L’ouverture d’une librairie d’extrême droite au cœur du quartier latin a eu les honneurs de la presse à la rentrée : un article dans l’Express qui faisait un petit tour du propriétaire, un autre dans Valeurs actuelles qui en a fait une promotion décomplexée… Mais c’est la venue d’Éric Zemmour qui a mis la Nouvelle Librairie sous les feux des projecteurs il y a trois semaines. On vous propose une petite présentation des individus censés assurer sa sécurité, avant de revenir dans un prochain article plus précisément sur le projet de la librairie et sur son gérant.

Mercredi 26 septembre, lors d’une séance de dédicace à la Nouvelle librairie, l’attitude des « gardes du corps » d’un Zemmour qui ne courait aucun danger ont bien fait rire les réseaux sociaux, et leur amateurisme a passablement agacé les professionnels du secteur : ainsi, Jacques Lefranc, président du Syndicat des entreprises françaises de la protection physique des personnes, avait déclaré à la presse : « ce genre de cow-boys nous fait beaucoup de mal ».

Et pour cause, entre un JNR de Serge Ayoub et Gilles Soulas , sur lequel nous allons nous attarder un peu, les gardes du corps improvisés de Zemmour ne venaient pas d’une « société spécialisée » comme l’a prétendu le polémiste à la presse, mais bien de l’extrême droite radicale, n’en déplaise à François Bousquet et son pluralisme de pacotille.

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Nous passerons rapidement sur Christophe le JNR, dont le CV tient sur l’étiquette d’une bouteille de bière, et dont tout ce qu’on peut dire est qu’il suit son maître Serge « Batskin » Ayoub partout, aux JNR, puis aux Praetorians ou au Black Seven [1]. En revanche, le « coordinateur » de cette protection rapprochée de carnaval, Gilles Soulas, a lui un parcours plus intéressant, que le site antifasciste REFLEXes avait retracé en détail jusqu’au début des années 2000.

Né en 1955, Gilles Soulas a commencé à militer au Front de la Jeunesse, structure de jeunesse du GUD (il participera d’ailleurs à l’ouvrage collectif Les Rats maudits , historique du mouvement vu par ses militants). Surtout, il a fait partie de ces quelques militants nationalistes, la plupart issus des rangs du GUD [2], du Groupe Action Jeunesse lié au PFN, ou de l’Action française, partis combattre au Liban dans les années 1975-1976 aux côtés des forces chrétiennes [3].

Si on ne sait pas grand-chose de ses activités durant son séjour, une rumeur tenace voudrait que ce soit une photo de lui au Liban (posant avec sa kalashnikov) en couverture du livre du FX Sidos Les soldats libres édité par L’Æncre, les éditions de Soulas, et dont l’auteur fut un des lieutenant de Bob Denard.

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Une chose est sûre, Soulas était bien entouré à l’époque, entre ceux portant fièrement sur leur casquette une totenkopf et ceux se prenant une balle dans les fesses lors d’un mauvais « maniement d’arme dans leur chambrée » [4], sous le regard certainement amusé de « Tango » et « Charlie », deux membres de l’équipe dont l’un était au RG et l’autre à la DST, deux services qui ne pouvaient que s’intéresser de très prêt à ceux que faisait ces militants radicaux au Liban, et cela afin de « garder la main » sur certains.

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En 1976, des volontaires français Kataeb. Sur la casquette de l’un d’entre eux, une totenkopf SS.

En mars 2014, on retrouve sans surprise Soulas comme administrateur de l’Amicale des anciens volontaires français au Liban (AAVFL), une association créée pour entretenir la mémoire « de ceux qui ont aidé le Liban chrétien en particulier dans la guerre des 2 ans. », dont le président est Emmanuel Pezé, ancien du GAJ [5], le trésorier Michel Vial, un ancien du GUD Assas et du Front de la Jeunesse, et le secrétaire Francis Bergeron, un ancien du Mouvement Jeune Révolution de Jean-Pierre Stirbois et Pierre Sergent, aujourd’hui journaliste à Présent et qui s’occupe du Club des Lecteurs et Amis de Présent (Clap), propriétaire du journal. Pour l’anecdote, précisons que la correspondante au Liban du journal Présent est Sophie Akl, est également la coordinatrice de l’amicale AAVFL [6] et la sœur de Marie d’Herbais [7].

