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Nos camarades du site d’information et d’enquête REFLEXes ont été interrogés par Nicolas Lebourg pour son blog Fragments du Temps présent : voici leurs réponses à ses questions.
Depuis la mort de Clément Méric, de nombreux hommes politiques et journalistes ont renvoyé dos à dos les militants de l’extrême droite radicale et les militants antifascistes. Le propos s’inscrit dans la continuité d’un amalgame entre extrêmes, mais il reçoit un certain accueil public comme en a témoigné un sondage CSA. Il se répand d’autant plus aisément que la mouvance « antifa » étant non organisée, sans porte-parole, elle paraît inintelligible à nombre de commentateurs qui ne sauraient appréhender qui ne veut pas passer à la télévision…
Pourtant, il existe unae structure antifa perdurant depuis 1986 : REFLEXes. Le groupe mène un travail remarquable d’investigation sur les milieux de l’extrême droite, en particulier de cette extrême droite radicale aujourd’hui sous les feux de l’actualité. Outre son propre site web, il a participé au lancement récent de la plate-forme antifa-net.fr et à l’organe d’informations antifascistes La Horde. Son travail est d’importance et, depuis plus de vingt ans, provoque le courroux de l’extrême droite radicale qui crie au travail de police et entretient anathèmes et rumeurs quant à l’identité de ses membres.
Pour faire le point sur la réalité de la mouvance antifa, nous les avons interrogés. On verra qu’au-delà de cette question leur propos permet d’éclairer un certain nombre d’évolutions sociologiques à l’œuvre ces dernières décennies :

On dit que Clément Méric était un militant vegan. La galaxie « antifa » paraît aujourd’hui emplie de subcultures : vegan, néo-maos, personnes qui se revendiquent anarchistes mais relèvent d’un stalinisme de la gauche morale, etc. Est-ce que l’antifascisme n’est pas devenu un lien sociologique entre marges de gauches plus qu’une pratique révolutionnaire ?

Je ne pense pas. Je pense que la vision de l’antifa que tu as résumée dans ta question ressemble plus à ce qu’on peut trouver sur internet, où il existe une multitude de sites et de tendances, qu’à une réalité militante organisée sur le terrain. L’antifascisme comme nous le pratiquons dans le milieu libertaire s’inscrit dans une logique de solidarité et d’anticapitalisme, en lien avec des militants présents dans les mouvements sociaux. Donc pour répondre à ta question, nous sommes toujours dans une pratique révolutionnaire.

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On est souvent très critique quant à l’antifascisme des années 80-90. Par ailleurs Sylvain Crépon a bien montré que les manifestations antifascistes de l’entre-deux-tours de 2002 avaient boosté les « marinistes » au sein du FN, leur donnant l’argumentaire pour dire qu’il fallait rénover de fond en comble la présentation du parti. Vous, vous en tirez quel bilan ?

On va peut-être remettre un peu les pendules à l’heure. Il est de bon ton aujourd’hui chez certains journalistes ou spécialistes, au détour d’un phrase, de critiquer l’antifascisme des années 80-90, en raillant au passage le travail ou les analyses politiques sur le FN de cette période. Sauf que les analyses citées sont plus souvent issues de l’antiracisme républicain du type SOS Racisme ou l’antifascisme moral des années 90, où les analyses se résumaient parfois à ‘FN = F comme Fascisme N Comme Nazis’, que de la mouvance radicale. Ça n’a jamais été notre vision des choses. On pourrait également se faire plaisir en étudiant la manière dont les médias ont traité le FN durant ces années, s’attachant plus à savoir si l’œil de verre de Le Pen était le gauche ou le droit, ou si l’héritage Lambert avait été volé ou non par le père, plutôt que s’attacher au fond. Mais, là, curieusement, pas d’autocritique.
Si l’on parle de bilan de l’antifascisme radical des années 80-90, tout n’est pas parfait, puisque le FN est toujours là et que l’extrême droite radicale connaît un nouvel essor. Mais avec le recul on peut se dire qu’on a réussi sur cette période à toucher une grande partie de la jeunesse et populariser certaines idées. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, où l’apolitisme et le refus de l’engagement règnent en maître.
L’une des victoires de l’antifascisme radical, même si cela peut sembler mince, c’est d’avoir réussi en partie à limiter le développement chez les jeunes d’une scène de contre-culture d’extrême droite (musique skin d’extrême droite, rock identitaire français …). Evidement elle existe, mais elle reste marginale, surtout si on la compare à ce qui a pu se développer dans certains pays comme l’Allemagne, l’Italie ou la Suède, où des groupes de musiques d’extrême droite ont pignon sur rue et peuvent se produire devant des milliers de personnes. Ce résultat est un travail politique de longue haleine, mais la mouvance antifa radicale n’a jamais relâché la pression sur l’extrême droite institutionnelle et radicale, et cela malgré nos moyens très limités. Pour revenir à 2002, si la présence au second tour de Jean-Marie Le Pen le 21 avril 2002 nous a surpris, on ne s’est pas réveillé avec la gueule de bois comme bons nombre d’associations et partis de gauche, qui depuis la scission de 1998 avaient arrêté tout suivi de l’extrême droite

L’anonymat est-ce par principe révolutionnaire ?

Oui. Nous sommes pour la plupart à REFLEXes des communistes libertaires. De fait, nous sommes plutôt hostiles à toute idée de porte-parole ou de représentant officiel. Il n’y a pas de permanent chez nous. C’est aussi pour des raisons de sécurité, vis-à-vis de l’extrême droite.

