À l’occasion de la projection du documentaire "Antifa Chasseurs de skins" au ciné-club du CAPAB au CICP le dimanche 6 octobre, nous vous proposons un retour sur cette période.

Longtemps oublié, voir occulté, l’histoire du mouvement des « chasseurs de skins » des années 1980 a été remis sur le devant de la scène dernièrement avec la production du documentaire « Antifa : chasseurs de skins ». Ce film revenait sur l’origine et les développements de ce mouvement, à l’aide de témoignages de différents membres de ces bandes. Une histoire qui c’est développée en parallèle de la mouvance antifa radicale. Parmi les bandes les plus connues, on trouve dans ce programme les Red Warriors. Nous publions ici l’interview de deux de ses anciens membres, une interview parue en 2005 dans le livre Comme un indien métropolitain, une histoire du scalp (édition No Pasaran). En complément, une autre interview des Red Warriors est disponibleici.

 

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Tournage du film Furie Rock avec des membres des Red Warriors et Ducky Boys
Interview Julien et Rico, anciens membres des « Red Warriors » 

  Comment êtes-vous entrés en contact avec la scène des années 1980 ?

Julien : J’ai commencé par être punk, vers 13-14 ans en 1981 en traînant à Paris, en rencontrant des gens. Je suis issu d’une cité ouvrière de la banlieue est de Paris, et des punks dans une cité, il y en avait pas beaucoup à ce moment là. Au début des années 1980 pour les jeunes de banlieue, Paris c’était un truc très lointain. On y allait jamais. Si les mecs des cités prenaient les transports, c’était pour s’éloigner encore plus de Paris et de leur cité.

Si j’ai quitté un peu ma cité, c’est grâce à ma mère, qui m’a inscrit dans une école expérimentale, autogestionnaire, l’école Decroly. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré des keupons qui traînaient, plein de gens que j’aurais jamais connu si j’étais pas venu sur Paris. En ce qui concerne le contact avec la scène militante, j’ai mis du temps. Au départ c’est plus du feeling avec les gens.

Rico : Je suis plus vieux que Julien de presque 6 ans, alors pour moi, c’était un peu différent. Je n’ai jamais fauté, désolé, j’ai jamais été punk ! Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été skinhead. Je me suis cassé de chez moi vers 13-14 ans. Ensuite, j’ai traîné avec la bande des Halles des mecs comme Pierrot (le Fou), Ringo, Farid. Mon surnom, c’était « Blackskin ». Dans la bande des Halles, il y avait de tout, des Juifs, des Portugais, des Noirs. Je m’amusais bien, on embrouillait tout le monde, les punks, les skins, les fafs… C’était le délire de l’époque. Mais déjà à ce moment-là, il y avait des embrouilles avec les skins de Gambetta, parce qu’ils portaient le drapeau français. L’autre élément important, c’est que j’ai été au placard très tôt. En prison, j’ai rencontré plein de gens, des proches d’Action directe, mais aussi du mouvement autonome, des personnes qui faisaient le fanzine Otages. Il y a eu diverses émeutes en prison qui étaient assez drôles, qui m’ont ouvert ma conscience politique. Et en sortant je suis tombé à l’Usine.

 

C’est quoi l’Usine ?

Julien : C’était une ancienne usine de meubles de cuisine, à Montreuil, transformée en centre culturel autonome, un peu calqué sur les centres sociaux italiens. Il y avait un collectif résident, et les gens de passage. Au dernier étage on avait aménagé une salle pour les cours de Boxe, de Boxe-Thaï. Il y avait des salles pour les mecs qui graffaient, pour les réunions antimilitaristes. Et au sous-sol il y avait une salle de concert. Il y a eu des gros trucs, les Bérus, les LV88, La Souris. Tu ne venais pas aux concerts de l’Usine juste pour consommer de la musique. Tu venais aussi pour baigner dans ce milieu, où tu côtoyais des mecs qui avaient déjà fait de la taule pour les actions, d’autres qui étaient passés à la clandestinité. Tu n’y participes peut-être pas forcément de manière très active, mais ce te forge le caractère et tes opinions.

