Social : l’enfumage du Front national

Article paru sur le site de VISA :

Le masque est parfaitement ajusté, le rôle de composition tout à fait au point : Qu’on se le dise, Marine Le Pen défendrait donc les chômeurs, les travailleurs licenciés, les pauvres contre le « système » qui les broie ! C’est en tout cas le message que la présidente du Front National veut faire passer à grands renforts de déclarations, de communiqués de presse et d’une bonne couverture médiatique.
• Un chômeur nantais s’immole par le feu : MLP dénonce « la violence d’un système économique créateur de malheur »
• Le patron de Goodyear Amiens veut fermer l’usine : Le F.N. communique : « Goodyear Amiens : l’inacceptable fermeture »
• Une savonnerie de Marseille est en liquidation judiciaire : MLP s’y rend pour apporter son soutien et déclare que c’est « un problème de patrimoine presque national »
• Le gouvernement s’apprêterait-il à supprimer la demi-part fiscale des parents d’étudiant-e-s : Le F.N. dénonce immédiatement « un grave recul »
• Un référendum en Suisse remet en cause les salaires exorbitants des grands patrons : MLP déplore que le gouvernement français n’ait « pas encore interdit » parachutes dorés et retraites chapeau qui « scandalisent à juste titre les français »

Bien évidemment sa dénonciation du « système » ne mange pas de pain ; ce ne sont pas les méfaits du capitalisme en pleine crise qu’elle dénonce mais plus modestement le « libéralisme à la papa », et quand elle s’en prend à quelques grands groupes du CAC 40, c’est uniquement pour stigmatiser leur capitalisme « apatride »...
Elle précise d’ailleurs, dans un entretien à Valeurs Actuelles.com, qu’elle n’est pas favorable à l’interdiction des licenciements boursiers « car on tomberait dans une vision un peu soviétique des choses » et explique que « La participation prônée en son temps par le général de Gaulle me paraît être une bonne direction ». La vieille idée gaulliste de l’alliance du capital et du travail, voilà donc « l’anticapitalisme » du Front National ramené à de bien modestes proportions qui n’effrayeront pas le MEDEF !
Quant aux fonctionnaires, les clins d’œil appuyés que Marine Le Pen leur avait adressé pendant la campagne des présidentielles ne sont maintenant plus de mise : MLP a dénoncé la suppression du jour de carence des arrêts maladie pour les fonctionnaires en arguant que cette mesure « agrandirait la différence entre le privé et le public » . Donc le FN est pour la réduction des inégalités… en tirant tout le monde vers le bas !

Le F.N. défend les ouvrier-e-s… contre leurs syndicats !

Il n’y a pas besoin de gratter beaucoup pour se rendre compte que derrière le masque social se cache la haine antisyndicale.
Dans le communiqué Goodyear déjà cité, le F.N. charge violemment la CGT sous prétexte que « Les propos de la CGT qui en mars 2009 prétendait que ‘tout allait bien’ (…/…) révèlent une fois de plus la complicité entre ce syndicat et l’ultralibéralisme ». Le député « bleu Marine » Collard, sur I Télé, pointe aussi la responsabilité des syndicats : « ils ne voient pas l’intérêt des salariés, ils voient l’intérêt de leur syndicat » et appelle à un grand audit des syndicats en France… Marine Le Pen n’hésite pas à parler de « l’enfumage des syndicats » pour dénoncer la manifestation du 5 Mars contre l’accord signé par le MEDEF et trois confédérations syndicales, en la qualifiant de « simulacre d’indignation syndicale ».
Cette haine antisyndicale, au moment où les plans de licenciements se multiplient, et dans une situation où les travailleurs ont besoin de leurs outils syndicaux pour se défendre, est un coup de poignard dans le dos de ceux qu’elle prétend défendre. En fait, ce qui met le FN en rage, c’est son incapacité, jusqu’à ce jour, à débaucher des équipes syndicales significatives : l’état végétatif de sa micro structure, le CNTS (Cercle National des Travailleurs Syndiqués), censée recueillir des militants syndicaux déçus et/où exclus des syndicats « du système », témoigne de cet échec.
Quant aux autres groupuscules d’extrême droite comme les Identitaires, ils essayent eux aussi dans leur surenchère de prendre le train social du FN en marche. « Souriez vous êtes remplacés » est le slogan d’une de leurs dernières affiches prétendant dénoncer les licenciements des travailleurs « français » soit disant au profit des… « étrangers ». A Rennes, ils veulent tenir une réunion publique au voisinage de l’usine automobile PSA avec comme thème « la gauche et l’extrême gauche ont trahi depuis des années les peuples européens sur la question du social » !
Le F.N. comme les Identitaires n’ont que faire des intérêts des travailleurs ; il ne visent qu’à diviser les salarié-e-s entre « bons » français et « mauvais » immigrés et à promouvoir un nationalisme qui est une voie sans issue et aggraverait encore plus la crise que subissent les couches populaires.