Il y a beaucoup de discours à l’extrême droite radicale et chez les antifas quant à leur affrontement physique : quelle est la réalité ? Comment cela a-t-il évolué depuis les années 1980 ?

Déjà il faut comprendre que les années 80 marquent une rupture au niveau de l’antifascisme par rapport aux décennies précédentes, où cette lutte était incarnée par des syndicats et des organisations politiques, qui s’y impliquaient massivement (rappelons juste l’exemple de la Ligue Communiste). Il y avait en face une extrême-droite, très présente dans la rue, sous forme de groupes activistes très violents, alors que leur famille politique était quasi absente médiatiquement et dans les urnes.

Avec les années 80 on assiste à de profonds changements. Tout d’abord les mouvements radicaux de gauche, qui avaient participé à l’antifascisme actif dans les années précédentes, ont abandonné cette lutte. Le flambeau est alors repris par des mouvements se constituant spécifiquement sur cette lutte, avec pas mal de gens issus des milieux libertaires, mais également des milieux de l’autonomie des années 70. En parallèle se développe également un nouveau phénomène. Des jeunes originaires de banlieues ou de quartiers de Paris plutôt prolétaires, amateurs de rock, commencent à se balader régulièrement dans Paris, alors qu’auparavant ils avaient tendance à rester dans leur quartier.

Ces jeunes, dont une partie est issue de l’immigration, se retrouvent rapidement confrontée à des bandes parisiennes racistes de bikers, de rockers (les Rebels) et par la suite à des bandes de skinheads quand le mouvement basculera vers l’extrême droite, au milieu des années 80 pour la France. Quelques-unes de ces bandes, qui vont basculer dans l’antifascisme par réflexe d’auto-défense, seront en contact avec ces groupes antifas radicaux, par le biais des mouvements sociaux ou des concerts (sur cette période nous conseillons de lire Scalp 1984-1992, comme un indien métropolitain, où l’on retrouve également une interview de Marsu, le manager des Bérurier Noir et de deux anciens membres des Red Warrior). Donc oui il y avait des affrontements, parfois violents, dus au fait que tout le monde fréquentait les mêmes quartiers de Paris, ou parfois les mêmes concerts. Après il n’y avait pas non plus des batailles rangées de centaines de personnes tous les jours.
L’affrontement physique entra antifas et nationalistes a beaucoup baissé par rapport aux années 80 et 90. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord le FN, dans pas mal de coins en France, n’est plus ce parti militant qu’on a pu connaître durant ces périodes. Ensuite les bandes de skins fafs ou de rockers racistes qui pouvaient sillonner les rues de Paris avaient pas mal disparu. Cela fait seulement 3-4 ans qu’il y a de nouveau des accrochages violents entre les membres de la mouvance antifa et les fafs, principalement le GUD version Edouard Klein et des éléments issus de la tribune Boulogne. Si les affrontements ont baissé, c’est également que nous vivons dans une société ultra sécuritaire, où au moindre débordement, avec les caméras de surveillance, les flics débarquent très rapidement.

Pour revenir sur la violence des années 80, il faut voir qu’aujourd’hui cette période est idéalisée dans pas mal de milieux, pas seulement dans le milieu politique. Chez pas mal de punks et de skinheads, toutes tendances confondues, les années 80 sont vues comme un âge d’or, presque mythique, où tout était possible. Mais je ne pense pas que les années 80, ou les années 2010, au niveau de la violence politique soient plus violentes que les années 70, les années 60. Au contraire. Les affrontements politiques des années 30, entre les ligues d’extrême droite et les partis de gauche étaient bien plus violents.

REFLEXes est né en 1986, on peut considérer que c’est la seule institution antifa pérenne et qui a formé des légions de militants des gauches radicales. Est-ce que les militants antifas sont mieux formés aujourd’hui qu’en 1986 ?

A notre grand regret, il n’y a pas des légions de gens qui ont été formés par REFLEXes. Si nous avons vu passer quelques centaines de personnes sur les trente dernières années, c’est le bout du monde. Ensuite REFLEXes n’a pas pour objectif de former les gens mais de les informer, même s’il nous arrive de faire des formations sur l’extrême droite ou sur l’antifascisme pour des groupes militants. Notre objectif avec REFLEXes est de sortir des infos et des analyses pour que les militants antifas puissent s’en servir dans leur lutte contre l’extrême droite. Est-ce que les militants antifascistes sont bien formés aujourd’hui, je pense qu’il faut poser la question aux différents mouvements qui ont une commission antifa. De notre côté, on espère tenir la route !

Quelle est la réalité quantitative et qualitative de l’Action Antifasciste (AFA) et des autonomes ?

Déjà il faut préciser de quelle AFA on veut parler. Il existe aujourd’hui une multitude de groupes revendiquant l’étiquette AFA, dont beaucoup l’activité se résume à une présence sur Internet ou Facebook. Si on parle de l’AFA-Paris Banlieue à laquelle appartenait Clément, c’est un groupe avec une existence et une activité militante bien réelle, avec pas loin de 60-80 militants/sympathisants. Ils proviennent de différents milieux dont le milieu antifa radical libertaire, les stades, mais aussi du rap. Ils ont décidé de se prendre en main et de s’organiser entre-eux pour monter leur initiative, donc oui en un sens se sont des autonomes. Ils participent à toutes les initiatives antifa radicales sur Paris depuis 3-4 ans. C’est la nouvelle génération de l’antifascisme radical sur Paris.