Rico : C’était pas les convictions par les bouquins. C’était la confrontation à la réalité. C’était instinctif, tu te sentais bien avec ces gens, et donc tu traînais avec eux. Sur la fin, l’Usine c’était un lieu récupéré par une association qui faisait des concerts tous les vendredis.

Julien : L’aventure de l’Usine s’est terminée lors d’un concert de La Souris Déglinguée. La mairie communiste de Montreuil a fait murer le squat, après que les musiciens ont fait les balances. Résultat, à l’heure du concert, tout le monde commence à démurer pour rentrer. Les flics sont arrivés et la chasse aux punks a commencé. Il y a eu une «  Une » légendaire du Parisien avec en titre « 200 punks attaquent la police », et des photos de keupons en train de jeter des pierres sur les cars de flics. C’était une émeute de dingues. J’avais 15 ans et ça m’a marqué, ça correspond à mon entrée sur la scène alternative parisienne. Dans les faits, c’était la fin de toute une période pour les squats. Après la scène alternative, elle sera surtout musicale. Pour moi, ma vie militante, elle a commencé quand toute la vague autonome des années 1970, celle qui a hésité à passer à la lutte armée, s’est éteinte.

 

Comment vous-êtes vous politisés ?

Julien : Je dirai que je me suis politisé comme j’ai pu. A la même époque où je traînais à l’Usine, j’ai commencé à intéresser le PC de ma ville. Je sortais un peu du lot, j’étais le jeune qui bougeait sur Paris, qui allait à des manifs. Assez rapidement j’ai rejoint le PCF. Je ne regrette pas, parce que j’ai côtoyé des gens sincères, on a fait des trucs supers, comme empêcher des expulsions dans les cités. Et puis j’étais le pur produit de la mairie communiste de Fontenay. Né à Fontenay, je suis parti en colo à Fontenay, puis je suis devenu animateur à Fontenay pour ensuite finir directeur de colo à Fontenay. A l’époque pour moi en dehors du PCF il n’y avait rien. Et à côté de ça je continuais à militer pour l’antifascisme radical, la nuit sur Paris. Et quand ça a commencé à devenir sérieux avec les Red Warriors, qu’il y a eu des interpellations, des articles, ça a vite fait désordre. J’étais sur les photos et les tracts avec le maire, j’étais le responsable des Jeunesses Communistes du Val de Marne, le jeune mis en avant par la mairie : les gens n’ont pas apprécié que la nuit, avec des mecs pour eux pas fréquentables, je parte faire la chasse aux nazis dans les rues de Paris. En plus, je tenais un discours qui était pas forcement celui du parti.

Rico : On se politisait aussi à l’instinct et ça fonctionnait beaucoup par raya, l’affinitaire jouait beaucoup. Ma politisation, elle a commencé en prison, par des rencontres. Ensuite à l’Usine où je suis tombé sur des gens intelligents, qui m’ont pris et accepté comme j’étais. Des gens qu’on ne trouve plus aujourd’hui, qui te jugeaient par rapport à ton vécu, à ce que t’étais, et pas forcément à ton look.

 

Vous êtes issus de familles militantes ?

Julien : Mon père était un immigrant hongrois, peintre en bâtiment, payé à la pièce. Assez souvent on allait bosser avec lui, pour gagner plus d’argent. Ma mère, juive hongroise, était femme au foyer. Mes parents se sont séparés très tôt. Pour ma mère mai 68, elle savait même pas que ça s’était passé. Elle s’est politisée super tard, dans le milieu des années 70, avec la fin de la vague hippie. A 5-6 ans je me suis retrouvé en communauté. Au final elle s’est présentée aux municipales à Fontenay sur la liste du PSU .

Rico : Moi, j’ai coupé très vite les liens avec ma famille. Mon beau-père, il était responsable de l’Amicale des anciens légionnaires parachutistes et de la section du Front National de Rosny-sous-bois.

 

Vous pouvez nous parler des Red Warriors ?