Les routiers du F.N. ne sont pas sympas !

Une autre facette de cette offensive antisyndicale est l’affichage de militants « syndicaux » comme candidats FN aux élections. Après l’épisode des cantonales en 2011 (voir notre article « le front…syndical » sur ce site, juin 2011) le parti de MLP a franchi un cran supplémentaire dans les provocations à l’occasion des législatives de 2012 dans le Puy de Dôme. Le candidat frontiste, Dominique Morel, qui se présente comme conducteur routier, délégué syndical de la fédération des Routiers, explique dans un communiqué, dès février 2012 : « en tant que syndicaliste (…/…) j’affirme que le projet politique porté par Marine Le Pen est aujourd’hui le seul qui soit tourné vers les intérêts des transporteurs et de leurs salariés … » Cela ne gêne visiblement pas son syndicat CNSF-FNCR puisqu’à l’automne 2012 il était nommé négociateur national pour son syndicat ! Cette promotion créa des tensions avec d’autres syndicats de routiers qui auraient refusé de participer à une commission paritaire en sa présence (cf. déclaration d’un dirigeant du CNSF-FNCR rapportée sur le site Forum France Routiers le 07/01/13). La goutte d’eau qui fit déborder le vase fut l’interview de Morel dans Le Parisien du 26/12/12 qui poussa la direction de son syndicat, en janvier 2013, à se séparer de ce frontiste un peu trop voyant et bavard. Le F.N. du Puy de Dôme poussa des cris d’orfraie, dénonçant des méthodes dignes « d’une république satellitaire de l’URSS du siècle dernier ». Quant à D. Morel, il a pourfendu cette « stigmatisation inique » et annonça des actions du FN en direction des chauffeurs routiers « prochainement ».
Curieusement, certains dans ce département n’ont pas eu la patience d’attendre ! Une dépêche AFP du 19 Décembre 2012 annonçait que « Les transports en commun de la ville de Clermont Ferrand, la T2C, ont porté plainte pour diffusion d’un tract à caractère raciste mais anonyme la semaine dernière (…/…) Le tract vante la préférence nationale dans les embauches ‘embauchons Français et la sérénité reviendra dans notre entreprise’ ». En quelque sorte, ces courageux anonymes n’ont fait qu’anticiper les « promesses » de l’exclu Morel…

Cet épisode, passé relativement inaperçu au moment de la trêve des confiseurs, doit nous alerter sur la permanence de l’offensive contre le syndicalisme de la part du parti frontiste. Gageons que d’autres « Morel » vont apparaître durant la prochaine campagne des élections municipales. Dans une situation où le rapport de forces est souvent défavorable aux travailleurs, où les défaites s’accumulent et renforcent les sentiments d’impuissance et de résignation, toutes les équipes syndicales, quelque soit leur affiliation, leur secteur d’intervention et leur niveau de responsabilité , doivent être persuadées des potentiels dégâts que la propagande démagogique du F.N. peut faire dans les rangs des salariés, des chômeurs et des précaires. Personne n’est à l’abri ; la seule « vaccination » qui vaille est la vigilance militante, combative et unitaire face aux poisons que l’extrême droite cherche à inoculer dans la société, en France et dans toute l’Europe.

http://www.visa-isa.org/node/15011