Comment fabriquer sa propre théorie de la conspiration… ou comment trouver une réponse simpliste à des questions complexes.

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Au hasard de ses recherches sur Internet, unE antifasciste suisse bernoisE tombe sur une vidéo d’une certaine Eva Herman sur un canal qui ne lui est pas tout à fait inconnu, Kopp-Online. Il y est question de Breivik et de la tuerie du 22 juillet 2011 : à la fin de la vidéo, Herman déclare sans sourciller que Breivik a agi pour le compte de la CIA…

Rapide présentation des différents protagonistes :

• Eva Herman, présentatrice au journal télévisé sur ARD (première chaîne allemande) jusqu’en 2006, virée en 2007 pour avoir fait un certain nombre de déclarations en faveur de la politique familiale des nazis. Ajoutons à cela le fait que les livres de la blonde Herman rencontrent les faveurs des néonazis, qui n’hésitent pas à la citer à tire-larigot dès qu’il s’agit de politique familiale.

• Les éditions Kopp, connues pour leurs positionnements conservateurs très durs, pour leur hostilité non déguisée à l’égard de l’Islam et leurs publications conspirationnistes. Leur slogan : « Des livres qui vous ouvrent les yeux. »

• Le troisième larron dans l’histoire, c’est Altermedia, le portail faf qui publie régulièrement des textes parus chez Kopp, qui sont eux-mêmes lus et commentés par tout un tas de militants néonazis.

Ce genre de rencontre est typique des histoires de conspirationnistes et des passerelles que l’échafaudage de leurs théories fumeuses créent : on a des gens apparemment différents (qui ne seraient peut-être effectivement jamais rentrés en contact autrement) qui s’accordent pour donner des réponses simplistes à des interrogations complexes.

Anatomie des théories conspirationnistes

Dans l’histoire d’Eva Herman, la CIA, Breivik, une société secrète, un ancien directeur d’une entreprise d’armement du Sud de l’Allemagne et le NSU entrent dans la construction d’un échafaudage complexe. Beaucoup de noms, de codes et d’institutions impliquées sont cités. Mais en fait de complexité, on en est pour nos frais. Les phénomènes difficiles à appréhender et à comprendre tels que les guerres, les crises économiques ou les attentats ont beau être emballés dans de belles histoires à coucher dehors, il n’en demeure pas moins que, par le recours à des boucs émissaires très simples à cerner, ils se retrouvent expliqués d’un coup de baguette magique.

Les imbrications complexes qu’on remarque dans ces histoires ne servent qu’à légitimer un message très simple. Ce dernier est généralement en deux parties. Premièrement, il y a les Bons et les Méchants. Deuxièmement, les Bons sont menacés et les Méchants essaient de dominer le monde, sans hésiter à marcher sur des cadavres. Parmi les « Méchants », les inventeurs de ce genre de théories comptent les Juifs, les capitalistes, les socialistes et les communistes (fréquemment aussi les socio-démocrates), les Américains (ou au moins leurs services secrets), les francs-maçons, les philosophes et les Lumières, les cliques d’écrivains ou d’intellectuels, les hippies (avec une mention spéciale pour les consommateurs de LSD ou les fumeurs de shit), les organisations internationales comme l’ONU ou la Banque mondiale, les pacifistes et les satanistes… pour n’en nommer que quelques-uns !

Si l’on regarde d’un peu plus près la liste de ces épouvantails qu’agitent les conspirationnistes, on se rend vite compte d’une chose : il flotte toujours les fantômes de l’antisémitisme, du racisme et du négationnisme, souvent associés à une posture anticapitaliste et anti-internationaliste. Ce qui montre bien qu’avec les théories conspirationnistes, ce ne sont pas seulement des épouvantails qui sont agités, mais bien tout un système de valeurs qui est diffusé.

Qui croit encore aux contes de fées ?

Une enquête a été menée en Pologne pour tenter de quantifier la réceptivité des populations à ce genre de théories : ainsi, environ 30% des adultes croient que ce n’est pas le gouvernement mais des dirigeants occultes qui président à la destinée de leur pays. L’institut chargé de cette enquête a constaté que la confiance accordée à ce type de théories se retrouve dans toutes les couches de la société, quel que soit le niveau d’études. Malgré le caractère très diffus de ce genre de théories (ou peut-être précisément pour cette raison), beaucoup de gens leur accordent du crédit. Les conspirationnistes font mouche du fait de la simplicité de leur message et de la logique apparente sur laquelle il semble reposer.

Que faire ?

Le problème, avec tous ces phénomènes quasi-religieux, c’est qu’une argumentation rationnelle n’est pas d’une grande aide. Pourtant, la raison permet assez facilement de contrecarrer ce genre d’histoires, mais cela ne suffit pourtant pas à les faire disparaître. En effet, dès qu’un contradicteur s’avise de se manifester, les conspirationnistes l’anéantissent en l’assimilant à la conspiration : quiconque tente de déconstruire la conspiration ne peut qu’en faire partie ! Pour autant, cela demeure un défi de déconstruire et de mettre à jour la « logique »interne de ce genre de constructions intellectuelles, ne serait-ce que pour ne pas perdre l’esprit face à de telles contrevérités et autres travestissements de l’histoire.

Bricolons une conspiration…

Conspi

Ou bien, on décide de se construire sa propre théorie de la conspiration, histoire d’essayer de comprendre la logique interne de ce genre de processus :

1) Pour commencer, choisir quelque chose de vraiment mauvais. Dans l’idéal des minorités ou des groupes de personnes qu’on veut combattre politiquement ;

2) Prendre ensuite un acte mauvais ou un événement funeste : un attentat, une catastrophe aérienne, une maladie comme le sida ou encore une famine. Le principal, c’est que ça soit quelque chose de vraiment mauvais et de vraiment terrible ;

3) Et maintenant, place à la créativité : l’ennemi, tel qu’on a choisi de le présenter en premier lieu, doit être mis en relation avec l’événement terrible. Il faut créer un lien de cause à effet. En cas de difficultés, ne pas hésiter à faire entrer en scène des ovnis, des forces occultes ou… des martiens. Agrémenter de messages fantaisistes délivrés via des codes-barres, d’histoires de micro-ondes ou de codes secrets inscrits sur les billets de banques.

4) Quand l’histoire se tient, il faut trouver un public. Dans l’idéal, la diffuser sur Internet. Ou l’envoyer aux éditions Kopp !

5) Très important pour notre recette : fabriquer des preuves. La « vérité » doit être prouvée. Le mieux, c’est de citer d’autres théories conspirationnistes, ou encore de poster son propre article sur Wikipedia. Les photos truquées et des pages d’appareil scientifique sont d’une grande aide à ce stade.

6) Lorsque l’histoire circule, elle nous échappe, et on commence à se rendre compte que le monde est peut-être plus compliqué que ce qu’on pensait. Notre pouvoir en la matière est limité, après tout…

Traduction et adaptation de Tina

Lautstark #20 - Antifa Bern

Novembre 2012