Perpignan : à propos du barrage "républicain" en faveur du LR Pujol contre le RN Aliot

Le Comité de Vigilance Antifasciste des Pyrénées-Orientales communique :
 "Plus on va à droite, plus on fait monter le FN" (Estrosi, 2005)

Il y a quelques jours, un journaliste du Parisien ironisait sur un réseau social : "Only in Perpignan". Effectivement, même si cela ne prête pas à rire, pour le contrôle de cette ville, sinistrée socialement, économiquement et bien sûr politiquement depuis des décennies, trois colistiers d’un député LREM, dont le numéro 3, ex-président du tribunal de commerce, apportent au second tour leur soutien à la liste de Louis Aliot, l’un des principaux cadres du Rassemblement national. Cet ancien poulain de Jean-Marie Le Pen et ex-compagnon de Marine Le Pen a fait une campagne sans logo ni soutien trop flagrant de son propre parti, et ne convoque pour ses meetings que des figures de "l’union des droites" : Mariani, Garraud, le maire de Béziers Robert Ménard, mis à part son ami Zemmour, qu’il déclare "trop radical" sur la question de l’Islam, tellement il cherche à lisser son image... Pourtant, Aliot avait cosigné le soutien aux membres de Génération Identitaire à Marseille après l’occupation du siège de SOS Méditerranée.

Ses colistiers "d’ouverture" venus de l’UMP, Libres, l’UDF, le PR, les Jeunes Populaires, DLF, l’UDI et du PS publient une tribune : " Le véritable front républicain c’est nous ! ". Le président local d’un prix littéraire à la mémoire de Walter Benjamin propose un terrain d’entente à celui qui, jusque là conseiller municipal du LR Pujol et président du Centre Méditerranéen de Littérature, deviendrait dans quelques jours l’adjoint à la culture d’un maire RN (les jurés du prix ont démissionné illico en bloc et constituent une autre structure pour préserver le nom de l’antifasciste Benjamin).

Les fédérations PS, PCF du département, la présidente socialiste de la Région et EELV font avec énergie campagne "contre l’extrême droite" en appelant à réélire le maire LR d’une ville de 120 000 habitants qui, le 5 juillet précédent, ceint de son écharpe d’élu, déposait une gerbe sur une stèle de l’OAS trônant dans un cimetière municipal...

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"Only in Perpignan" ? Ou cette caricature politique et éthique ne devrait-elle pas alerter d’urgence ?

Avant le premier tour, le CVA 66 a publié un communiqué disant notamment : "(...) la constitution d’un "front républicain" au deuxième tour des municipales à Perpignan pour barrer la route au numéro 4 du bureau exécutif du Rassemblement National Aliot agite la presse autant que les appareils politiques. À l’issue d’une campagne étouffée sous les questions sécuritaires et les faits-divers très médiatisés, les électeurs seront-ils une fois encore sommés de "faire barrage à l’extrême-droite", mais une extrême-droite réduite au seul R.N. ? La réalité politique locale apparaît très éloignée des grands discours "antifascistes" qu’on ne manquera pas de nous servir dans quelques jours. Combien de candidats pratiquent-ils en effet, non pas le "tous contre l’extrême-droite", mais le tout contre ? "
Perpignan, " laboratoire de l’idéologie populiste d’extrême droite " (LREM)

C’était prévisible : dès le soir du premier tour, la première secrétaire fédérale du PS (qui selon diverses sources se voyait initialement tête d’une alliance avec LREM), sans consultation de ses alliés de la liste Langevine, appelait à voter Pujol au second tour. Sans plus attendre la consultation des fondateurs de la liste dite "citoyenne" L’Alternative et ses autres composantes (LFI, NPA, Génération.s, ERC) à laquelle il participait avec 7 candidats déclarés, le PCF faisait illico de même. Et d’ailleurs, alors que cette consultation au sein de l’Alternative a opté fin mai pour une position de refus de toute fusion pour le second tour et "pas une voix pour le RN", le PCF 66 a maintenu sa position, rejetée dernière dans la consultation : " mettre le bulletin de vote Pujol dans l’urne le 28 juin prochain ".

