Sarajevo : « être antifasciste en Bosnie-Herzégovine, une nécessité »

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Le seul objectif est le fric, la ségrégation est la règle, le nationalisme, l’homophobie et la haine, des valeurs communes... Près de vingt ans après la fin de la guerre, les groupes antifascistes qui se développent dans toute la Bosnie-Herzégovine essaient d’imaginer un autre avenir. L’hebdomadaire Dani a rencontré Adina Žuga, sur le site d’avtonom, le premier squatt antifa de Sarajevo.

Le groupe Action Antifasciste (AFA) - ou tout simplement Antifa - a entrepris de nettoyer l’un des nombreux bâtiments abandonnés de Sarajevo. Ce bâtiment, dont l’emplacement reste encore inconnu du grand public, devrait devenir le premier squat de Sarajevo. Sarajevo a-t-il besoin d’un « espace autonome » ? « En se réappropriant des espaces abandonnés, les squatters exercent leur droit à la survie. Nous refusons de payer un loyer, nous sommes contre l’accumulation des profits dans le secteur du logement. Nous croyons que le logement est un droit humain fondamental, qui n’est pas à vendre. Les squats peuvent être utilisés pour le logement ou en tant que centres communautaires, ou les deux – à la fois comme lieux de vie et comme espaces d’expression et de sociabilité », répond Adina Žuga.

Dani (D.) : Présentez-nous le mouvement Antifa. Êtes-vous présents dans toute la Bosnie-Herzégovine ?

Adina Žuga (A.Ž.) : Uniquement à Sarajevo, en tant que groupe local. L’Antifa lutte contre toute forme de discrimination à Sarajevo. Il ne s’agit pas seulement du fascisme mais également du capitalisme, des discriminations basées sur l’orientation sexuelle, la musique que vous écoutez ou de toute autre forme de discrimination. Nous tentons de sortir les personnes en difficulté de la rue. À travers cette initiative de squat, nous voulons inciter les gens à squatter les nombreux bâtiments de Sarajevo laissés à l’abandon.

D. : Dans certains pays occidentaux, les gens ont le droit de s’approprier légalement certains lieux longtemps laissés à l’abandon. Comment cette question est-elle régulée en Bosnie-Herzégovine ?

A.Ž. : Chez nous, il n’y a pas de règle particulière. En Hollande, par exemple, si vous habitez depuis plus d’un mois dans un lieu abandonné et que vous possédez 2 chaises, une table et un lit, vous devenez possesseur de ce lieu. Ici, il faut attendre 3 ans. Le propriétaire peut vous mettre dehors durant les 30 premiers jours, après cela se règle au tribunal.

D. : Votre groupe fonctionne uniquement à Sarajevo mais quelle est la situation des antifas dans le reste de la Bosnie ? Êtes-vous liés à d’autres groupes similaires ?

A.Ž. : Nous sommes en contact avec tous les groupes antifascistes, non seulement en Bosnie-Herzégovine mais également dans l’ensemble de la région. Cependant, nous n’aimons pas parler au nom des autres car ils fonctionnent dans leur ville, et nous dans la notre. Il existe des groupes AFA à Prijedor, Bijeljina, Banja Luka. Ils se joignent à nous lors de manifestations, par exemple pour la Journée du brassard blanc, en souvenir des personnes tuées lors du génocide. Nous communiquons et planifions des actions communes.

D. : Comment motiver les jeunes, qui ne sont ni « de droite » ni « de gauche », pour qu’ils s’engagent dans des actions de ce type ?

A.Ž. : Difficile à dire... Les gens perçoivent généralement nos actions de manière positive et veulent venir à nos côtés. Certains jeunes, engagés au sein d’autres groupes, se rapprochent de nous en raison d’actions communes, en faveur des LGBT par exemple. Nous travaillons régulièrement avec l’association Okvir dans ce domaine. À l’inverse, il y a aussi des personnes qui ont voulu rallier notre cause mais qui étaient homophobes. Dans ce cas, ça ne peut pas fonctionner.

D. : Dans quelle mesure les jeunes s’intéressent-ils à la politique ?

A.Ž. : Très peu. La plupart des personnes avec lesquelles j’ai discuté n’ont aucune notion concernant les systèmes politiques, pas plus qu’ils ne savent ce qu’est le fascisme ou l’antifascisme, ou même la différence entre la droite et la gauche...

D. : Antifa est-elle une association enregistrée ou un groupe informel ?

A.Ž. : Nous sommes un groupe informel et n’avons pas l’intention de nous enregistrer, car nous ne voulons pas faire partie du système que nous combattons.

D. : De combien de membres se compose le groupe ?

A.Ž. : Une trentaine... dont 15 réellement actifs.

D. : Comment une personne intéressée par vos actions peut-elle se joindre à vous ?

A.Ž. : Il est possible de nous contacter par l’intermédiaire de notre profil Antifa sur Facebook, AFA Sarajevo.

D. : Depuis la guerre, de nombreux projets et programmes de développement du potentiel démocratique ont été financés, notamment ceux favorisant le fameux « dialogue interculturel ». Dans quelle mesure ce dialogue interculturel est-il présent entre vous, les jeunes qui sont nés et ont grandi dans le cadre de cette Bosnie-Herzégovine « démocratique » ?

A.Ž. : Je pense qu’au sein de ma génération la tolérance est totalement absente. Il n’y a aucune compréhension, personne ne s’intéresse à ce que les autres peuvent avoir à dire. Les réactions sont tout de suite violentes. Et en ce qui concerne le patriotisme, la situation est encore pire. En tant qu’antifascistes, nous sommes dans une certaine mesure patriotes mais, pour la plupart des gens, le terme de patriote signifie la haine des autres nations. C’est le cas du groupuscule BPNP par exemple, financé par un membre de la diaspora, ce qui est d’ailleurs ridicule. De nombreux jeunes ne savent rien de la guerre, ils ne l’ont pas vécu, ni eux ni leurs parents n’étaient en Bosnie-Herzégovine. Un grand nombre d’entre eux étaient en Allemagne ou ailleurs, et maintenant ils viennent nous parler de patriotisme ! Pour ce qui est du dialogue entre les jeunes, c’est pitoyable. Il ne se fait que par Facebook interposé. Il n’existe aucun lieu où les jeunes peuvent se retrouver pour échanger des idées, des expériences...Rien.

D. : Pour conclure, peux-tu nous dire pourquoi quelqu’un devrait donner de son temps et de son énergie au sein d’un groupe tel que l’Antifa ?

A.Ž. : L’Antifa est nécessaire car notre pays est tel qu’il est, totalement discriminatoire. Si tu es un tant soit peu différent, tu es rejeté. Tu sera mis a part, battu. Ici, il faut être riche, être un fils à papa pour réussir. Nous devons nous-mêmes nous organiser pour que notre pays puisse espérer un meilleur avenir, car si nous attendons un geste des politiques, nous n’aurons rien. Les gens peuvent venir dans ce squat pour trouver un endroit où se réunir afin que leurs idées et leurs talents puissent enfin être mis en valeur. Les galeries et les théâtres jouent également ce rôle mais ces derniers financent principalement des projets spécifiques. Ici notre ambition est de donner leur place à tous ceux qui souhaitent créer, développer leurs propres idées, organiser des débats, des tribunes publiques... Nous sommes ici pour aider et contribuer à tout cela.

Propos recueillis par Dejan Mocnaj
Traduit par Eléonore Loué-Feichter

Source : Le courrier des Balkans