’élite, on vous dit.

À 21 heures, le groupe s’élance en direction de la mairie, située à une centaine de mètres, en scandant « Justice pour Thomas ». Du haut de leurs revendications, aucune banderole ne vient pourtant légitimer leur action. Aucune bougie ne vient éclairer leur marche, et aucune photo de Thomas ne se dresse au-dessus de leurs têtes. Quelques militants arborent cependant des croix celtiques et notamment des Totenkopf (insigne de la 3e division SS en charge des camps d’extermination nazis). Le groupe atteint la mairie, où il prendra fièrement la pose sur le parvis en arborant notamment un drapeau noir frappé de la croix celtique et en chantant la Marseillaise. S’en suit une altercation avec une personne noire isolée qui s’approche un peu trop près du groupe. Des insultes et des invectives sont lancées, quelques tentatives de contact sont établies, avant que leurs protagonistes ne soient calmés par d’autres membres du groupe, visiblement désireux de faire profil bas. Certaines personnes s’éloigneront en faisant des cris de singe. Sans nul doute un bel hommage à Thomas le rugbyman, au sport et à ses valeurs d’inclusivité, de respect et d’égalité.

On distingue ici clairement les cagoules des MesOs, plusieurs têtes familières, mais aucune référence à Thomas
On distingue ici clairement les cagoules des MesOs, plusieurs têtes familières, mais aucune référence à Thomas

Le groupe traverse la place du Forum avant de se diriger vers la cathédrale de Reims, le monument le plus emblématique de la ville, afin de s’y regrouper pour une séance de photos et vidéos destinées à leurs médias. Sur le chemin, sont craqués quelques fumigènes et scandés des slogans dont la signification est sans ambiguïté : « Bleu, blanc, rouge, la France aux Français », « On est chez nous », « Islam hors d’Europe », « La rue, la France, nous appartient », ou encore « Europe, Jeunesse Révolution » - le slogan du Groupe Union Défense, ce groupe néonazi révolutionnaire réactivé en 2022 et tristement célèbre pour d’innombrables faits de violences et d’agressions.

Une fois devant la cathédrale, le groupe forme une ligne devant ses portes. Au centre y est à nouveau exhibée la croix celtique. Sur les photos et les vidéos fièrement partagées sur les réseaux, on peut reconnaître les cagoules blanc et rouge des hooligans des MesOs, un cache-cou frappé du logo de la Bastide Bordelaise, ainsi que quelques autres têtes bien connues. La police en civil reste quant à elle tranquillement en retrait du cortège, accompagnée d’une camionnette banalisée. Là encore sont scandés des « La France aux Français », « On est chez nous », « Europe, Jeunesse, Révolution », et « Justice pour Thomas ». Et là encore, presque rien hormis ce dernier slogan ne permet au passant ou au touriste avoisinant de deviner la prétendue nature du rassemblement : on n’y voit toujours aucune banderole, aucune photo, aucune bougie, et l’action semble davantage témoigner de la volonté des participants à rejeter avant tout l’islam et les étrangers qu’à véritablement rendre hommage. Le groupe reste un moment sur place pour faire le plein de photos et de vidéos, le tout sous l’œil complaisant de la police, des RG et des caméras des opérateurs du Centre Urbain de Surveillance (CSU).

L'ange au sourire doit tirer une sacrée tête devant des valeurs si contraires à celles de l'Église.
L’ange au sourire doit tirer une sacrée tête devant des valeurs si contraires à celles de l’Église.

Le groupe se remet en route, traverse le parvis, et rejoint la rue Libergier, en continuant de chanter et de scander pour faire remarquer sa présence. Il bifurque ensuite Rue des Capucins, en direction du centre, fumigènes en main et toujours suivi par la police. Il s’arrête finalement quelques mètres plus loin au bar Monsieur le Zinc, où une partie des participants demeureront le reste de la soirée. La police procèdera à quelques contrôles d’identité, sans suite. Une partie des participants se disperse dans le centre et dans les bars avoisinants pour continuer la soirée, pendant qu’une camionnette de la police et les RG restent quelque temps à l’intersection pour surveiller le rassemblement. Plusieurs personnes témoignent de la présence d’un ou plusieurs groupes d’une dizaine de personnes excitées rôdant dans le centre vers 23 heures. Des slogans seront entendus dans le centre jusque 2 heures du matin. Aucune interpellation et aucune dispersion n’aura été effectuée par les forces de police tout au long du rassemblement et du reste de la soirée. Notons toutefois que le groupe n’aura arpenté que des rues et des places majoritairement vides en raison du froid et de la météo, qu’il ne s’est rendu ni sur le marché de Noël, ni sur la Place d’Erlon, ni sur la Rue de Vesle, et encore moins près des quartiers que ses membres abhorrent. Courageux, mais pas trop.

