Tchéquie : No han pasado !!

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Photo : Gustav Pursche

Depuis quelques mois, les manifestations anti-roms animées par des groupes nazis se multiplient en république tchèque, prenant comme base des faits divers dans lesquels des Roms seraient impliqués. Mais le 28 octobre, à Ostrava, rien ne s’est passé comme prévu...

Ostrava : 300 000 habitants, 400 km à l’est de Prague près de la frontière polonaise, l’ancien « cœur d’acier » de la Tchécoslovaquie communiste, aujourd’hui une ville en déshérence, avec un taux de chômage qui explose. Comme souvent dans ces cas là, les discours populistes de droite désignent les Roms comme responsables de tous les maux de la société. L’urbanisme n’est pas favorable aux Roms. La plupart ont été repoussés en périphérie, une sorte de banlieue dortoir avec un tas d’hôtels « sociaux » et de meublés aux loyers démesurés, souvent entre les mains d’une mafia Rom peu désireuse de voir la communauté se prendre en mains. Celle-ci subit la ségrégation non seulement au niveau du logement, mais aussi dans l’emploi, et les agressions racistes anti-Roms ont rarement un suivi judiciaire .

Les manifs nazis ont le soutien de la population

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L’extrême droite défile contre les Roms (photo : Gustav Pursche | visual-rebellion)

Depuis plusieurs mois, prétextant des faits divers dans lesquels des membres de la communauté seraient impliqués, les nazis appellent à des manifestations régulières sur plusieurs villes de Bohême du nord vers les quartiers roms, qui tout aussi régulièrement, se terminent en émeutes avec les flics qui leur barrent le passage. Depuis cet été, les nazis ont manifesté deux fois à Ostrava, mais aussi à Plzen, Usti nad Labem, Duchcov, Vitkov, Ceské Budejovice, Krupka et Varnsdorf, en tout une trentaine de marches depuis le début de l’année. Dans la plupart de ces localités où le sentiment anti-rom est très développé, une partie de la population participe aux manifestations. A Ceské Budejovice, les manifestations ont même démarré spontanément après une simple bagarre entre enfants, et les nazis s’y sont naturellement greffés. A Ostrava, la maire (politiquement indépendante des partis) a publiquement déclaré lors d’un de ces rassemblement : « il ne faut pas croire que la municipalité a une opinion différente de la votre ». Une déclaration qui équivaut à un soutien politique, surtout quand on voit sur une vidéo que ce sont les nazis qui tiennent le micro...
Ces derniers sont organisés dans le Parti ouvrier de la justice sociale (DSSS, qui a succédé au Parti ouvrier, DS, interdit en février 2010 pour racisme, xénophobie, chauvinisme et homophobie). Ce groupe a peu d’influence électorale et n’a aucun député, mais ses orateurs sont chaleureusement applaudis lors des rassemblements, tout comme les « Lions Tchèques », scission radicale du précédent. Les autorités évaluent à 4 000 le nombre de militants néo-nazis opérant dans le pays, dont 65 % âgés de moins de 25 ans, regroupés autour d’un noyau dur de quelque 400 éléments. La plupart ont laissé tomber le look bonehead pour une tenue plus national-autonome, voire simplement hooligan. Ils se fondent d’autant mieux dans la population sympathisante.

« Bloquons les Marches »

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Photo : Gustav Pursche | visual-rebellion

De par son importance et sa situation sociale, Ostrava est un symbole. Les manifestations impliquent plus de gens que dans les autres villes, et les militants nazis se déplacent nombreux. Le 28 octobre, jour de la fête nationale, ils étaient entre 200et 300, venus également de la Pologne voisine : triste solidarité internationale de la haine.
En face, l’initiative « Blokujeme »(bloquons les marches), un regroupement d’ONG, d’églises, d’organisations antifas, anarchistes et d’individus qui ne se contentent plus de faire du monitoring, mais se déplacent pour former des barrages humains et des activités dans les quartiers roms menacés (rassemblements, concerts, prises de paroles). Ce sont ces activités déclarées, bénéficiant donc d’une protection policière, toute relative, mais qui a permis lors des dernières tentatives nazies en août et en septembre la protection de fait des quartiers ou des immeubles menacés. Mais elles ne rassemblent que quelques dizaines de personnes : la mafia des proprios a interdit à leurs clients de sortir et se faire remarquer.
Le 28, l’association mixte Rom/Gadjé Konexe, incluse dans Blokujeme, va tenter une stratégie différente que celle du simple bouclier humain qui a montré ses limites ; par le biais de l’église, sympathisante, et de ces propres troupes, elle a contacté les victimes de violences, immunisées de la peur de la mafia locale et trop pauvre pour avoir quelque chose à perdre. Elle a tenté de mobiliser aussi la « classe moyenne » rom, également ennemie de la mafia des proprios et non dépendante. C’était un pari sans garantie.