Fin mai, les deux têtes des listes arrivées 3ème et 4ème susceptibles de se maintenir annoncent leurs "retraits républicains". Le 28, le député LREM (ex-socialiste, ex-UDI, ex-LR etc.) Grau, tête de liste LREM, MoDem, UDI, Agir, 13,17% au 1er tour, publie " Je ne peux me résoudre à voir le Rassemblement National de M. Aliot faire de notre ville un laboratoire de l’idéologie populiste d’extrême-droite comme il l’annonce depuis déjà plusieurs années (...) La solution de responsabilité et d’exigence républicaine qui est la nôtre ne peut malheureusement consister que dans un retrait républicain pour ce second tour. C’est à mes yeux aujourd’hui le seul moyen de faire barrage à M. Aliot ".

Le 30, c’est la vice-présidente EELV de la Région, Langevine, qui annonce à son tour le désistement de sa liste (EELV, PS, PRG, dissidents LFI /En commun 66, Place publique, Génération écologie) : " (...) ma conscience pèse bien plus lourd qu’un mandat électoral. Désormais, ma seule préoccupation est l’avenir de Perpignan. Quel qu’en puisse être le prix politique, mon devoir est d’abord un devoir Républicain de salubrité publique. (...) Je ne me résous pas plus à voir Perpignan devenir le trophée d’un candidat qui a lancé sa campagne électorale aux bras du raciste Zemmour. Un candidat qui clame vouloir lutter contre la corruption alors qu’il est lui-même poursuivi, et dans plusieurs affaires, pour détournement de fonds publics. J’appelle donc tous.tes les électeurs.trices à user de leur vote pour confiner définitivement les ambitions du candidat du Rassemblement National et à voter pour la liste qui lui reste opposée. " Une décision immédiatement saluée par l’eurodéputé EELV Cormand : "Même si le Maire sortant ne mérite pas de représenter le front républicain, et sans illusion sur les limites de cette stratégie défensive, face à la bête immonde, il ne faut pas transiger. Jamais. "

Le 12 juin, la présidente socialiste de la Région Occitanie manifeste physiquement à Perpignan son soutien au sortant Pujol, et ne lésine pas sur les rapprochements historiques : " quand on est devant les monuments aux morts de France, je veux pouvoir lire les noms en étant droite et en regardant ces hommes qui ont sacrifié leur vie pour la devise républicaine. Ils ont sacrifié leur vie en se levant contre le régime nazi dont les idées viennent de l’extrême droite. C’est cela le combat contre l’extrême droite et la République. Et c’est en cela que nous appelons de façon unanime à voter Jean-Marc Pujol (...) revenons aux fondamentaux ! C’est quoi être français ? C’est quoi être libre ? C’est quoi avoir la liberté de donner une opinion ? ».

Le 17 juin, la presse locale annonce qu’une " liste de personnalités politiques et citoyens ", " majoritairement engagées à gauche ", a signé un appel à voter Jean-Marc Pujol, à faire le choix " du moins mauvais face au plus mauvais ". On y retrouve la secrétaire fédérale du PS et plusieurs colistiers de la liste L’Alternative. Dans la ville, le PCF distribue des tracts appelant à voter pour le LR "Droite forte" Pujol… Bref, dimanche, les électeurs perpignanais seraient appelés à vivre un remake de 2014, le héros républicain Pujol contre Aliot, la République rassemblée contre la Bête immonde ?

Mieux encore, élu en 2014, la liste d’union de la gauche s’étant désistée à son profit, Pujol avait géré tout son mandat en considérant qu’il avait été élu sur son programme. Cette fois, il promet de créer un "conseil communal" pour permettre la représentation des courants politiques non élus au conseil municipal (du moins ceux qui se seraient désistés en sa faveur).

Perpignan"l’irrécupérable ou la pestiférée" (MODEM66)

Mais tout cela n’est bien sûr qu’une façade "démocratique" pour les medias et les électeurs, une caricature d’antifascisme.

