Une analyse du texte laissé par Dominique Venner avant son suicide à Notre-Dame, par le groupe Memorial 98 .

Venner

La mise à mort spectaculaire et théâtralisée exécutée sur lui-même par le vétéran fasciste Dominique Venner revêt un caractère particulier en cette période de radicalisation à droite et à l’extrême-droite, notamment dans les manifestations contre le mariage pour tous.
C’est d’ailleurs aux manifestants du 26 mai et particulièrement aux plus jeunes d’entre eux que s’adresse son dernier article publié sur son blog quelques heures avant de se tirer une balle dans la bouche, et dont nous reproduisons ici une partie.
Il est important de lire attentivement cette prose et d’analyser les thèmes qu’elle porte, à commencer par le « blogueur algérien » qui l’ouvre et qui constitue une référence directe au long combat de Venner pour l’Algérie Française, y compris dans sa version terroriste de l’OAS :
Extrait : « La manif du 26 mai et Heidegger
Les manifestants du 26 mai auront raison de crier leur impatience et leur colère. Une loi infâme, une fois votée, peut toujours être abrogée.
Je viens d’écouter un blogueur algérien : « De toute façon, disait-il, dans quinze ans les islamistes seront au pouvoir en France et il supprimeront cette loi ». Non pour nous faire plaisir, on s’en doute, mais parce qu’elle est contraire à la charia (loi islamique).
C’est bien le seul point commun, superficiellement, entre la tradition européenne (qui respecte la femme) et l’islam (qui ne la respecte pas). Mais l’affirmation péremptoire de cet Algérien fait froid dans le dos. Ses conséquences serraient autrement géantes et catastrophiques que la détestable loi Taubira.
Il faut bien voir qu’une France tombée au pouvoir des islamistes fait partie des probabilités. Depuis 40 ans, les politiciens et gouvernements de tous les partis (sauf le FN), ainsi que le patronat et l’Église, y ont travaillé activement, en accélérant par tous les moyens l’immigration afro-maghrébine. Depuis longtemps, de grands écrivains ont sonné l’alarme, à commencer par Jean Raspail dans son prophétique Camp des Saints dont la nouvelle édition connait des tirages record.
Les manifestants du 26 mai ne peuvent ignorer cette réalité. Leur combat ne peut se limiter au refus du mariage gay. Le « grand remplacement » de population de la France et de l’Europe, dénoncé par l’écrivain Renaud Camus, est un péril autrement catastrophique pour l’avenir.
Il ne suffira pas d’organiser de gentilles manifestations de rue pour l’empêcher. C’est à une véritable « réforme intellectuelle et morale », comme disait Renan, qu’il faudrait d’abord procéder. Elle devrait permettre une reconquête de la mémoire identitaire française et européenne, dont le besoin n’est pas encore nettement perçu.
Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes. Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines… »
En allant à l’essentiel, le message de Venner se résume à un thème unique : contre l’ « envahissement » par les musulmans, une nouvelle croisade débute (et dans son propre cas se poursuit depuis des dizaines d’années) ; il faut donc « agir » c’est-à-dire utiliser la violence, les armes.
Dans sa situation particulière (âge, état de santé), il choisit de se supprimer lui-même afin de donner l’exemple et d’inciter à dépasser les « gentilles manifestations de rue ». Malgré des circonstances tout à fait différentes, l’acte de Venner fait penser au massacre mis en oeuvre par Anders Breivik en Norvège (voir Norvège : comprendre l’horreur.) Leur idées étaient fort ressemblantes et portaient sur l’"envahissement" de l’Europe par des populations immigrées et la lutte contre le « multiculturalisme ». On notera d’ailleurs la mise en garde de l’ avocat qui a accepté de défendre Breivik, Geir Lippestad. En tant qu’avocat et que membre du parti social-démocrate, il a défendu le droit de l’extrémiste à s’exprimer, estimant que le débat ouvert reste l’arme la plus efficace contre son discours.