Julien : Les Red Warriors, c’est arrivé vers 1986. C’est une période où la majorité du mouvement skin français est nationaliste ou faf. 99% des skins que tu croises à cette époque dans la rue, ils ont des croix celtiques, des drapeaux français, des croix gammées. Tu avais des quartiers entiers de Paris, où pour les punks, c’était zone interdite : Saint-Michel, le Quartier Latin, les Puces de Clignancourt, le XVe, Tolbiac, Les Halles. Quand tu étais keupon dans ces années-là et que tu étais looké, c’était déjà pas évident, tu étais une cible pour pas mal de monde. Alors si tu croisais une bande de skins, t’étais certain de te faire défoncer. Par rapport à ça on est un certain nombre à en avoir marre de devoir faire des détours pour se déplacer dans Paris pour éviter les embrouilles. Et avec Jeff, on décide de se prendre en main. Lui était de Nogent-sur-Marne et moi de Fontenay. On traînait pas mal ensemble, même si Jeff était un peu plus vieux que moi. A plusieurs occasions on avait fait courir les fafs dans des embrouilles. Lui était déjà skin, alors que moi j’étais une espèce d’alternatif à casquette et docs coquées. L’idée c’était de s’organiser un minimum, trouver des mecs qui étaient prêts à aller au carton face aux fafs. Rico nous a rejoint assez vite, on le connaissait de l’Usine. Peu à peu, la bande s’est construite par lien affinitaire et cooptation. La plupart des Red Warriors étaient tous plus ou moins des familiers de l’Usine. A la fin des années 1980 on était 14 « officiels ».

On s’est appelé les Red Warriors, parce qu’à l’époque, ce que les fafs semblaient détester le plus c’était le communisme. D’où une surenchère de notre part dans les oripeaux et le folklore soviétique. Et puis il fallait bien qu’on se démarque des fafs, parce qu’à part la coupe de cheveux (on se laissait un petit peu de cheveux sur le dessus), on ressemblait à n’importe quel skin (bomber, jean, docs coquées). Après, d’authentiques marxistes-léninistes dans la bande, il n’y en avait pas. Mais le nom est resté, parce qu’encore aujourd’hui les fafs et les apos nous disent « vous, les reds. ».

Rico : A cette période-là, je ne traînais déjà plus aux Halles. J’avais intégré le SO de l’Usine, où j’étais le plus jeune. Les autres avaient la trentaine. J’avais fait avec Sergio tous les concerts en Normandie, où il y avait pas mal de fafs, et j’accompagnais déjà les Bérus. Dans le même temps le milieu skinhead en France a commencé à se politiser de plus en plus, et pas sur mes bases. Je me considérais déjà comme redskinhead. En plus, j’étais catalogué par les fafs, qui avaient mis ma tête à prix depuis un bon moment. Il faut dire qu’avec quelques copains, on avait commencé à allumer pas mal à droite. Pour moi c’était drôle de dérouler du faf. Au niveau des Red Warriors, tout le monde dans la bande n’était pas forcement politisé comme Julien, qui défendait encore tant bien que mal le PCF ou Arno qui était prêt à passer à la lutte armée. Mais on était tous clairement antifas, prêts pour la chasse. A la base, on était une bande de crapules, de voyous, qui voulaient dérouler du faf.

Julien : On avait tous des conceptions différentes des choses, mais là il n’y avait pas de discussion possible, c’était l’antifa radical. L’action fondatrice du groupe, on était sept, ce n’était pas brillant, on s’est tous fait serrer. Rico a pris 1 mois ferme. C’est vrai que des fois, c’était fait un peu à l’arrache, mais d’habitude on mettait en place un minimum de stratégie, avec l’aide de quelques anciens dans la bande qui avaient l’habitude de ce genre de chose. L’idée c’était de repérer les bandes de skins (Pasteur, Tolbiac…) ou les lieux qu’ils fréquentaient. On fonctionnait par petits groupes de trois ou quatre, qui traînaient dans Paris. Chacun de son côté repérait des objectifs, on préparait la descente et on tombait sur les fafs.

