Xavier Dor, fondateur et président jusqu’en 2016 du mouvement SOS Tout-Petits, est décédé le 4 avril dernier à l’âge de 91 ans. Alors que les hommages se multiplient sur les sites nationaux-catholiques, et que certains sur les réseaux sociaux aimeraient en faire un saint, nous tenions à proposer un portrait plus nuancé du parcours et de la personnalité de ce militant anti-IVG.

Xavier Dor
Xavier Dor en mai 2017

Sa famille

Issu de la bourgeoisie, Xavier Dor va se retrouver par son mariage avec Françoise Dugé de Bernonville relié aux nostalgiques du régime de Vichy. En effet, son beau-père, Jacques de Bernonville, militaire de profession, a été royaliste, cagoulard et collaborateur dans la France occupée par l’armée allemande (à partir de l’été 1940). Pour encourager les hommes sous ses ordres à exécuter des résistants sans remords, il a prononcé cette phrase restée célèbre : « Visez juste mais sans haine, car il s’agit de vos frères. »

En tant que cadre de la Milice et volontaire Waffen-SS, il écope d’une condamnation à mort en 1946. Il réussit à y échapper en entrant secrètement au Canada où il vit sous une fausse identité en compagnie de son épouse et de leurs filles. Repéré au bout de quelques années, il trouve ensuite refuge au Brésil où il passe le reste de sa vie, sans avoir à subir un procès en France.

Son combat contre l’iVG

Si Xavier Dor a mené une carrière de médecin pendant des décennies sans trop faire parler de lui, la structuration d’un réseau anti-IVG en France (calqué sur le modèle nord-américain) au cours des années 1980 est pour lui l’occasion de devenir un des militants de cette cause les plus connus en France. En 1986, il participe à la création du mouvement SOS Tout-Petits dans le but de dénoncer l’encadrement légal de l’accès à l’IVG, et tenter de remettre en cause celui-ci par des actions plus ou moins symboliques, les plus connues étant celles ayant lieu à proximité ou directement dans les centres d’IVG. SOS Tout-Petits et La Trêve de Dieu sont alors les principaux mouvements dont les actions obligent à faire apparaître la notion « d’entrave à l’IVG » dans le droit français en 1993.

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Loin de se décourager et encore moins capable de douter une seule seconde du bien fondé de son combat, Xavier Dor ne changera pas de mode d’action. C’est ainsi qu’au total, il cumule une douzaine de condamnations au tribunal : l’une d’entre elles finit par le faire dormir quelques nuits derrière les barreaux. Avant son incarcération, il tente en vitesse d’aller demander l’asile auprès des représentants du Vatican à Paris. Mais contrairement à son beau-père, il n’obtient pas gain de cause et ne peut échapper à la justice française. En même temps, pour ce catholique intégriste, se tourner vers le Vatican, c’était un peu l’hôpital qui se foutait de la charité (dans tout les sens du terme !).

Il a par ailleurs été adhérent au FN au cours des années 1980-1990. Mais jugeant l’orientation du parti trop « soft » à son goût (surtout en ce qui concerne les questions liées à l’IVG évidemment), il finit par critiquer durement le parti, comme un certain nombre de nationalistes de sa génération.

SOS tout petits Civitas-min

Sur les dernières années de sa vie, on l’a également vu se mobiliser contre les vaccins, la PMA, la GPA... La longévité et l’entêtement de l’homme font grandir jusqu’à sa mort sa réputation dans les milieux catholiques intégristes et dans une partie des milieux d’extrême droite.

Sa vision du monde

Xavier Dor ne s’est pas contenté d’affirmer publiquement souhaiter que l’ensemble des grossesses aillent jusqu’à leur terme. Non, il s’est surtout attelé à essayer de montrer en quoi l’encadrement légal de l’IVG devait être une question politique centrale pour les nationalistes.

