Nous avions déjà évoqué les dérives racistes du rassemblement qui s’est tenu fin décembre à Ajaccio en soutien aux pompiers agressés la veille. Serge Vandepoorte, militant de la Manca, organisation marxiste révolutionnaire corse, dont nous avions reproduit le communiqué, revient en détail sur le rôle joué par l’extrême droite dans cette affaire (lu sur le site du NPA) :

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C’est à l’initiative de collègues de travail de ces derniers, de leurs proches et de leur hiérarchie, que s’est déroulé le rassemblement. Via les réseaux sociaux, une association d’extrême droite connue sous l’appellation de « Vigilenza Naziunale - Vigilance Nationale » demande à ses membres et sympathisants de se joindre à ce rassemblement. Et c’est ce groupuscule fascisant qui, à l’issue du rassemblement, incite les participants à se diriger vers le quartier des Jardins de l’Empereur. Sur les quelque 600 personnes présentes, la moitié environ leur emboîte le pas.

Une « fachosphère » à la manœuvre

Dans le cortège majoritairement composé de jeunes, des supporters d’un des clubs de foot de la ville, des manifestants agitant le drapeau à tête de Maure et, fait non négligeable, le président d’une association de parents d’élèves. Candidat aux cantonales sous les couleurs d’une des organisations nationalistes (Femu a Corsica-Faisons la Corse), il est par ailleurs l’auteur d’articles et d’ouvrages destinés à dénoncer l’immigration et ce qu’il affirme être l’émergence de réflexes communautaristes. Si tous les manifestants présents aux Jardins de l’Empereur ne sont pas organisés au sein de cette fraction de l’extrême droite, l’influence de celle-ci et la claire complaisance lors de l’apparition de slogans ouvertement racistes donnent une connotation politique aux événements.
Ces faits s’inscrivent dans un processus survenu depuis quelques années, processus marqué par l’émergence de groupes fascisants dont certains ont commis des attentats à l’encontre de personnes issues de l’immigration maghrébine. Cette « fachosphère », également très active sur les réseaux sociaux, regroupe à peu près, toutes les composantes de l’extrême droite qui évoluent dans les mêmes eaux que le FN, tout en entretenant des rapports contradictoires avec celui-ci. Pour mettre en échec cette peste brune, au moins deux conditions doivent être réunies : d’une part la caractérisation précise des embryons d’organisations qui la composent, de l’autre l’inévitable analyse économique, culturelle et sociale du contexte.

Qui sont-ils ?

Jean-Guy Talamoni, le nouveau président nationaliste de l’Assemblée de Corse a déclaré que cette mouvance est étrangère à la société corse. Cette analyse ne résiste pas à la prise en compte de la réalité. Le conglomérat se compose de chrétiens intégristes, d’anciens parachutistes présents dans les troupes croates lors de la guerre des Balkans, de quelques syndicalistes, hélas militants et responsables du STC (syndicat d’obédience nationaliste, première organisation syndicale en Corse), de nostalgiques de la fraction mussolinienne de l’irrédentisme et de l’OAS. Le Bloc identitaire est également présent, notamment auprès de certains groupes de supporters de clubs de foot.

Globalement, deux ensembles sont en concurrence. Le FN et le Bloc identitaire sont positionnés sur un nationalisme tricolore. La myriade des autres groupes se revendique de la lutte de libération nationale, dénonçant pêle-mêle l’Europe, la mondialisation, l’État français et des aspects du libéralisme économique. Lié au Mouvement social européen (MSE), sa principale composante s’appuie sur une ligne ouvertement nationale-socialiste. Sous le sigle Corsica Patria Nostra (La Corse notre patrie), cette fraction encore numériquement très faible tente cependant de stabiliser un corpus idéologique dans le but d’unifier l’extrême droite dans l’objectif d’une révolution nationale fondée, entre autres aspects, sur le droit du sang.
La composition sociologique de cet ensemble concerne une fraction de la petite bourgeoisie, des salariés et une partie d’un lumpen prolétariat en constante augmentation.

Dans quel contexte ?

Avec un taux de chômage de 22 % et plus de 50 000 personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté (987 euros/mois), la Corse figure selon l’Insee au rang des régions parmi les plus pauvres de l’hexagone. L’emploi précaire touche particulièrement les secteurs du tourisme et de la grande distribution, secteurs qui au demeurant dégagent les plus fortes plus-values. Le qualificatif de « travailleurs pauvres » englobe également une forte proportion d’agents de la fonction publique.
L’institutionnalisation des organisations majoritaires au sein du mouvement national et la sur-représentation de la petite bourgeoisie dans cet ensemble, ont comme conséquences l’acceptation des principes de l’économie de marché et le refus d’une voie corse au socialisme, thème original de la lutte de libération nationale. C’est sur ce terreau que prolifère l’extrême droite.
Face à cette situation, A Manca propose la mise en place d’un front, le plus large possible, basé sur l’antiracisme et l’antifascisme. Mais cela ne peut suffire sans l’application urgente d’un plan économique et social. C’est à cet effet que le collectif « No pasaran » en voie de constitution veut regrouper le monde du travail. Ces deux niveaux d’intervention n’excluent en rien la nécessaire construction d’un mouvement anticapitaliste, anti-impérialiste, féministe, contre toutes les formes de discrimination. La revendication de l’application du droit à l’autodétermination reste l’axe incontournable de cet objectif.