1. Tenant le drapeau à croix celtique, Hugo C., membre de la Bastide Bordelaise dont il porte ce soir-là le cache-cou.
1. Tenant le drapeau à croix celtique, Hugo C., membre de la Bastide Bordelaise dont il porte ce soir-là le cache-cou.
2. Au mégaphone, Honorin D., membre des MesOs.
2. Au mégaphone, Honorin D., membre des MesOs.
3. Cagoule des MesOs et des Jeunes MesOs (ou JMS).
3. Cagoule des MesOs et des Jeunes MesOs (ou JMS).

Une maigre couverture médiatique, et un maire complètement hors sol

Dans la nuit et le lendemain, les photos et vidéos du rassemblement prises par les personnes présentes commencent à être relayées sur X, TikTok et Snapchat. Comme à son habitude, le journal local l’Union publie d’abord un premier article bien éloigné de la réalité, évoquant un simple hommage rassemblant deux fois moins de participants qu’il n’y en avait en réalité et ne mentionnant pas la présence de la croix celtique ni les chants identitaires et racistes. Un article mis à jour sera republié plus tard dans la journée, informant cette fois de la nature politique du rassemblement, ainsi que de la présence et de la nature des MesOs rémois. France Bleu publiera un autre article plus détaillé dans la journée. France 3 Grand Est publiera enfin le dimanche 26 novembre un article relativement complet expliquant plus en détail le déroulement de la soirée et la nature du rassemblement. Aucun article n’évoque toutefois les slogans du GUD ni le nombre réel de participants - 50 d’après la presse, 90 d’après les participants, en réalité près de 70 au vu des photos et vidéos prises devant la cathédrale.

Le maire de la ville Arnaud Robinet, d’ordinaire si réactif sur les réseaux, a d’abord semblé plus préoccupé de mettre en avant le marché de Noël ouvert la veille que de communiquer sur le rassemblement dont il avait pourtant été informé. Interpellé sur X par le responsable syndical local de la CGT, il finira par sortir de son silence en commençant par tacler… l’extrême gauche, sa cible préférée et systématique sur les réseaux, et qui comprend visiblement tout ce qui se situe à gauche de son spectre politique. Il se contentera ensuite de « condamner » publiquement le rassemblement à travers deux simples tweets.

Vu et s'en tape. Les identitaires et les néonazis inquiets devant tant de fermeté.
Vu et s’en tape. Les identitaires et les néonazis inquiets devant tant de fermeté.
Hâte de voir l'extrême droite expulsée de France.
Hâte de voir l’extrême droite expulsée de France.

Rappelons entre autres (la liste complète serait trop longue) qu’il n’a au mois d’octobre pas hésité à s’en prendre aux représentants LFI sur X chaque fois qu’il en avait l’occasion, à amalgamer les manifestations de soutien au peuple palestinien en les qualifiant de manifestations antisémites et à systématiquement solliciter le préfet pour les faire interdire, tandis qu’il invitait dans le même temps le RN à venir manifester à ses côtés contre l’antisémitisme, feignant visiblement d’oublier les origines et les connivences de ce parti. En comparaison, le maire ne considère visiblement pas la présence de militants arborant des symboles néonazis dans sa ville comme une menace suffisamment inquiétante pour faire interdire leur rassemblement. Il affirmera le 29 novembre sur BFM avoir été « extrêmement choqué » par la manifestation… avant de s’attaquer immédiatement encore une fois à « l’extrême gauche », qui l’aurait critiqué pour son absence d’intervention. Et comme pour minimiser et justifier son inaction, il se contente de dénoncer les maires des autres villes de France qui n’ont également pas empêché les rassemblements de l’extrême droite... La pertinence et la maturité de l’argument « mes camarades de classe non plus n’ont pas fait leurs devoirs » a de quoi en réduire plus d’un.e au silence.

Le maire semble en tout cas trop occupé à s’en prendre à tout ce qui lui semble être de gauche pour combattre l’extrême droite et l’implantation de groupuscules identitaires et néonazis dans sa ville, et ce depuis son premier mandat, montrant là encore sa complète inculture politique (l’islamisme partageant davantage les valeurs de l’extrême droite que celles de la gauche, pour sa gouverne), et son refus en âme et conscience de combattre des idéologies mortifères et suprémacistes sauf quand elles sont associées aux musulman.es. On ose imaginer que sa réaction eut été bien différente si un groupe de gauche ou une manifestation de soutien à la Palestine avait réalisé une marche similaire…

Un argumentaire de niveau CE2 à ne pas reproduire chez vous.
Un argumentaire de niveau CE2 à ne pas reproduire chez vous.

Le 27 novembre, la préfecture de la Marne déclare ouvrir une enquête pour « provocation à la haine raciale et apologie de crime contre l’humanité », et « organisation d’une manifestation non déclarée ». Vent de panique chez les participants du rassemblement : de nombreuses photos, vidéos et publications sont retirées, plusieurs profils passent en privé. Nul doute que l’enquête sera rondement menée grâce aux innombrables caméras de surveillance du centre-ville qui font la fierté du maire et de ses adjoint.es, et qui permettront d’identifier et de sanctionner rapidement les nombreuses personnes n’ayant pas daigné se dissimuler. La gueule de bois est dure lorsque le réel vous rattrape.

Source: https://manif-est.info/A-Reims-l-ex...