Pologne : des nationalistes perturbent un colloque à Paris sur l’Ecole polonaise de la Shoah

Le directeur de publication du site Le Courrier d’Europe Centrale a publié un long article sur les menaces de nationalistes polonais à l’encontre des intervenants d’un colloque qui s’est tenu jeudi et vendredi dernier à Paris sur la mémoire de la Shoah, ponctuées d’insultes antisémites. En voici un extrait, l’article intégral étant à lire ici.

Jeudi et vendredi dernier, un colloque scientifique consacré à « l’École polonaise de la Shoah » a été perturbé par des militants nationalistes polonais. De nombreux chercheurs ont été malmenés à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte universitaire, en raison de leurs prétendues positions « anti-polonaises ».

« Nous sommes sous le choc. Il y a eu des perturbations dans la salle – j’y étais l’après-midi du jeudi. Je me suis retrouvée par hasard parmi un groupe assez conséquent de supporteurs de Gazeta Polska , assise à côté du curé au milieu » . Dans l’amphithéâtre François Furet de l’École des hautes études en sciences sociales, Joanna assiste avec une centaine de participants à l’irruption de militants nationalistes polonais venus contester à des historiens le droit de débattre du passé de la Pologne, de l’histoire de la Shoah, des chevauchements mémoriels juifs et polonais.

La scène a effectivement de quoi choquer : elle se déroule au cœur de Paris, dans une enceinte universitaire prestigieuse. Les propos qui sont tenus sont explicitement antisémites. Le ton qui domine est agressif et menaçant.

« Le matin, en entrant dans la salle, on a tout de suite repéré les émigrés polonais à Paris qui militent au Klub Gazeta Polska. Il y avait un curé, un mec avec un badge du drapeau polonais » , nous raconte Valentin Behr, jeune chercheur français actuellement en poste à Varsovie. « L’ouverture officielle du colloque s’est bien passée. Ça a commencé à déconner sur les coups de onze heures lors de l’intervention de Jacek Leociak en conférence introductive, pendant laquelle la présidente de séance a dû multiplier les rappels à l’ordre » . « Ils étaient placés dans différents endroits de la salle pour intervenir et filmer » , précise Frédéric Zalewski, politiste, également présent.

Le chercheur conspué est un historien polonais auteur d’une monographie remarquée sur le ghetto de Varsovie. Dans l’après-midi, ce sont les exposés de Jan Grabowski – spécialiste de la « chasse aux Juifs » dans la Pologne occupée – et de Sidi N’Diaye – au sujet d’une comparaison entre Tutsis du Rwanda et juifs de Pologne – qui sont également chahutés, entravés. « – Une honte de ne parler que des juifs et des Polonais, et pas des Allemands ! » entend-on dans les travées.  « – Vous taisez les crimes commis par les juifs eux mêmes ! », « – Qui vous a donné cette information ? » « – Mensonges ! »

« Ce n’était pas des interventions isolées, c’était coordonné » , insiste de son côté Tal Bruttmann, dont les posts sur Facebook ont largement contribué à mettre en lumière ces incidents. « Il y avait toujours entre quinze et vingt personnes de ce groupe nationaliste dans l’amphithéâtre, avec des allers et venues, des rotations » , souligne Valentin Behr. « Concernant Sidi N’Diaye, il a été pas mal teasé par des médias polonais avant le colloque » , rappelle également le jeune chercheur. « Il a ensuite été présenté dans un média polonais proche de Korwin-Mikke comme l’invité exotique de l’Ouganda, alors que son intervention était vraiment brillante » , s’indigne Frédéric Zalewski.

« Le lendemain, je suis venue l’après-midi, ils n’étaient pas nombreux au début, ils sont arrivés petit-à-petit. En sortant, on a compris qu’ils attendaient les intervenants et les participants dehors, en les entourant et poussant des cris » , nous raconte Joanna. « On est venus me voir après mon intervention » , confirme Valentin Behr, « J’avais fait un lapsus en décrivant le logo de l’Institut polonais de la mémoire nationale – j’avais dit « l’aigle et la croix » au lieu de « l’aigle et la couronne » ». Dehors, une militante nationaliste est venue me dire : « Vous avez plaisanté avec la croix, mais nous, nous ne venons pas rire dans les synagogues » ». 

Plus grave : Jan Grabowski dit avoir été traité de « sale Juif » . « Après avoir quitté l’EHESS, on m’a insulté copieusement dans la rue, près du métro » , a quant à lui fait savoir Jacek Leociak.

« Tous ces gens sont connus comme membres du Klub Gazeta Polska. Ce sont des nationalistes d’extrême-droite très liés au Rassemblement national français. Ceux de Paris sont des Polonais de France, parfois de troisième génération » , nous explique Jean-Yves Potel, universitaire et ancien journaliste, spécialiste de la Pologne. « Depuis que le parti Droit et justice (PiS) est au pouvoir, à chaque manifestation d’opposants devant l’ambassade de Pologne à Paris, ils sont là » . Ces jeudi et vendredi, certains membres du « Klub » de Varsovie ont même fait le voyage pour la capitale française.

540F6747-FBA9-434D-9C17-98CB8221366B

« Ce sont des groupes militants organisés, qui se sont beaucoup mobilisés lors des marches après la catastrophe de Smolensk«  , abonde Valentin Behr, par ailleurs spécialiste de « l’Histoire du temps présent » de la Pologne. «  Gazeta Polska est quand même un journal bien d’extrême-droite, antisémite » . Ceux de Paris font partie d’un vaste réseau d’associations de lecteurs dispersées dans toute la « Polonia », nom donné à la diaspora polonaise dans le monde.

Le chahut et les intimidations dont ils ont été les auteurs lors du colloque à l’EHESS, ces militants le revendiquent sur leur page Facebook. Des vidéos nationalistes y cohabitent avec les clichés et comptes-rendus de leurs activités. Comme leur participation à cette « Marche pour la vie », organisée le 20 janvier dernier à Paris par des associations françaises anti-avortement. Quant au prêtre présent avec le groupe, il s’agirait de Stanisław Jeż – recteur pendant trente de la Mission catholique polonaise de Paris -, selon Audrey Kichelewski citée par Political.fr