Allemagne : il y a 25 ans, les pogroms de Rostock (suite et fin)

Suite et fin de la série d’articles consacrés aux violences racistes qui se sont déroulées à Rostock à l’été 1992, et à la façon dont les antifascistes se sont organisés pour y faire face. Vous pouvez retrouver le premier article ici, et le second là.

Lundi 24 août 1992

Ausländerfeindliche Krawalle in Rostock 1992
Geschützt durch ein Großaufgebot von Sicherheitskräften demonstrieren am 29. August in Rostock-Lichtenhagen mehr als 14000 Menschen unter dem Motto "Stoppt die Pogrome" gegen die ausländerfeindlichen Krawalle. Vom 22. bis 28. August 1992 randalierten bis zu 1200 meist jugendliche rechtsradikale Gewalttäter vor dem Zentralen Asylbewerberheim Mecklenburg-Vorpommern in Rostock-Lichtenhagen. Unter dem Beifall von bis zu 3000 Schaulustigen und vielen Fernsehkameras bewarfen die Rowdies das überwiegend mit Rumänen belegte Hochhaus sowie die Polizisten mit Steinen und Brandsätzen. Ein parlamentarischer Untersuchungsausschuß befaßte sich später mit den Polizeipannen, in rund 40 Prozessen wurden meist jugendliche Straftäter mit Jugendstrafen bis zu drei Jahren verurteilt.

Nous fûmes libérés sur le coup de 17h. Nous retournâmes tout d’abord à la JAZ. Entre temps étaient arrivés encore plus de gens d’autres villes. Le soir, nous avons appris que la police s’était retirée des lieux du pogrom et que les attaques contre l’immeuble allaient en s’intensifiant. Dans le courant de la journée, la ZASt avait été évacuée sous les applaudissements et les grognements de la foule raciste, mais les Vietnamiens étaient toujours là. Les AG tiraient à nouveau en longueur, sans qu’aucune décision soit prise. Deux d’entre nous y sont retournés avec des caméras et ont pris des images du terrain vague devant la Sonnenblumenhaus , où l’on voyait les nazis mettre le feu au foyer de réfugiés. Lorsqu’ils sont revenus et ont montré les images qu’ils avaient prises, la discussion s’est animée. Nous nous sommes ensuite retrouvés à nouveau devant les voitures, nous voulions y aller, mais pour une raison quelconque, nous n’y sommes pas allés en grand groupe. Il y avait des rumeurs, le manque d’assurance était palpable, mais tout autant que la volonté de chasser les nazis de là-bas. Je ne me rappelle pas pour quelle raison particulière, mais le fait est que nous n’y sommes finalement pas allés.

Ce qui s’est passé dans la nuit, on le sait bien. La police s’était retirée, les nazis pouvaient mettre le feu au foyer sans se cacher. L’ensemble des habitants et de leurs soutiens, qui s’y trouvaient encore, ne purent s’échapper en passant par le toit qu’avec peine et surtout, beaucoup de chance. Le ministre de l’Intérieur à l’époque, Kupfer, fit un commentaire d’un cynisme plein de mépris pour les êtres humains mis en danger à Lichtenhagen : Il n’y aurait pas eu de danger de mort, apparemment, étant donné qu’aucun des Vietnamiens n’avait réclamé de soins médicaux après le sauvetage. Les Vietnamiens furent évacués la nuit-même.

Les jours d’après

Les affrontements se poursuivirent à Lichtenhagen. Les nazis et les « jeunes avides de sensations fortes » livrèrent des batailles rangées avec la police, faute d’immigrés, jusqu’au mercredi ou au jeudi suivant ; ils incendièrent des voitures et mirent la ville à feu et à sang. Du coup, les habitants de Lichtenhagen commencèrent aussi à prendre leurs distances avec ce genre de débordements. En fin de compte, il s’agissait cette fois-ci de leur propriété. Au même moment, il y eut le mardi soir une manifestation de solidarité organisée par le DGB, qui rassembla environ 800 participants dans le centre de la ville. Nous y sommes allés, d’accord, mais sans pouvoir cacher à quel point nous étions déçus de voir la « société civile » réagir si tard. Dans la nuit du mardi, le « Max », lieu de rendez-vous de la scène nazie de Rostock, brûla à Groß Klein.