Rico : Ça, c’est quand c’était préparé. Il faut reconnaître aussi que des fois, on savait pas quoi faire le soir, on prenait les motos, et on allait chasser à l’aventure. Les Red Warriors étaient un groupe très mobile, qui avait sept motos pour quatorze mecs. On se voyait pas forcément tout le temps. Si on était en ballade, et qu’on repérait un bar de fafs, on pouvait très bien leur tomber dessus.

Julien : Le fait de faire des actions carrées à plus d’une dizaine, et ensuite de chasser du faf par petits groupes, ça donnait l’impression aux fafs que les Red Warriors, ils étaient partout et qu’ils étaient super nombreux. Les mecs en face paniquaient, parce que personne savait où on traînait, qui on était. On était un peu un fantasme. A ce moment là en face de nous il y a les JNRde Batskin, la Division Saint-Georges, le PNFE , les restes de la FANE , la bande de Juvisy. C’est des mecs qui ont fini pour certains comme mercenaires en Croatie ou en Afrique.

Rico : Il y a eu des fusillades parfois. C’était des militants politisés et organisés, et les mecs quand ils te voyaient arriver, ils t’attendaient. C’est plus comme maintenant où tu as juste du neuski qui court.

 

A une période vous avez été pas mal médiatisé (télés, articles de journaux). Ca ne vous a pas posé de problèmes ?

Rico : C’est surtout Julien qui montrait sa tronche. Son nom a assez vite circulé chez les fafs.

Julien : Moi, à l’époque, j’avais à peine 20 ans et j’avais dans l’idée que plus on pouvait toucher de monde, informer de gens, plus on ferait avancer la cause. L’idée c’était pas juste de casser du faf à coup de barre, c’était de dire aux gens qu’il fallait réagir. Et pour ça j’étais prêt à utiliser les médias. En ça je m’opposais un peu aux autres, qui pensaient qu’on avait pas besoin des médias pour faire avancer notre combat. Aujourd’hui, je les ai rejoins sur ce point.

 

En ce qui concerne les flics ça se passait comment ?

Julien : On peut dire qu’on l’a senti passer. Heureusement pour nous à la même époque, les Renseignements Généraux et les flics avaient des groupes et des mecs qui les inquiétaient beaucoup plus que nous. Mais , il y a eu des blessés graves, et de nombreux mois, d’années de prisons pour ports d’armes, violence. Certains ont été clandestins pendant quelque temps.

Rico : La première interpellation en groupe, on était tous saouls, le procureur c’était Jean-Louis Debré Quand je suis rentré dans la pièce, il m’a dit : « vous c’est pas la peine de vous asseoir, votre mandat de dépôt est prêt. »

 

Ca s’est terminé comment les Red Warriors ?

Rico : Vers 1991. Il y a pas vraiment eu de fin. C’est la réalité du terrain qui a mis fin à l’histoire. Les gros skinheads qu’on déroulait, ils avaient disparu de la circulation dans les rues de Paris. Et puis chacun avait posé sa vie aussi. Certains avaient eu des gamins, d’autres ont quitté la France.

Julien : Au fil du temps on s’est tous plus ou moins éloignés, mais on a eu un tel vécu pendant ces années, que lorsqu’on se recroise, c’est comme si on s’était quitté la veille. C’est passé de gang de rue à la fratrie. On est tous en contact plus ou moins. Malheureusement il y a déjà des morts.

 

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Ducky Boys
  Et par rapport aux autres bandes de chasseurs ou de reds qui sont apparues un peu plus tard ?

Julien : Si nous aussi on marchait à l’affinitaire, notre but de base, c’était la chasse aux nazis, l’antifascisme radical. On a jamais dévié de ça, ce qui fait qu’on a évité les erreurs des autres bandes. On n’est pas devenu une bande de dépouilleurs comme ont pu devenir sur la fin certaines bandes. Les bandes de chasseurs, c’était la chasse pour la chasse. Et quand il n’y avait pas de problème, ils en trouvaient quand même. Bon pour les Ducky Boys, la première version était correcte.

