Thierry Meyssan et les théories du complot

Le site Cerises a publié récemment une interview de Gilles Alfonsi, l’un des administrateurs du Réseau Voltaire avant que celui-ci ne bascule dans le complotisme, dans le sillage de son fondateur Thierry Meyssan qui s’est encore fait récemment remarquer en expliquant, au lendemain de l’attentat de Charlie hebdo , qu’il s’agissait d’un coup monté par la CIA. La preuve ? Les assaillants " n’étaient pas vêtus à la mode des jihadistes" ! Pour mieux comprendre l’évolution du personnage, voici quelques extraits de cette interview dans lesquels Alfonsi explique ce qui s’est passé selon lui chez Meyssan au lendemain du 11 septembre 2001, et qui offre des pistes intéressantes sur l’intérêt qu’il peut y avoir pour certains refoulés de la politique à s’engouffrer dans la voie du complotisme, et plus largement sur les raisons qui expliquent l’attraction exercée par les théories du complot.

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Thierry Meyssan

Gilles Alfonsi  :  Alors que, très vite, les États-Unis se sont engagés dans la "guerre des civilisations", mobilisant bientôt leurs énormes moyens militaires en Irak, être dépositaire d’une version des évènements du 11 septembre susceptible peut-être de changer du tout au tout le cours de l’histoire était pour le futur président directeur général du Réseau Voltaire l’affaire de sa vie. Pour un intriguant de haut vol, qui avait échoué jusque-là à jouer le rôle politique auquel il aspirait depuis longtemps, ce fut peut-être un point de bascule. Le terreau d’une certaine vision du monde était là, mais c’est dans les mois qui ont suivi la parution de L’effroyable imposture que le Réseau Voltaire "nouvelle formule" a trouvé comme alliés des régimes autoritaires, des anti-Américains haineux, des rouges-bruns inquiétants (capables de signer des menaces de mort), des antisémites. Ce qui n’a pas changé, c’est qu’il a toujours voulu être un porteur de vérité, et si possible LE porteur de LA vérité, cela dit sans vouloir faire de la psychologie à deux sous. Il a d’un seul coup été propulsé comme "personnalité mondiale", disposant de moyens considérables pour présenter ses vues. Ce qui, par contre, a changé, c’est qu’il a rompu à la fois avec ses convictions initiales profondes. Et qu’il est devenu à la fois un petit menteur et un grand imposteur sans scrupule.
Peux-tu démontrer cela ?
Oui, au travers d’un exemple, un "petit" mensonge. Chacun peut le trouver encore à ce jour [le 30 janvier 2015] dans la page de wikipedia consacrée à Thierry Meyssan. Celui-ci présente ainsi les débats au sein du Réseau : « J’ai eu la surprise de constater que certains de nos administrateurs, sincèrement engagés dans la lutte contre le racisme, défendaient des principes opposés lorsqu’il s’agissait du Proche-Orient. Là-bas, ils se satisfaisaient très bien de l’apartheid israélien. Notre conseil d’administration est devenu un champ de bataille. En définitive, les administrateurs sionistes ont été mis en minorité. Ils ont démissionné, les uns après les autres, non sans insulter avec un acharnement particulier un de nos administrateurs qui est juif antisioniste. » Eh bien, Thierry Meyssan sait parfaitement que les trois administrateurs qu’il met ainsi en cause ne sont pas des pro-sionistes mais au contraire des militants engagés aux côtés du peuple palestinien. Il ment donc effrontément, et ce faisant il sort complètement du registre du désaccord ou même de la vaine polémique, pour entrer dans celui de la manipulation. En nous faisant passer pour des sionistes et en présentant l’un de ses proches comme un "juif antisioniste" (comme Jean-Marie Le Pen montrait son Noir il y a quelques années pour montrer qu’il n’était pas raciste…), son but est de faire croire qu’il serait seulement antisioniste alors qu’il est aussi un allié des pires antisémites. Je prends cet exemple non parce qu’il montre une amitié honteusement trahie mais parce que ce "tout petit" arrangement de la réalité montre que, pour lui, la fin justifie désormais n’importe quels moyens. Notons au passage qu’en définitive il sert aussi, en miroir, les intérêts de ceux qui assimilent critique de la politique de l’État israélien et antisémitisme. C’est une faillite morale incommensurable. Bien sûr, d’autres aspects devraient être mis sur la table, par exemple : comment le Réseau Voltaire finance-t-il ses activités ? Quels sont les États qui le soutiennent, financent ses déplacements, ce site internet et ses traductions ? Quelles sont ses activités lucratives, portées par quelles structures ?
Comment fonctionnent les "théories" du complot ?
Dans le cas du Réseau Voltaire comme dans le cas d’Alain Soral, c’est un bricolage rhétorique plus ou moins habile qui combine : une vraie intelligence des enjeux politiques, des éléments de "bon sens populaire" (par opportunisme, car il faut plaire à presque tous), des "hypothèses" présentées avec l’assurance qui sied aux démonstrations les plus scientifiques, mais aussi des tartes à la crème formulées avec toute l’austérité nécessaire pour être considérées comme d’audacieuses pensées. Ainsi, il ne faut pas prendre ces démonstrations comme de simples imbécillités destinées à des gogos.