Le raisonnement de nombreux nationaux-catholiques est le suivant : les responsables politiques légiférant sur l’IVG seraient manipulés par les franc-maçons, eux-mêmes infiltrés par les Juifs, eux-mêmes responsables de la plupart des malheurs du monde depuis quelques millénaires. D’un coup, le combat contre l’IVG passe d’une question de santé publique à une affaire de civilisation. À ce sujet, Dor déclarait par exemple : « Il y a une responsabilité très grande du judaïsme dans l’état actuel de la société, pas seulement la nôtre mais dans le monde entier. » Pour faire le lien entre le judaïsme et l’IVG, il a plus d’une fois comparé (et relativisé) le génocide juif avec l’avortement. Procédure autant problématique politiquement que discutable scientifiquement. Et comme pour se victimiser, il regrettait que de nos jours « on peut tuer des enfants mais attention, on ne touche pas au peuple juif ! » Étonnamment, Xavier Dor réfutait pourtant être antisémite et disait « on ne peut pas nous accuser d’antisémitisme, c’est une impossibilité totale.3 » Parmi les arguments qu’il agitait face à l’accusation d’antisémitisme, on retrouvait le fait qu’il ait milité dans SOS Tout-Petits aux côtés de Rolande Birgy, une ancienne résistante ayant sauvé des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale (l’ultime caution du mouvement) ou encore qu’il avait « un ami juif ».

Et pourtant… Xavier Dor, en tant que porte parole médiatique des réseaux anti-IVG, est devenu au fil des ans un personnage plus ou moins médiatique, ce qui lui a valu d’apparaître dans plusieurs reportages à la télévision ou sur le web : or les images parlent d’elles-mêmes.

On peut citer « La position du missionnaire » diffusé dans l’émission Strip-Tease en 1995 : en un quart d’heure, on retrouve un condensé du discours de Xavier Dor. Entre citation du Marchéal Pétain et « révélations » sur un complot judéo-maçonnique, Dor est à son aise et tout sourire, comme à son habitude. A un moment du film, alors qu’il cherche à entrer dans un centre d’IVG pour mener une action, il se retrouve par erreur dans une maternité. Un des moments les plus ironiques de sa carrière médiatique…

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Plus révélateur encore, dans un reportage de la web-série Quarks en 2013, on le voit lors d’une prière de rue débattre avec une passante au sujet de la prétendue joie qu’avaient les enfants juifs lorsqu’ils montaient dans le train qui les emmenait vers les camps de la mort. Florilège des arguments avancés au cours de la discussion à propos de la Shoah : « Oui mais ça on savait pas », « Je vois que vous n’êtes pas historienne ! », « Les petits juifs eux-mêmes disaient qu’ils partaient à Pitchipoï et Pitchipoï était un paradis... ils savaient pas très bien... » etc.

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Xavier Dor, bien qu’il s’en défendait, n’hésitait pourtant pas à reprendre des théories du complot, pour désigner les Juifs à la manœuvre d’une "gouvernance mondiale", dénoncer les campagnes de vaccination ou encore, plus spécifique, les secrets du Vatican sur les "révélations" de Fatima. Dor cherche ainsi toujours à expliquer les choses sous le prisme de la manipulation : la république, l’église catholique romaine, les immigrés, les personnes LGBT, etc. Tout serait manipulé par différents groupes occultes, et, in fine , par le Diable.

Vous l’aurez compris, Xavier Dor ne manquera pas aux antifascistes. Ses interprétations complotistes ou ses blagues douteuses (comme lorsqu’il donnait le chiffre en allemand quand un journaliste lui demandait son âge) ne nous manqueront pas non plus. Pour autant, il laisse derrière lui l’héritage d’une certaine radicalité, qui continuera sans doute d’inspirer certains militants de SOS Tout-Petits, mouvement toujours vivant, voire revigoré par l’apparition des réseaux issus de La Manif Pour Tous en 2013. La vigilance à l’égard de SOS Tout-Petits et des nationaux-catholiques en général reste donc de mise.

La Horde