Rico : C’était des bandes des cités, apparues avec les premiers groupes de Rap, c’était les premiers « zoulous ». Il y avait les Rudy Fox, les Blacks Dragons. Eux c’était que des cousins issus de la même cité. Auparavant, à part nous et les skins, les bandes c’étaient plutôt des rockers.

Julien : C’étaient les premières bandes de cités qui commençaient à s’organiser et à descendre sur Paris. Les mecs sortaient en bande et foutaient le bordel en boîte, dans les bars. Le rapport à la politique était inexistant. Après, ça a donné les Requins Vicieux, les Requins Juniors. Très vite toute une partie de ces bandes ont trempé dans des trucs sordides, histoires de viols, rackets, vols organisés. Avec ces mecs là t’avais plus de chance de te faire brancher si t’avais une crête rose que si t’étais habillé en faf. Ils se disaient tous chasseurs de skins, et le problème c’est que des skins, et des skins fafs il n’y en avait pratiquement plus dans les rues. C’étaient des mecs violents, sexistes qui n’avaient rien à faire dans la scène militante.

En ce qui concerne les autres bandes redskins, genre les Lénine Killers ou les Red Ants, à part un mec croisé une fois dans un concert avec patch, on les a jamais vus.

 

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Ducky Boys
L’époque, la rue vous semblent plus violentes aujourd’hui ?

Julien : Non, parce que les années 1970 avec les blousons noirs, et les années 1980 avec les skins, les punks, les rockers, les bandes de chasseurs, c’était nettement plus violent qu’aujourd’hui. Le truc c’est que maintenant la violence est très médiatisée. Et puis comme c’est devenu un thème de campagne, dès que c’est des Blacks et des Beurs en majorité, souvent musulmans, ça prend plus d’ampleur. Mais les embrouilles entre mecs de différents quartiers ont toujours existé.

 

Comment vous avez vécu les mouvements étudiants de 1986 contre la réforme Devaquet ?

Julien : J’étais en seconde quand ça a commencé, et je me suis retrouvé parachuté leader de mon lycée en grève sur TF1. Au niveau « guérilla urbaine » ça vraiment été mon baptême du feu. A l’époque on allait tous en manif avec des casques de moto, des barres de fer, et on voyageait dans le métro. En plus je me baladais avec un teddy vert-pomme, bonjour la discrétion ! À l’époque le mouvement étudiant était téléguidé par l’UNEF-ID , et j’en n’avais pas conscience. C’est après, avec les autres mouvements que j’ai compris les histoires de mecs parachutés dans les AG, les magouilles. Je me souviens de la première grande manif en 86 qui se terminait par un concert de Renaud sur les Invalides, où l’objectif initial c’était le Parlement. En arrivant devant le bâtiment, il y avait les CRS. Tous les mecs du SO de l’UNEF ID s’étaient mis en ligne pour diriger le cortège vers les Invalides. On était une poignée à dire l’objectif de la manif c’est le parlement. On s’est mis à charger les flics, et c’est parti en vrille. L’UNEF-ID a parlé de casseurs.

Rico : Moi j’étais à Jussieu. Je me souviens de cette manif : il y avait un SO mobile de plus de 300 personnes avec des t-shirts blancs. On est tous hyper matossés, parce qu’on se dit qu’on va peut-être se retaper les fafs. A un moment l’UNEF-ID a demandé à tout le monde de mettre son matos dans une camionnette. Ce qui fait que lorsqu’on est arrivé face aux CRS, on n’avait rien. Les seuls qui restaient organisés et équipés c’étaient les mecs de l’UNEF-ID.

 

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La mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986, c’était après une de ces manifs ?

