Turquie : témoignage d’un premier mai sous pression

Deux militantEs vivant à Istanbul depuis août 2014 nous ont fait parvenir ce témoignage, daté du dimanche 3 mai, pour partager avec les personnes vivant en France, l’expérience du 1er mai 2015 dans cette ville.

Nous n’avons jamais vu un dispositif policier aussi important qu’au 1er mai à Istanbul. Toutes les rues allant à la place Taksim étaient bloquées. Les arrondissements se trouvant entre 5 et 7 km de la place étaient totalement interdits d’accès. 25 000 policiers ont été mobilisés.

Pas de bus, pas de ferry, ni de métro... tous les transports en commun étaient supprimés. Les hélicoptères tournaient... l’ambiance était très pesante, l’atmosphère lourde... une forte répression.. comme si nous étions en état de siège...

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Nous avions rendez-vous à 11h à Sisli, un quartier qui se trouve à 5 km de Taksim. Nous avons pris le taxi pour y aller, car en effet à pied nous avions droit à des contrôles d’identité et des fouilles systématiques... De nombreuses arrestations ont commencé très tôt dans la matinée.

Tant bien que mal, nous avons réussi à aller à Sisli, avec des détours, car la plupart des rues étaient barricadées, bloquées par les flics. Le taxi nous a laissé à quelques minutes de la place et nous avons du continuer à pied car il ne pouvait pas aller plus loin. Arrivés à quelques mètres de la place qu’on devait traverser pour rejoindre nos camarades, nous nous sommes retrouvéEs face à des barrières anti-émeute ainsi qu’aux flics qui vont avec. Nous avons essayé de contourner, de trouver des alternatives pour accéder à la place  : impossible  !

Plusieurs groupes de dizaines de fascistes tournaient et ils nous ont reluquéEs plusieurs fois. Un bon nombre de policiers en civil était également présents. Dans certains quartier les fascistes ont attaqués les manifestantEs à coups de bâton.

A 11h nous avons un dernier appel de notre ami du groupe que nous devions rejoindre, qui nous dit qu’ils se sont fait encerclés par les flics, qu’il ne peut pas nous parler pour l’instant et qu’il nous rappellera plus tard. Ce fut notre dernier contact avec lui. Nous n’avons plus eu de nouvelles, sauf un message nous disant qu’il s’était fait arrêter. Nous avons tenter de rejoindre d’autres groupes. On a commencé à tourner en rond. L’ambiance était très bizarre, la ville était totalement déserte, pas de voiture dans les rues, pas de klaxons habituels ni même de manifestants.

Besiktas

Nous nous sommes alors dirigés vers Sisli-cevahir, puis Osmanbey, Nisantasi afin d’essayer de trouver des groupes de manifestants, mais en vain. Le 1er mai dont nous rêvions ne se passait pas du tout comme nous aurions penser  ! La police a totalement réussi à canaliser, à arrêter et à empêcher le moindre regroupement de manifestantEs à partir de 6h du matin. Après deux heures de marches, nous avons alors rencontrés quelques camarades sur la route, qui étaient eux aussi à la recherches des manifestantEs. Nous les avons suivis et nous sommes arrivés à Besiktas où quelques 1500-2000 personnes étaient présentes. Les manifestantEs étaient entouréEs par les CRS, les canons à eau, etc. Certains policiers avaient des armes automatiques à la main (notamment des kalachnikovs...). Des bus vides étaient prévus pour les arrestations, un nombre inimaginable de policiers était sur place...

Besiktas 2

Nous avons rejoint le rassemblement, l’ambiance était bon enfant, les manifestants faisaient du « Halay  » (danse traditionnelle turque) en chantant, en lançant des slogans. Nous étions contents de retrouver enfin du monde. Après 15 minutes à peine, les flics sont intervenus, on ne sait pas pourquoi, mais ils ont commencé à charger, gazer, à tirer avec des balles en plastique sur les manifestantEs et à utiliser les canons à eau tout en intervenant de chaque coté de la rue, prenant ainsi le cortège en étau. C’était la panique, les gens ont commencé à courir partout, dans tous les sens. Nous avons suivi un groupe et nous nous sommes réfugiés dans un café avec une centaine de personnes. La police a forcé la porte d’en bas pour rentrer, mais les manifestantEs les en ont empêchés. Je n’imagine pas la situation s’ils étaient rentrés et intervenus avec des gaz lacrymogènes dans un endroit fermé où plus de 100 personnes étaient présentes.

Flics toit

L’ambiance à l’intérieur était tendue, les gens criaient, se disputaient, quelques unEs toussaient à cause des gaz, d’autres étaient blesséEs... Nous sommes restéEs une demi-heure bloquéEs. Nous avons fait des petits groupes afin de quitter tout doucement le café. Tout cela est arrivé aux alentours de 14h. Nous avons appris par la suite que les policiers ont cassé la fenêtre d’une habitation pour rentrer et intervenir, ils sont montés sur les toits pour arrêter les manifestantEs qui s’y étaient réfugiéEs.

Okmeydani

Une personne a pris un coup de couteau par des fascistes en fuyant l’attaque des policiers (on voit des vidéos où certains fascistes sont avec des bâtons à coté des policiers en train de traquer les manifestants). Quelques manifestantEs ont réponduEs par des feux d’artifices, mais les flics ont réussi à disperser la foule et à attraper des petits groupes de militantEs. Dans d’autres quartiers, comme Okmeydani (là où le jeune Berkin Elvan a été tué par les flics pendant le mouvement de gezi park) il y a eu des affrontements entre les manifestantEs et les policiers.

Taksim...

Taksim

Aux alentours de midi, un groupe de 25-30 personnes du parti communiste turque a fait irruption sur la place Taksim. Ils s’étaient cachés la veille dans un bâtiment à côté de la place et ils ont surpris les policiers. Évidemment, l’intervention fut musclée, ils/elles se sont touTEs faitEs frappéEs et arrêtéEs. Ce sont les seules personnes qui ont pu accéder à la place Taksim...

La personne qui s’est fait poignarder est encore en danger de mort. Son agresseur est libre, il doit juste pointer au commissariat le mardi et jeudi.

Turquie répression

Nous n’avons toujours pas de nouvelles de notre ami à ce jour (dimanche 3 mai). Il y a encore 235 personnes en garde à vue dont 5 personnes condamnées à des peines d’emprisonnement. Ils n’ont pas assez de place pour accueillir les manifestantEs, du coup ils sont entasséEs dans des petits lieux, où l’air se fait rare. CertainEs ont entamé une grève de la faim. Avec le nouveau « pacte sécurité intérieur  » les flics ont plus de pouvoir et on peut prendre des peines d’emprisonnements pour tout et n’importe quoi. Beaucoup de journalistes sont également en garde à vue et ont été blesséEs et empêchéEs de faire leur travail.

Depuis l’élection du président islamiste Erdogan, la Turquie sombre de plus en plus dans une forme de dictature fascisante. Les libertés ne sont clairement pas respectées. La censure est souvent appliquée, surtout lors d’événements importants comme le 1er mai. Grâce aux nouvelles lois récemment passées, la police a le plein pouvoir, sans même devoir passer par un procureur. Ils peuvent tirer à balle réelle sur les manifestants... Beaucoup de personnes finissent en prison pour « insulte  » au président de la république. On peut être jugé pour « terrorisme  » juste parce que nous portons un badge, une affiche, un drapeau ou un foulard sur le visage.

Contre le fascisme, la dictature et face à la répression, la censure qui en découlent, mobilisons nous tou(te)s ensemble.

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Solidarité avec les militantEs turques. A.C.A.B.
B&T