"Faire barrage au Front National" ? Lors des élections départementales de mars 2015, donc seulement quelques mois après avoir été élu sur ce mot d’ordre comme "candidat d’un mandat" (pas de cumul maire/président de l’agglo, pas de candidature en 2020) Pujol (bien sûr cumulant mairie ET présidence de l’agglo) avait à son tour publié un communiqué affirmant : " Dimanche, pas une voix ne doit manquer aux seuls candidats qui peuvent faire échec au FN à Perpignan " Mais il précisait quant "aux seuls candidats" de droite. Dans les cantons où ses amis et alliés n’étaient pas en mesure de se maintenir, la consigne était "ni gauche, ni Front National"…

Pourquoi le président national du MODEM se fend-il d’un communiqué de soutien à Pujol sur " les valeurs républicaines et la proximité des élus avec le terrain sur les enjeux locaux " ? Parce que, du côté du MODEM départemental (composante de la liste du LREM Grau), le son de cloche n’est pas du tout le même ? : " bien sûr nous savions combien persistaient dans cette ville la compromission, le clientélisme, le partage du pouvoir. Ah, le partage du pouvoir, nous y voilà, et c’est bien cela qui amène cette mascarade électorale à se retrouver comme en 2014, piégé dans ce vote indigne. On ne va pas choisir un maire, on nous l’impose. Quel est le pire ?, je ne sais pas, mais ce qui est sûr c’est qu’avec un des deux, on a vu ! (...) Il ne peut y avoir « ni retrait, ni désistement » même républicain, d’ailleurs quel mot galvaudé de nos jours, car cela voudrait dire de fermer les yeux sur ce que nous allons laisser à nos enfants. Perpignan est déjà regardé par la France comme une ville désespérée, elle le sera maintenant quoi qu’il arrive comme l’irrécupérable ou la pestiférée ."

D’autres citations ? Celle de la "divers centre" (elle aussi passée par de multiples partis) Ripoull, 5,99% de voix au 1er tour, qui ne donne aucune consigne de vote mais écrit : " Entre la droite extrême et l’extrême-droite, il n’y a malheureusement aucun choix possible ".

De l’ex-chevènementiste Amiel, débarqué de la trésorerie du LR66 pour sa candidature opposée au candidat Pujol dont il était un adjoint : " Je n’appellerai pas à voter pour le front républicain, car c’est devenu un extincteur du débat public il ne peut conduire qu’au statu quo et à l’entretien des pratiques et des clientèles politiques contre l’intérêt général. "

De composantes de l’Alternative, LFI : " Le front républicain est une formule usée qui a contribué à rehausser dangereusement le plafond de verre du Rassemblement National. Aucun Insoumis n’a besoin d’une quelconque consigne pour se détourner d’un vote pour le FN. " La gauche catalane (ERCn) : " Ni extrême-droite ni droite extrême. ABSTENTION pour dire non au racisme et à l’exclusion ". NPA : " Le résultat du premier tour des élections municipales ne nous laisse pas d’autre choix qu’un candidat d’extrême droite représenté par Louis Aliot et le Rassemblement national (RN) et un candidat maire sortant de droite extrême incarné par Jean-Marc Pujol et Les Républicains (LR). Ce duel Aliot-Pujol est une impasse tant leur politique est réactionnaire et antisociale . "

"Front républicain" : fantasme médiatique, opportunisme ou manipulation ?

Le principe même d’un barrage autour du maire sortant contre un RN est ainsi très loin de faire l’unanimité. Y compris au sein de la liste Langevine, puisque l’une de ses composantes, En Commun 66, a déclaré " ne se résigner (...) jamais à assister inactifs au duel tragique entre l’extrême droite et la droite financiarisée actuellement au pouvoir " et a appelé " à la lutte et à la résistance du plus grand nombre par tous les moyens légaux que ce soi ".