Julien : La mort de Malik est intervenue à une période où le mouvement étudiant prenait de l’ampleur. Le gouvernement avait décidé de jouer la carte de la matraque, et ils ont attaqué une AG qui se passait à la Sorbonne. Ce soir là, ça été violent. J’étais devant la Sorbonne le soir où les voltigeurs ont débarqué et je peux te dire qu’on a surtout couru. Les voltigeurs, qui n’étaient pas ressortis depuis 1968, ont été dissous par la suite. On a vu arriver 30 motos, avec à chaque fois deux mecs dessus, tout habillés en noir, en ligne. Au début tu crois que c’est des fafs et après tu réalises que c’est les flics. Et là les mecs commencent à monter sur les trottoirs et ils se mettent à allumer tout le monde, passants comme étudiants. Ils ont ordre de nettoyer l’avenue.

Le lendemain de la mort de Malik, il y a eu une manif silencieuse, c’était super impressionnant. Il y avait une tension dans le cortège qui était palpable. Pandreau avait fait une déclaration au sujet de la mort de Malik Oussekine où en gros il disait que c’était de sa faute ce qui lui était arrivé. Pour cette manif le deal de l’UNEF-ID c’était qu’il n’y ait pas de flics sur le parcours. Mais au passage du boulevard de l’Hôpital, il y avait un énorme commissariat, protégé par les flics en tenue. Ca été l’étincelle, et en une demi-heure, les flics se sont pris les 100 premiers mètres de pavés dans la gueule. Il y avait des centaines de personnes qui chargeaient les flics, des autocars de flics ont été retournés. Il faut pas oublier qu’il y avait eu plusieurs jeunes tués par la police, comme William Normand par exemple. Normand s’était échappé par le toit ouvrant de sa 2CV pour éviter un contrôle de police parce qu’il n’avait pas le permis. Un CRS, Gilles Burgos, le course et l‘abat de deux balles dans le dos. Il y a d’ailleurs une affiche célèbre du Scalp où on voit Burgos, lors de la reconstitution Il y a eu comme ça toute une série de meurtres commis par des flics et Malik Houssekin, ça été le point culminant. Il a été massacré à coup de battes par les voltigeurs : je suis allé sur place le lendemain, tu voyais encore du sang jusqu’au plafond ! Deux des voltigeurs ont été arrêtés et ils ont dû juste recevoir un blâme. Et les flics n’ont jamais pu identifier le troisième .

 

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Il y avait des liens avec les groupes politiques comme le Scalp ?

Julien : Non pas trop. Tout le monde savait que le Scalp existait, on connaissait les autocollants, mais au niveau organisation, on savait pas qui c’était.

Rico : Objectivement, on avait pas de lien avec les orgas libertaires. On en avait plus avec les totos.

 

Quelles sont les orgas qui sont venues vous recruter ?

Rico : Les premiers, c’était SOS-Racisme.

Julien : On les a utilisées autant qu’ils nous ont utilisés. Et puis ils avaient le chéquier. Comme on était un peu le seul groupe antifa radical sur Paris, ils sont venus nous chercher. SOS avait un gros problème, leurs colleurs d’affiches avaient la trouille de coller la nuit, ce qui fait que le jour, SOS n’était pas visible sur les murs de Paris. A ce moment là le FN colle aussi pas mal, genre trois camionnettes avec deux bagnoles, une vingtaine de gars, avec chiens et armes. On a été contacté par des mecs un peu lookés redskin comme Mamoud, Scalpel. Julien Dray , qui venait de quitter la LCR et de rentrer à SOS et au PS avait mandaté des mecs qui traînaient un peu dans les concerts pour nous ramener vers eux. A l’époque, on ne connaît pas encore tous les histoires entre SOS-Racisme et le PS. Personne dans le groupe n’était un militant politique averti. On leur dit : « OK, c’est combien », et là les mecs sont vachement surpris, ils pensaient qu’avec leur discours, on allait se taper tout leur boulot tranquille à l’œil. Chacun touchait 200 francs par nuit de collage, avec deux camionnettes à notre disposition.

