Quelle est la couleur du gilet jaune ?

Lu sur le site du numéro Zéro, quelques extraits d’une intéressante analyse (à lire en intégralité ici) d’un mouvement qui se prétend "apolitique" mais dont il est difficile de nier certaines revendications solidement ancrées à droite… En ce qui nous concerne, on avait déjà dit ici ce qu’on en pensait ici  

On n’en peut plus d’entendre que c’est un mouvement apolitique. Si au même moment toutes sortes de personnes décident de défiler dans les rues, à la même date, avec un même mot d’ordre et un gilet de la même couleur, c’est un acte politique puissant, qui répond à des appels et à de la propagande. Dès le début une unanimité gagne la population. Nombre de compagnon’nes de luttes suivent le mouvement, généralement sans drapeau ni slogan. Il est devenu compliqué d’émettre un point de vue critique sur cet engouement. On n’a aucun intérêt à décrédibiliser une lutte sociale mais on tient à garder notre regard politique. A savoir : analyser et participer à ce qui se passe sur des bases de solidarité, d’anticapitalisme, d’antifascisme avec une volonté internationaliste et autogestionnaire.

D’accord il y a eu la pétition de Priscillia Ludosky en mai dernier puis un réseau de personnes mécontentes sur facebook autour de deux chauffeurs routiers en colère qui traînent sur internet contre la hausse des carburants. Ce sont des gens qui ne semblent pas affiliés à un quelconque parti ou mouvance politique. Mais c’est avant tout cette affiche bleu-blanc-rouge d’appel à un rassemblement le 17 novembre, signée par le simple mot-clef : #lafranceencolere qui fera décoller la mobilisation. Et c’est tout de même la vidéo d’un militant du parti de Nicolas Dupont-Aignan vue plus de 4,4 millions de fois, qui fera vraiment prendre la sauce.

Cet appel du #17 novembre, ce qu’on appellera plus tard l’Acte 1, a été lancé en plein débat sur les budgets 2019 lors duquel le rassemblement national défendait la "suppression du tarif réduit de taxe intérieure de consommation sur le gazole non routier" (Le projet de loi budgétaire a été débattu du 14 septembre 2018 puis adopté le 20 décembre 2018). Il sera massivement relayé sur les réseaux sociaux par des personnages politiques d’extrême-droite. Une affiche, une couverture très efficace sur les réseaux sociaux, des soutiens de personnages influents et un calendrier politique au poil : on peut se poser des questions sur le caractère soi-disant apolitique et spontané de cet élan populaire.

Et puis à regarder de plus près qui soutient activement ces manifs sur la toile et dans les médias, on ne trouve pas une seule figure fréquentable.

Par exemple Nathalie Germain, personnage très présent depuis le début, la déléguée à la communication numérique du Rassemblement National Isère est un exemple. Elle se présente comme "En soutien total pour MARINE LE PEN" et, forte de ses 290 000 comptes qui la suivent sur Facebook (ce chiffre a augmenté de +91% ce dernier mois), elle était une des grands soutiens du mouvement dès le début.

Et puis dans la rue aussi les groupuscules nationalistes et identitaires sont présents partout. Bien sûr nous ne cracherons jamais sur une augmentation du SMIC et des retraites, sur des impôts sur la richesse ou de la démocratie directe. Mais pour nous le terrain social n’est rien s’il ne s’inscrit pas dans une recherche de l’émancipation de toutes et tous. Il suffit que ces revendications sociales légitimes soient accompagnées par celles-ci  :

37- Suppression de l’accord de l’ONU signé à Marrakech le 10 décembre 2018.
38- Fin de la gratuité des soins aux personnes d’origine étrangère en situation irrégulière.
39- Diminution drastique de l’immigration sur le sol Français. 
40- Suppression des aides sociales pour les familles des enfants placés sous l’autorité du conseil départemental.

pour que l’on soit sûr’es que le mouvement n’est pas ici sous-tendu par des idées internationalistes ! Bah oui, les jeunes du GUD, illes ouvrent aussi des squats pour les SDF, mais on ne le fait pas pour les mêmes raisons !

Et puis dans les mots d’ordre qu’on entend beaucoup, il y a soudain cette histoire de RIC. L’acte I, c’était les taxes sur le carburant, puis l’acte II la démission de Macron, ensuite il y avait l’ISF et l’augmentation du SMIC et tout d’un coup, acte V on se ballade tout’es derrière des banderoles RIC, on tague pour le RIC (« Le RIC ou la vie » en référence à une chanson populaire de la Ricamarie, ville rouge près de Saint-Étienne pendant la manif du 16 décembre). Les slogans fusent et changent vite mais ne sont toujours pas plus en adéquation avec la vision du monde que l’on défend au quotidien.
Et ce RIC, qui est sur beaucoup de banderoles depuis la semaine dernière justement, qu’est ce que c’est ?
Yvan Bachaud->https://www.ric-france.fr] est un des personnages principaux de soutien à ce mouvement des gilets jaunes depuis le début. Candidat à de nombreuses élections depuis 2012, ce dentiste s’est fait le héraut du RIC (le referendum d’initiative citoyenne). D’obédience très clairement à droite, il est influencé par Etienne Chouard et le réseau Voltaire. Son programme est un mélange classique de socialisme et d’anti-système (plus de pouvoir au peuple grâce au RIC, droit à euthanasie, contre les élites...).