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Photo : Gustav Pursche | visual-rebellion

Et pourtant, au moment où les petits groupes nazis qui ont débordé les flics ont commencé à apparaître en vue du quartier, ils ont vu soudain affluer vers eux une manifestation décidée de quelques 500 à 600 Roms sortis spontanément de leurs maisons, auxquels se sont joints les militants de Blokujeme, au cris de « Blancs et noirs, ensemble pour faire front » ! « Nous sommes des Tchèques « (réponse au slogan nazi « La Tchéquie aux Tchèques »), « Non au racisme », « Nous voulons vivre »...
Ce fut la panique ! Les témoins s’accordent pour avoir vu près de 70 nazis fuir en courant. Au fur et à mesure que le défilé s’avaçaite dans la ville, les manifestants ont vu les fenêtre s’ouvrir et les gens les applaudir, les voitures klaxonner en signe de solidarité, les passagers des tramways crier leur soutien : une opinion fraternelle, longtemps terrée par peur de la parole raciste omniprésente, est en train de se libérer. Pour les Roms longtemps passifs comme pour la ville, mais aussi pour le pays, c’est une véritable révolution.

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Solidarité internationale

Au même moment, à Prague, les participants de la conférence européenne UNITED for Intercultural Action, réunissant à cette même période 90 personnes de quelques 80 associations de 35 pays d’Europe et d’Asie Centrale en passant par le Caucase ont organisé en 24 heures un rassemblement de solidarité sur la place centrale du vieux Prague, avec banderole, affiches, communiqué de presse et harcèlement médiatique de bon aloi qui permettra un passage au JT de 20h. C’était le but pour sensibiliser l’opinion sur Ostrava ; le mélange street activism des antifas et le boulot de lobby propre aux ONG a pas mal fonctionné. Il est vrai que deux participantes de la conférence, une rom de KONEXE et une militante de l’antirasistik Center norvégien, étaient partis pour Ostrava, ce qui a d’autant boosté les autres participant-e-s. Les slogans fleuraient bon l’internationalisme : « Siamo tutti antifascisti », « Hoch die internationale solidarität », « Vmeste protiv fascismu », « No Pasaran ».
Ambiance grandiose à Ostrava : Pour autant que l’on sache, c’est la toute première fois que les nazis reculent devant des Roms, c’est aussi la toute première fois que les Roms réagissent spontanément, collectivement et massivement devant la menace nazie, et ce non seulement en Tchéquie, mais aussi dans tous les pays de la zone Europe Centrale et de l’Est, de la Hongrie aux Balkans et en Roumanie ou en Moldavie ! Et bien entendu, c’est la première fois qu’une manif Rom se fait applaudir par la population. La peur va-t-elle changer de camp ? Le chemin est encore long, mais il commence à exister.

Parole entendue :

« Jiri, Ivana, vous êtes tous deux militants chrétiens et non-violents, soç-dem pour l’un, libertaire pour l’autre, et vous participez à Blokujeme lors des différentes initiatives. C’est quoi, votre boulot ?

On s’occupe des enfants...

C’est tout ?

Ben quand on doit s’occuper d’un groupe de gosses terrifiés et tétanisés dans un appartement, qu’on entend les slogans des nazis qui passent sous les fenêtres et qu’on se demande nous-même quand la vitre va éclater sous une caillasse ou un molotov , c’est pas tout le temps évident... »

« Ivanka, tu es une activiste Rom et l’une des porte-parole de KONEXE. Quel est le travail de ton organisation ?

Notre boulot, c’est redonner du pouvoir à la communauté Rom. C’est difficile : tout est fait pour la laisser dans son état de torpeur, y compris de la part de certains businessmen Rom, particulièrement les propriétaires des dortoirs qui forment une véritable mafia. C’est pourquoi nous agissons surtout dans les moments de tension, quand il y a des marches nazies. A ce moment, nos arguments sont mieux perçus par la communauté.

Quelle est la situation ?

La situation des Roms en République tchèque se détériore d’année en année, et la politique dite de l’intégration sociale a échoué. Rien d’étonnant quand on voit les Roms repoussés dans des quartiers transformés en ghetto parce que sinon, « ça fait baisser les cours de l’immobilier ». Personne ne veut d’un Rom pour voisin. L’éducation, tu connais le problème : sous prétexte d’une meilleure intégration, on met les enfants Roms dans des écoles pour attardés mentaux. 90% de la population partage des sentiments anti-Roms. A Ostrava, les nazis ramènent avec eux, dans la rue, jusqu’à 2000 habitants. Pour que ça change, il faut que les Roms eux-mêmes se battent pour leurs droits, qui sont systématiquement violés.

Vous n’êtes cependant pas un parti ? 

Un parti, il y en a un qui a été créé cet été, Le parti démocratique rom de Miroslav Tancos. Mais avant toute chose, il faut que les Roms apprennent à relever la tête, à avoir plus confiance en eux. C’est d’abord un travail sur eux-mêmes, sur la ségrégation systématique dont ils sont victimes. Opre Roma ! (Roms, debout !)