Lippestad s’inquiète dans un livre récent, de voir le tueur d’Oslo devenir un "personnage culte. Il écrit : "… Quand on voit des images de Russie, des Etats-Unis, d’Angleterre, d’Allemagne, de Grèce, de Suède et d’autres pays où il a des supporters, Breivik est indubitablement en train de devenir un modèle qui peut influencer d’autres personnes à avoir des pensées, des idées et des projets qui à terme peuvent muer des jeunes gens en terroristes et non pas en citoyens respectueux de la loi ". On notera à ce propos que le dernier ouvrage de Dominique Venner a été publié l’an dernier par Pierre Guillaume de Roux, éditeur qui s’était fait connaître en publiant en août 2012 l’Eloge littéraire d’Anders Breivik, essai polémique de Richard Millet présentant favorablement le tueur norvégien d’extrême-droite. Dominique Venner devait publier en juin chez ce même éditeur son prochain livre, intitulé Un samouraï dOccident, Le bréviaire des insoumis.
Il est probable que ceux qui dans les mouvances radicales de droite ont la sensation de vivre un combat historique contre la « décadence » prendront au sérieux cet appel et chercheront à s’initier aux thèmes développés par Venner. Notons ainsi que les oeuvres d’un autre fasciste suicidé l’écrivain Drieu de la Rochelle, qui fut membre du parti pronazi PPF de Doriot (comme le père de Dominique Venner ) se diffusent bien au-delà des cercles d’extrême-droite, soixante ans après sa mort, notamment en raison de l’aura romantique lié à son suicide, à la fin de la guerre le 15 mars 1945. Il y a fort à parier d’ailleurs que parmi les motivations de Venner, figurait aussi celle de laisser un nom dans l’Histoire, et de ne pas être confiné à ce qu’il fut longtemps c’est-à-dire une éminence grise uniquement connue des historiens spécialisés et de sa propre mouvance politique.
Dominique Venner a joué un rôle crucial à l’extrême droite. Il fonde en 1954, avec Pierre Sidos, symbole pétainiste, le mouvement Jeune Nation. Ce mouvement s’investit totalement dans le combat pour l’Algérie française et se fait dissoudre le 15 mai 1958. Ses militants rejoignent l’OAS. Dominique Venner et Pierre Sidos seront incarcérés. En 1963, à sa sortie de prison, il fonde le mouvement Europe-Action qui aura une influence déterminante sur la Fédération des étudiants nationalistes (FEN), la matrice dont sortira le groupe Occident. Déjà à cette époque Dominique Venner exerce un magistère intellectuel sur de futurs cadres de l’extrême droite de la fin des années 1960, qui se nomment François d’Orcival, Alain Madelin, Gérard Longuet. Il fut ensuite l’inventeur et l’esprit central de la Nouvelle Droite dans les années 1970, qui prône l’anti-égalitarisme, l’opposition au multiculturalisme. Il a joué un rôle éminent dans le GRECE, chargé de diffuser la pensée racialiste d’extrême-droite dans les milieux politiques et intellectuels et qui fut notamment à l’origine des initiatives contre le droit du sol (voir sur ce thème Copé : au-delà de la provocation )
Les élégies complaisantes à propos de Venner n’ont pas tardé. Elles rendent compte des vieilles solidarités qui ont vu des militants d’extrême-droite investir des journaux comme Le Figaro. Mais l’élément essentiel est lié au contexte politique de radicalisation à droite que nous avons mentionnée. C’est ainsi que s’explique la réaction immédiate de Marine Le Pen qui consiste à revendiquer une continuité avec le théoricien fasciste le plus marquant de la période d’après-guerre en déclarant : « Tout notre respect à Dominique Venner dont le dernier geste, éminemment politique, aura été de tenter de réveiller le peuple de France. ». Des responsables de la droite de l’UMP comme Mariani mais aussi Mariton, héraut parlementaire du combat contre le mariage pour tous ont eux aussi rendu hommage à Venner, en passant sous silence son engagement fasciste enraciné.