C’est en 1993, qu’Yves Bachaud dépose l’association "Rassemblement National d’Associations pour le Référendum d’Initiative Populaire (RNARIP)", qui changera de nom plusieurs fois pour devenir le "Rassemblement d’Initiative Citoyenne". L’objet de l’association domiciliée à son adresse est de promouvoir le RIC et elle est ouverte à "Toute personne qui approuve l’objet social d’Article3 et est prête à manifester".

C’est le site de l’association Article 3 qui recense les soutiens au projet RIC et quand on regarde les personnes morales qui ont adhéré, en vrac on trouve : Uni, Les 4 vérités, UPR, Riposte laïque, Club de l’horloge, l’Ami public, Énergies démocrates, Pays réel... Bref, beaucoup de lobbyistes d’extrême droite, qui militent "hors partis" depuis des années. Cette même page précise : « le RIC ne remet pas du tout en cause le principe de la démocratie représentative », c’est parlant. Alors oui, il n’y a pas que des trucs de droite qui soutiennent l’idée d’un referendum populaire puisque ça fait plus de 10 ans que tous les partis essaient de récupérer cette idée, n’empêche que c’est pour eux qu’on promène des banderoles « RIC ».

On le sait bien, les idées défendues par l’extrême-droite ont largement débordé le parti du Rassemblement national, en fallait-il une preuve de plus ? Dès la troisième semaine des syndicats de policiers appelaient à rejoindre les gilets jaunes [1]. Et, bien sûr ce sont les flics qui ont obtenu les meilleures victoires (+120 à +150 euros net sur leur salaire après une seule pauvre journée de service minimum). Quand l’État casse le peuple, il augmente les keufs : normal.

Alors jusqu’où la convergence ?

Quel temps on passe à se poser la question de la convergence (avec des flics !?) plutôt qu’à défendre nos luttes ! Soyons clair’es, il n’y a pas d’intérêts de classe communs entre un patron de PME et un « jeune de banlieue ». Et dans ce marasme qui prétend être apolitique, il est temps de prendre une position claire.

Et ce n’est par hasard si le mouvement nous rend confus : les mots le sont. Par exemple : « élites » vs « petit peuple » (plutôt que "capitalisme" vs "prolétaires"), discours à priori audible dans une perspective marxiste (voir les sociologues Pinçon-Charlot qui défendent le mouvement) mais tellement repris par la gauche, la droite, l’extrême-droite, l’extrême-gauche, les royalistes, vichystes, etc. que ça ne veut plus rien dire. Par exemple, le site d’extrême-droite Polémia prône une « nouvelle lutte des classes » autour de la dualité élites vs peuple. Élites qui mettraient le peuple en insécurité « culturelle et identitaire "du fait du Grand Remplacement migratoire , de l’Islamisation et de la déconstruction "sociétale" des mœurs".

La définition du site pour "sociétale" vaut des points : « Il s’agit en fait d’un oxymore car ces réformes ont justement pour objet l’individuation radicale et la destruction de tout ce qui fait société. Le terme sociétal est destiné à faire oublier qu’à droite comme à gauche on a abandonné le social : parce que la gauche a abandonné le peuple et parce que la droite réduit le social à l’humanitaire et à la philanthropie ». Ouais, ok pour le constat mais c’est pas pour ça que leur pseudo lutte des classes est contre le capitalisme, pour la solidarité ou l’autogestion.

Quand on milite avec tel syndicat ou association, on sait les points d’accords et de désaccords. On ne joue pas avec le feu à prendre des risques de fous dans des actions sans savoir ce qu’on défend. Au contraire, nos bases sont solides et définies même si parfois ça veut dire s’organiser avec moins de monde qu’on ne l’aimerait. C’est important pour éviter les récupérations et le confusionnisme. Ici, quelle est la base commune pour s’engager dans ce mouvement ? Quelles revendications ? Quelle idée politique ? La tête à Macron ? Le ric ?

Après, être dans le mouvement en tant que militant’e et tenter de ne pas le laisser à l’extrême-droite et aux autoritaires en tous genres, ok ! Et on voit bien qu’il y a de belles actions et revendications sur certains rond-points ! Bien sûr on a envie d’en être, mais l’histoire s’écrit au jour le jour, et chacun’e doit écrire la sienne dans un contexte donné.
Nous regardons l’histoire récente, ce qui se joue en France, en Europe et dans le monde. La montée des nationalismes réactionnaires et ce qui s’est passé en Italie ces dernières années avec le mouvement 5 étoiles par exemple. Puis dans l’Histoire moins récente : les pires gouvernements ont souvent été plébiscités par des référendums ou des votes populaires.

Les grandes émotions populaires nous font vibrer et nous émancipent quand elles s’attaquent aux dominations, mais nous font froid dans le dos si le seul lien qui relie les gens est d’être français. Si on ne se débarrasse pas radicalement de l’élan nationaliste de ce soulèvement populaire, le pan social ne sera jamais le nôtre.
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Notes

[1"Les revendications portées par le mouvement des gilets jaunes nous concernent tous. Il est temps de s’organiser légalement et d’être solidaire avec eux, pour l’avantage de tous." Mercredi 5 décembre, le syndicat VIGI ministère de l’Intérieur