La situation ne se dénoua pas le moins du monde. Pour le samedi suivant, nous avions organisé à Lichtenhagen une grande manifestation sous le mot d’ordre : « Stop aux pogroms. Solidarité avec les réfugiés. Pour le droit au séjour pour tous. » Pour nous préparer, il ne nous restait que quelques jours. Dans le même temps, nous croisions un peu partout dans la ville des groupes assez nombreux de nazis. On s’attendait chaque jour à des attaques de centres d’extrême gauche ou de squats, après que les réfugiés et les Vietnamiens avaient été chassés, ce que les nazis considéraient comme leur réussite. Il y avait des affrontements contre des groupes nazis partout dans la ville. À la fin de la semaine, les autorités locales se sont positionnées et ont diffusé un flyer dans lequel elles invitaient les habitants de Rostock à se tenir éloignés de tout rassemblement et à ne pas se mettre en danger. C’est le genre de flyer que nous aurions bien aimé voir une semaine plus tôt, lorsque les appels au pogrom raciste avaient été publiés.

La grande manifestation

Le samedi 29 août, Rostock était en état de siège. Des milliers de fonctionnaires de police de toutes les régions étaient disponibles, d’un seul coup, on voyait du matériel lourd. Le convoi de manifestants en provenance de Hambourg fut stoppé à Bad Doberan par un déploiement de police impressionnant et ce n’est qu’après l’occupation du Molli par les manifestants que ces derniers furent « autorisés » à continuer leur route. Il y eut au bout du compte 20 000 antifascistes qui défilèrent avec force et l’air décidé dans les rues de Lichtenhagen et de Lütten Klein. Ce fut un succès politique.

demo-30081992

Les suites

Sur la scène politique, le pogrom de Lichtenhagen fut utilisé pour justifier l’abolition du droit d’asile. À Rostock et partout ailleurs en Allemagne de l’Est (ainsi qu’à certains endroits à l’Ouest), les agressions sur les immigrés et sur les hébergements des réfugiés allèrent croissant au cours de l’automne 1992. À Rostock, on dénombrait des affrontements presque quotidiens avec des nazis. En octobre 1992, les nazis tentèrent même d’incendier la JAZ.

Pour nous, il était clair que nous ne pouvions infléchir la situation qu’en menant une stratégie triple. Il fallait tout d’abord créer un consensus antinazi à Rostock, en construisant une alliance large et effective. Il fallait ensuite que Rostock reconnaisse clairement ses torts envers ses citoyens immigrés et change surtout un certain nombre de choses en ce qui concerne l’hébergement des réfugiés, en s’appuyant sur l’idée de l’hébergement décentralisé (c’est-à-dire non regroupé et pas en périphérie). Enfin, la terreur nazie dans les rues ne pouvait être stoppée que par une riposte antifasciste offensive.

Cette stratégie triple a largement porté ses fruits. Au sein de l’administration locale, dans les partis et dans la société civile, il s’est trouvé beaucoup de gens qui voulaient vraiment faire quelque chose contre le problème nazi, et pas seulement pour soigner leur image de marque. Avec ces gens-là, nous avons pu mener des années durant un travail collectif qui a porté ses fruits. L’hébergement des réfugiés s’est amélioré. Rostock fut ainsi l’une des premières communes de Mecklembourg-Poméranie antérieure à adopter l’hébergement décentralisé en centre-ville. Il fut également possible d’imposer le droit de séjour pour au moins une partie des Vietnamiens, contre la résistance du gouvernement régional de Hambourg. Enfin, par un travail antifasciste offensif, on obtint jusqu’au milieu des années 1990 qu’au moins les quartiers du centre de Rostock soient largement sécurisés contre la terreur que faisaient régner les nazis jusqu’alors. Durant ces années, les nazis ne se risquaient en centre-ville qu’en groupes assez nombreux. Par la suite, la situation s’est également améliorée dans les quartiers périphériques.

On ne pourra jamais savoir si les choses auraient pu se passer autrement si nous avions pris encore plus de risques à l’époque.

Au moment du pogrom de Rostock, l’auteur de ce texte avait 19 ans, et il a milité à Rostock dans les années 1990.
Traduction : La Horde