Rico : Moi j’ai fait pire, j’ai été au Parti des Travailleurs. Le PT, c’est toute une embrouille. Les potes là où j’habitais, ils étaient tous au PT, et ils voulaient absolument que je vienne avec eux. Finalement j’y suis allé. Franchement, ça m’a vite gonflé. Mon premier dimanche matin, ils m’ont convoqué pour que Lambert m’apprenne l’histoire de la classe ouvrière. Et puis un jour avec un pote, on était complètement bourrés sur le parvis de Jussieu, j’ai fait l’apologie de la lutte armée, après avoir fait cramer des affiches de l’UNEF-ID dans leur local. Au bout d’un moment, les mecs du PT sont venus me voir en me disant : « Bon Rico, ça serait bien que tu sois plus chez nous », et du coup je suis parti. Mais j’ai encore plein de potes chez eux.

Julien : Moi j’ai été exclu du PCF vers 1989, j’ai vagabondé et j’ai atterri au PT, parce que j’avais de potes qui y étaient aussi. Ca m’a vite gonflé, parce qu’avec mon expérience au PCF, j’avais passé l’âge de prendre les ordres dans le bureau du chef. Le PT cherchait des cadres. Ils sont paranos, ils ne font rien.

 

Et la LCR ?

Rico : Moi la LCR ça m’a jamais branché.

Julien : La LCR ne nous a jamais contacté, parce qu’on était un peu marqué avec l’histoire de SOS, Dray venait juste de se barrer de la Ligue. Et puis on a jamais eu une image très flatteuse de la LCR. Il y a ce côté « petit bourge à keffieh » qui parle de communisme révolutionnaire, mais dès que ça part en baston avec les fafs, c’est les premiers à cirer « pas de violence, pas de violence ». Pour moi ça fait vraiment école de cadres pour le PS. Je respecte les mecs de la Ligue du début des années 1970, mais c’est tout.

 

Et dans le même temps, est-ce que vous continuez à garder des contacts avec la scène musicale ?

Julien : On participe à tous les concerts de soutien, aux concerts sauvages des Bérus. On a aussi été ramassés lors de la rafle après les attentats « Black War ».

 

L’intégration au SO Bérus, elle s’est faite comment ?

Rico : C’est un truc qui date de l’Usine. Les Bérus voulaient être sûrs que dans leur concert il n’y ait pas de fafs, et que le public se fasse pas tabasser, comme c’était souvent le cas. Avec l’Usine, on faisait aussi la sécu pour des pièces de théâtre, pour les premiers Warhead, on avait l’habitude de cette scène et de ce public. Aux concerts de l’Usine, les punks se faisaient pas taper dessus. Donc c’est là où il y a eu la rencontre avec les gens du Scalp, des gens qui bougeaient avec eux. En gros le SO Bérus, c’était des jeunes cons qui en voulaient qui ont rencontré des vieux cons qui en voulaient, et à qui on rappelait pleins de choses.

Julien : Les Bérus drainaient un public que les boîtes de sécurité n’avaient pas l’habitude de gérer, en particulier en province. Et puis en plus les boîtes de sécu privée à l’époque comme aujourd’hui, elles ont des accointances avec les milieux fafs. Les mecs laissaient rentrer des gens qui n’avaient rien à faire dans un concert Bérus. Au final les Bérurier Noir ont imposé leur SO.

Rico : En province parfois c’était chaud. Au début il y avait des fafs à chaque concert. A Lyon on a bien rigolé, à Bordeaux on s’est fait des bikers. Les mecs venaient faire les malins près de la salle, on faisait rentrer le public et après on allait faire courir les fafs. Dans le SO il y avait des rouges et des noirs, mais il y avait une bonne fusion. Il y avait de pures engueulades dans la camionnette sur la route, mais tout le monde était hyper carré pour la sécurité du public.

 

Le public des années 80, qui venait aux concerts, il était plus politisé, plus conscient qu’aujourd’hui, où il y a pas mal de monde pour les concerts, mais peu dans les actions et les manifs ?

