Nuit de Cristal : une cérémonie antifasciste à Paris

Texte de Albert Herszkowicz, porte-parole du Collectif Memorial 98 :

Dans la nuit du samedi au dimanche 9 novembre, une partie du boulevard Raspail à Paris a été recouvert d’inscriptions néo-nazies, disséminées sur les murs, les véhicules et les stations Vélib. Il y a donc désormais dans la capitale, des néo-nazis suffisamment fanatiques pour vouloir commémorer publiquement le pogrom de la Nuit de Cristal du 9 novembre 1938 et le putsch d’Hitler du 9 novembre 1923.

Anecdotique ?

L’incident le serait sans doute s’il était isolé. Mais trois fois par semaine le négationniste Dieudonné réunit, dans son théâtre de la Main d’Or, des centaines de personnes venues applaudir ses insanités antisémites et racistes et sa réhabilitation du nazisme et du régime de Vichy .

Cette apologie ne se cantonne d’ailleurs plus à l’extrême-droite officielle : aujourd’hui, Jean Marie Le Pen n’a plus besoin d’éructer ses apologies du fascisme et des collaborateurs, il lui suffit de féliciter Eric Zemmour, qui prétend désormais dans les talk show du samedi soir que Petain a sauvé des Juifs.

Roser 02 (Chip)

Commémorer le pogrom de la Nuit de Cristal devant le gymnase Japy nous a donc paru nécessaire. C’est en effet dans ce lieu du 11e arrondissement que furent parquées des milliers de personnes juives, lors des rafles de 1941 et 1942. Elles étaient gardées uniquement par des gendarmes français avant d’être envoyées dans des camps d’internement eux aussi gardés par la police française, puis au camp d’exermination d’Auschwitz.

Certes deux plaques officielles évoquent ces rafles sur le mur du gymnase. Comme partout dans Paris, les lieux de mémoire du génocide commis par les nazis et rendu possible en France grâce au régime de Vichy témoignent d’un "passé qui ne passe pas" . Mais que représentent des plaques face au déferlement de la propagande antisémitede ces dernières années ?

C’est la raison pour laquelle Memorial 98 a souhaité commémorer cette année la Nuit de Cristal, en espérant bien sûr que cette initiative se renouvelle et s’amplifie. Trop longtemps, une partie de la gauche a relégué la lutte contre l’antisémitisme au rang des nécessités passées, trop longtemps chacun s’est reposé sur les acquis, issus de durs combats pour faire reconnaître la spécificité du génocide contre les Juifs. Les cérémonies officielles et l’enseignement scolaire n’ont pas à suffi à prévenir le retour du fascisme antisémite.

Infiltrés dans nos propres rangs, des leaders antisémites comme Dieudonné ont essaimé et pris des forces pour constituer ensuite une mouvance puissante et malheureusement écoutée. Une mouvance qui a utilisé les failles de nos luttes en ce qui concernait l’antisémitisme pour se développer sur cette base, puis afficher ouvertement aussi d’autres racismes et faire la ramasse pour le Front National.

Il faut bien constater la faiblesse des réactions politiques à tout cela : les antisémites peuvent bien jouer les persécutés devant les rodomontades de quelque ministre, mais leur commerce de haine ne s’est jamais aussi bien porté. Devenu le symbole prétendu des atteintes à la liberté d’expression, Dieudonné s’exprime en réalité en toute liberté, tout comme Alain Soral ou Robert Faurisson . Les quelques condamnations dont ils sont l’objet constituent l’exception qui confirme la règle d’une haine proférée en toute quiétude chaque jour sur leurs sites ou sur scène. Ce ne sont pas les seuls, puisque la récente condamnation, pour une fois pas seulement symbolique d’Anne Sophie Leclere, candidate Front National qui avait comparé Taubira à un singe a donné lieu à un tonnerre d’indignations à droite et même d’interrogations à gauche, preuve s’il en était besoin que l’application des lois antiracistes est une chose suffisamment rare pour choquer.

C’est pourquoi nous avons voulu, lors de cette commémoration, rappeler aussi l’universalisme des enseignements de la lutte contre l’antisémitisme et le négationnisme. La rhétorique antisémite est une matrice féconde et recyclable pour tous les discours visant à stigmatiser et à oppresser des minorités. Les thèmes du complot, de la double allégeance, de l’invasion, la dénonciation du métissage comme destruction de la civilisation et décadence morale qui ont structuré le discours nazi et justifié la violence abjecte des pogroms puis le génocide sont utilisés aussi bien contre les musulmans que contre les Roms, dans le discours de toutes les extrêmes-droite.
Albert Herszkowicz

Enregistrements restituant une partie du contenu de cette cérémonie destinée à alerter et mobiliser : extrait 1 - extrait 2 - extrait 3 - extrait 4