Un tel front aurait déjà été plus crédible s’il ne s’était pas constitué fin mai à quelques heures de la clôture du dépôt des listes du second tour. Si le candidat LREM n’avait pas posté, le lendemain du 1er tour " Compte tenu de l’aggravation rapide de la crise sanitaire, je suspends ma campagne du 2ème tour à Perpignan " (16 mars 16h58), qui signifiait bien son intention de se maintenir. Si la tête de file EELV-PS etc. n’avait pas encore tenté, le 28 mai, de convaincre ... Pujol de se retirer.

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En réalité, ce "front républicain" résulte d’échecs de négociations pendant tout le confinement :
• Échecs d’accords préalables de désistement au profit du mieux placé.
• Échecs des tentatives de fusion des listes Langevine-Ripoull-Grau (la "troisième voie") voire avec l’Alternative (donc associant NPA et LFI à l’ancien responsable départemental de Debout la France et d’ex-frontistes, des Gilets jaunes et le secrétaire régional d’Alliance Police, anticapitalistes affirmés et ultra-libéraux convaincus...
•Échec de la tentative, promue par la présidente de Région et relayée localement par la vice-présidente Langevine, d’éviter une triangulaire trop favorable au RN Aliot, en obtenant de Pujol son pur et simple retrait. Pujol étant considéré comme le plus mauvais adversaire possible d’Aliot. Un éclair de lucidité ? Mais comme Pujol est arrivé second, avec un peu plus d’un tiers des voix d’Aliot, ce qui constitue le plus mauvais score national d’un maire de grande ville sortant, il n’était pour lui pas question de se retirer au profit d’une alliance improbable des 3ème, 4ème, 5ème etc.

Donc, deux jours après avoir été prié de se désister pour éviter que Perpignan ne devienne au regard de sa personnalité et de son bilan une vitrine RN, le même Pujol a été métamorphosé, du moins sur les tracts et dans les déclarations médiatiques, en figure de la résistance contre l’extrême droite à Perpignan pour les PS, LREM, PCF, EELV, Génération·s etc. en toute connaissance de ce qu’il est : pas exactement un "rempart contre l’extrême-droite" (voir encadré "Un candidat Républicain dans le texte").

Les électeurs perpignanais ont-ils ainsi ce dimanche le choix entre la "République" et la "Bête immonde" ? Ou plutôt n’ont-ils seulement à choisir qui, de Pujol ou Aliot, inaugurera dans Perpignan des rues Denoix de Saint Marc, du nom du putschiste d’Alger commandant son 1er REP (comme dans le Béziers de Ménard), mais aussi Pierre Sergent, créateur de l’OAS métro puis député FN dans les Pyrénées-Orientales de 1986 à 1988, dont les deux adversaires de ces municipales se disputent l’héritage ?

Citons Pujol à cet égard : " Saint-Marc s’est engagé dans la Résistance quand les communistes signaient le pacte germano-soviétique et que Maurice Thorez désertait ! C’est une personnalité exceptionnelle de résistance au nazisme et de défense de l’Algérie française (...) Pierre Sergent s’est aussi engagé dans la Résistance. Ce sont des références historiques qui méritent qu’on regarde leur parcours dans leur intégralité "... Des références pour Pujol, en tout cas.

Pour ces futurs baptèmes de rues à la mémoire de l’Algérie française et de l’empire colonial, la seule alternative pour les Perpignanais tient juste à une rumeur persistante : Pujol, 71 ans, passerait la main après avoir été élu, de la même manière qu’il avait récupéré la direction de la ville en 2009 sans être tête de liste. L’un des héritiers les plus vraisemblables serait alors son premier adjoint, le très sécuritaire Parrat (ex-MPF de Pasqua et de Villiers).

Mais les deux rivaux s’attendent à des scores tellement serrés qu’ils ont déjà engagé des poursuites légales préparant une procédure d’annulation du scrutin (une sorte de remake des célèbres élections "aux chaussettes" de 2008 ?) Ce qui augure de nouveaux épisodes dans le sinistre feuilleton perpignanais.

Le Comité de Vigilance Antifasciste des Pyrénées-Orientales (CVA66)