Julien : Plus politisé, non, parce que je pense pas que les mecs et les nanas dans les années 80 étaient très liés aux orgas politiques. Par contre les gens se bougeaient sans doute plus, et ils étaient plus réactifs. Les gens venaient, prêts à y aller, à fond la caisse, ils se foutaient de savoir par qui ça avait été organisé, et il y avait toujours 300 personnes prêtes à aller au carton avec les flics. J’ai l’impression qu’ à l’époque on était enragé contre tout. On avait vachement moins peur des flics qu’aujourd’hui : les gens ne veulent plus assumer, et puis la peur de l’uniforme a été intégrée.

 

Quelle place pour les femmes à cette époque dans toutes vos histoires ?

Julien : Franchement, pas large.

Rico : Le principe il est con. Tu pars la nuit pour te taper, avec des risques de te prendre des coups de couteau. Si tu mets une nana, on va focaliser sur la sécurité de la nana. Et puis le truc des Red Warriors, c’était de la violence pure. Des militantes sur des trucs précis, elles vont y aller, mais dans ce trip là, elles sont assez réticentes.

Julien : Il y a eu une nana qui traînait avec nous, il y a même eu une bande de nanas, Princesse et ses copines, qui lattaient les mecs à coups de batte de base-ball. Après il faut se remémorer l’époque. A ce moment-là, nous les mecs, on commençait à peine à sortir de nos cités pour aller sur Paris, alors imagine les nanas. C’était pas une décision, genre on ne veut pas de filles. Il n’y en avait pas, tout simplement. Et puis fatalement, les premières nanas qui ont commencé à traîner avec nous, c’étaient les copines des mecs de la bande. Il n’y a eu que très tard une ou deux nanas qui bougeaient avec nous, mais qui ne sortaient avec aucun de nous. De toute façon à cette époque là, il n’y avait de nana nulle part, même dans le mouvement alternatif. Regarde la vidéo des Bérus à l’Olympia, il n’y a pas des masses de filles dans la salle. Leur absence n’a rien à voir avec une volonté machiste.

 

Et des histoires de came, vous ne nous en avez pas tellement parlé ?

Rico : Parce qu’il n’y en a pas tellement. On a pas vraiment été confronté à ça. On fumait tous, mais ça s’arrêtait là.

Julien : Il y a un membre des Red Warriors qui a eu de sérieux problèmes de came, mais c’est le seul. Il a frôlé la mort. Mais c’était après la fin des Red Warriors. Pour lui, c’était le contre-coup de cette période hyper-active. Il était effrayé par l’idée de changer d’univers. Il a toujours été à la recherche d’une nouvelle bande, d’un milieu qui pouvait lui rappeler ce qu’on avait vécu. Il traînait avec des mecs qu’il connaissait même pas. Il a fait de la prison à cause de ça. C’est le seul problème qu’on a connu avec les Reds Warriors.

Rico : Et puis le fait de traîner aussi dans des milieux politisés, dans le SO Bérus où tu rencontres des mecs plus vieux que toi, t’empêche de dériver. Les gars te racontent des histoires, te font partager leurs expériences, sans te faire la leçon.

 

Il reste qui de cette période, chez vous et en face ?

Julien : Du côté des fafs, il reste les gars qui étaient déjà militants dans des orgas. Même si on tapait tous les mecs dans un groupe, on sait bien qu’il y avait les suiveurs, et des mecs qui étaient plus que motivés. De cette époque, il reste Chatillon du GUD qui est passé au FN… Quant à Batskin, de ce que je sais, il a plus ou moins lâché l’affaire.

Après, il y a eu une suite. Aujourd’hui il y a jamais eu autant de skins qui se revendiquent red, alors qu’à mon époque, on était une vingtaine sur toute la France. Il n’y a plus de hordes de skins fafs dans les rues. Il faut pas non plus focaliser sur la délire skinhead ou redskin, j’en ai un peu rien à foutre, je sais très bien que c’est pas les skins qui vont faire la révolution un jour. Mais j’aime le folklore skin, parce que je suis tombé dedans tout petit. On n’est pas nombreux à avoir tenu le coup, à avoir réussi à traverser les années 1990, qui ont été pour moi la traversée du désert pour le milieu militant et le rock alternatif.

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