Cela me conduit à une remarque concernant l’analyse des faits de société. Quant on voit le clip réalisé par le gouvernement pour, dit-il, décourager les candidats séduits par le Djihad, entièrement assimilé à la "guerre sainte" alors que le Djihad a plusieurs définitions (dont beaucoup ne sont pas guerrières !), on se dit qu’il ne comprend pas que les discours extrémistes et les "théories du complot" sont parfois intelligentes, ou alors qu’il préfère faire semblant d’agir aux yeux du plus grand nombre plutôt qu’agir en profondeur. Sans parler du doute que l’on peut avoir sur l’utilisation d’images violentes pour… combattre la violence.

Les récits complotistes ont un écho car ils répondent à une demande de paroles et d’aventures dégagées des formes dominantes de médiatisation. Or, les marchants de complots ne sont pas autonomes et libres. Thierry Meyssan est appointé par des grands médias de régimes liberticides.

Dieudo:Meyssan

Si l’on veut aller plus loin dans la déconstruction des "théories du complot" , il faut considérer le fait qu’au total, ces manières de penser et de dire, y compris quand elles passent par de "l’humour", expriment une vision du monde et des rapports sociaux. L’une des raisons pour lesquelles ces récits marchent, même lorsque ce sont des histoires à dormir debout, c’est précisément qu’ils constituent des récits, ou si l’on veut des contes. Ils répondent à une demande de paroles et d’aventures dégagées des formes dominantes de médiatisation (pauvres, infantilisantes, manipulatrices), et cela en contrepoint à la crise des institutions et de la politique telle qu’elle est pratiquée généralement. Ainsi, le Réseau Voltaire et ses amis antisémites s’attachent à faire semblant de proposer à l’internaute de se rendre compte par lui-même, voire d’enquêter. Notons au passage que si on met de côté les mini-théories du complot - celles qui circulent spontanément sur le net de la part d’on ne sait qui, mais qui buzzent -, les Meyssan, Dieudonné ou Soral ne sont pas des nouveaux-nés de la politique mais des vieux routards de la parole. Ils ne sont pas des marginaux de toute éternité, mais au contraire, ils sont issus du sérail républicain, qu’ils haïssent faute d’y avoir été reconnus. De plus, ces marchants de complots ne sont pas ce qu’ils prétendent être : autonomes et libres. Thierry Meyssan est appointé par de grands médias de régimes liberticides, il est un instrument des États qui le soutiennent.

Ceci dit, les "théories" du complot ont d’énormes faiblesses. Quand on gratte un peu et qu’on va voir derrière telle ou telle affirmation, il y a beaucoup de vide, d’affirmations abracadabrantes, d’hypothèses injustifiées, qui devraient conduire à se demander toujours qui parle et avec quelles intentions. Et si le Net permet de faire circuler tout et n’importe quoi, il a aussi l’immense avantage de permettre à chacun de chercher, de se faire sa propre idée et d’aiguiser son esprit critique. Un autre aspect, c’est que beaucoup de citoyens aspirent à des rapports humains pacifiques, et non à une guerre de tous contre tous. Or, les théoriciens du complot sont des fauteurs de guerre, qui agissent en miroir des discours belliqueux des États, notamment des États-Unis. Un gros problème pour eux est que l’impasse de la guerre entre les cultures ou entre les civilisations est de plus en plus visible, et que nos sociétés expriment un immense besoin d’égalité et de fraternité, contre les politiques des États qui dominent. Et l’on peut ajouter que les "théories du complot" ont en commun leur silence sur la question centrale de l’égalité, pour une raison simple : elles n’ont rien à proposer pour l’avenir en la matière car elles n’existent qu’en désignant des bouc-émissaires, des ennemis.
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