Dimanche dernier, plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont défilé un peu partout en France pour dénoncer la violence des opérations militaires d’Israël dans la bande de Gaza, et leur soutien au peuple palestinien. À Paris, une provocation de la LDJ à proximité d’une synagogue a réussi à ternir l’image de la lutte pro-palestinienne, souvent soupçonnée, plus souvent à tort qu’à raison, de complaisance à l’égard de l’antisémitisme.

Jusqu’à présent, nous n’avons pas (ou peu) évoqué sur notre site la question de la solidarité avec le peuple palestinien, parce que nous ne pouvons pas suivre l’actualité de toutes les luttes que nous soutenons, et ce pour plusieurs raisons : d’abord, d’autres sites le font déjà, et mieux qu’on ne saurait le faire ; ensuite, nous souhaitons conserver à notre site une lisibilité sur son objet (la lutte contre le racisme et l’extrême droite) ; enfin, nous n’en avons tout simplement pas le temps. Par ailleurs, quand nous avons donné notre position sur l’antisionisme, nous nous sommes aperçu de la sensibilité du sujet dans les rangs antifascistes, et nous ne pensons pas qu’il faille en faire un sujet clivant, alors que la situation demande au contraire de se serrer les coudes face à l’offensive sans précédent depuis des décennies des mouvements réactionnaires, racistes et nationalistes.

Manif pro-palestinienne

Cela dit, au vu de l’actualité de ces derniers jours, non seulement dans la bande de Gaza mais également ici en France, il nous paraît indispensable de revenir sur le sujet. Un peu partout dans notre pays, des manifestations d’ampleur ont eu lieu ces derniers jours pour dénoncer les opérations militaires israéliennes dans la bandes de Gaza et, au-delà, pour dénoncer la politique coloniale de l’État d’Israël. Des collectifs antifascistes se sont logiquement associés à ces manifestations, appelant à y participer, comme à Nantes ou à Pau par exemple. Ces manifestations se sont passées sans incident particulier.

À Paris, la manifestation a rassemblé des dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté de Barbès jusqu’à la place de la Bastille, derrière une banderole « Soutien total à la lutte du peuple palestinien ». Toutes les banderoles et pancartes dénonçaient l’extrême violence des attaques israéliennes, face à laquelle la colère le disputait à la solidarité. Pour les slogans, si certains prétendent avoir entendu « mort aux Juifs », rien ne vient le confirmer, contrairement par exemple à la manif nationaliste « Jour de Colère » en janvier dernier, dans laquelle un cortège de plusieurs centaines de personnes avaient hurlé « Juifs hors de France ». D’autres témoignages parlent au contraire de la vigilance des manifestants à l’égard des quenelles et autres ananas [1], et de l’absence de slogans antisémites. En revanche, plusieurs témoins confirment les slogans « Djihad résistance » ou « Hamas résistance », ce que l’on regrette : mais le soutien ici à ces organisations (pourtant clairement antisémites) n’est malheureusement que le reflet de la situation dans les territoires occupés…

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Les incidents aux abords de la synagogue de la rue de la Roquette ont en revanche une toute autre explication. Deux jours avant la manifestation, la Ligue de Défense Juive (LDJ), un groupuscule d’extrême droite, avait appelé à un rassemblement en soutien à Israël, non pas comme elle en a l’habitude à proximité de l’ambassade d’Israël, mais « comme par hasard » à l’heure et à une centaine de mètres de la dispersion de la manifestation pro-palestinienne… La LDJ s’était par ailleurs illustrée en chargeant une semaine auparavant, place Saint-Michel, un rassemblement en soutien à la Palestine : difficile de ne pas voir ici une nouvelle provocation. De fait, ce qui devait arriver arriva : mais rien à voir avec une émeute antisémite spontanée comme certains se plaisent à la dire.

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Les dizaines de jeunes venus à l’appel de la LDJ étaient bien décidés à en découdre, et ont provoqué les manifestants d’en face avec des slogans pleins de poésie comme « Palestine, on t’encule » : des dizaines de manifestants se sont alors dirigés vers la synagogue. La réaction tardive des CRS, alors que le rassemblement était annoncé sur les réseaux sociaux, montre que la préfecture a clairement laissé faire, afin de trouver un prétexte pour interdire les manifestations à venir, ce qu’elle s’est bien entendu empressée de faire dès le lendemain. Enfin, les fidèles à l’intérieur de la synagogue n’étaient pas des « otages », mais sont restés à l’intérieur sur ordre de la police en attendant que les choses se calment.

Que peut-on en retenir ? D’abord, que les manifestations en soutien à la Palestine ne sont clairement pas des manifestations anti-juives, et ensuite qu’il est dangereux de faire des amalgames, en jetant systématiquement le soupçon d’antisémitisme sur cette lutte. Nous ne sommes pas naïfs cependant, et nous savons que depuis longtemps, les antisémites de toutes obédiences essayent de se réapproprier la lutte pro-palestinienne, comme le montre l’appel lancé pour samedi prochain par un pseudopode soralien, dénoncé par les associations pro-palestiniennes. Nous sommes également conscients de la tentation chez certains d’amalgamer l’État israélien et l’ensemble des Juifs, de masquer leur antisémitisme derrière un antisionisme de façade, ou de profiter des manifestations pour exprimer leur haine. Dans ce contexte, nous ne nions pas les agressions antisémites qui peuvent se produire, comme récemment celle d’Aulnay-sous-Bois [2] qui reste cependant un acte isolé. Mais nous n’oublions pas non plus que des représentants auto-proclamés de la communauté juive, comme le Crif, par leur soutien indéfectible aux exactions de Tsahal et l’outrance régulière de leur propos, ne font rien pour dissiper cette idée fausse ; que la LDJ s’illustre régulièrement par des agressions racistes ou des provocations aux abords de manifestations en soutien à la Palestine, et que cette fois encore, elles ont réussi à jeter l’opprobre sur une lutte qu’il faut soutenir tant qu’on le peut encore, au lieu d’attendre qu’elle cède aux sirènes de l’antisémitisme, pour pouvoir dire ensuite « on l’avait bien dit ».

Notes

[1Symboles que des partisans de l’antisémite Dieudonné auraient tenté de s’inviter dans le cortège.

[2Dans la nuit du 11 au 12 juillet,un petit engin incendiaire a été jeté contre une synagogue, faisant des dégâts matériels légers.