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Sur cette photo prise en août 2014 au Liban lors d’un hommage rendu aux volontaires français, on reconnait Francis Bergeron (A), derrière lui Sophie Akl (B), ainsi qu’Emmanuel Pezé-Albach (C), Michel Vial (D) et Gille Soulas (E).

Après son expérience libanaise, Soulas rejoint les rangs du PFN, puis devient permanent du FN en 1985, et candidat pour ce parti à différentes échéances électorales. Mais c’est surtout comme entrepreneur proche de l’extrême droite qu’il s’est fait connaitre. Car Gilles Soulas est avant tout un homme d’affaires assez éclectique, qui a entre autres monté un business de téléphonie porno aux heures glorieuses du minitel rose (on pense en particulier à son fameux 3615 FAF, pour Femme À Femme, il fallait oser !).

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Un des services minitel de Soulas est plus choquant que les autres : saurez-vous trouver lequel ?

En janvier 1997, il s’associe à son vieux copain Gilles Sereau (qui dirige de son côté une société de sécurité, Ambassy, connue pour employer des militants d’extrême droite) pour créer une SARL, la Société européenne de diffusion et d’édition (SEDE). En juillet de la même année, la SEDE rachète le fonds de commerce de l’Æncre, seule librairie ouvertement néofasciste en activité sur Paris, et dont le premier gérant, Éric Miné, était un ancien du PFN, de la FANE et militant à l’Œuvre française. L’Æncre était au bord du dépôt de bilan, en raison de graves difficultés financières, en partie causées par une gestion déplorable, mais aussi par de nombreux scandales, suite à la vente de publications négationnistes ou néonazies. Sans pour autant négliger la frange la plus radicale du milieu nationaliste parisien, mais en faisant l’impasse sur les livres tombant sous le coup de la loi, Soulas va également faire de la librairie un outil au service du MNR de Bruno Mégret [8], et la rebaptise alors Librairie nationale. Avec sa femme Louise Alaux, qui est justement salariée au MNR en tant que secrétaire nationale aux manifestations, Soulas a monté une autre SARL, Conseil Promotion Service, qui s’occupe d’affichage public, en particulier pour les partis politiques, plutôt de droite, mais sans exclusive. Cette activité pourtant avant tout mercantile lui sera plus tard reprochée, des militants ou sympathisants FN l’accusant carrément, mais sans apporter la moindre preuve, d’avoir fait campagne pour Nicolas Miguet contre Marine Le Pen en 2017, en faisant recouvrir les affiches de la candidate du FN par des militants du groupuscule Dextra.

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Au début des années 2000, Soulas, toujours avec la SEDE, lance les éditions de l’Æncre, qui connait un certain succès en éditant deux auteurs qui comptent à l’époque dans le milieu nationaliste :
 Jean-Claude Valla, figure de la Nouvelle Droite, co-fondateur du GRECE et rédacteur en chef d’Éléments dans les années 1970, et aussi connu pour son soutien au négationnisme qu’il affirme dès 1991, et sa vision très particulière de l’Histoire à travers ses Cahiers libres d’histoire puis les publications Enquête sur l’Histoire et Nouvelle Revue d’Histoire ;
 Guillaume Faye, qui est parmi les premiers à s’engouffrer dans la lucrative veine éditoriale de l’islamophobie. Avec en particulier son ouvrage intitulé La Colonisation de l’Europe , qui entend montrer « l’incompatibilité de la civilisation européenne avec la civilisation islamique » Faye fait scandale, et lui et Soulas sont d’ailleurs condamnés pour incitation à la haine raciale (plus d’info sur cette histoire ici), une condamnation qu’ils contestent et pour laquelle ils vont jusque devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui confirme la sanction en 2008.

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Jean-Claude Valla et Guillaume Faye.

Parallèlement à la création de la SEDE (qui sera liquidée quelques années plus tard, en 2011), et pour tenter de rassembler le milieu nationaliste déchiré par la scission du FN, Gilles Soulas lance avec sa femme et d’autres cadres du MNR la Maison de l’Identité, une initiative qui se voulait large et unitaire, un peu dans l’esprit du Front de la Jeunesse de 1999, et dont la seule activité notable a été l’organisation de deux meetings, les Fêtes de l’Identité et des Libertés (FIL). La première s’est déroulée salle Wagram à Paris le 9 novembre 2002, mais, malgré la présence d’environ 1400 personnes, en l’absence officielle de personnalités FN et du courant identitaire naissant (car ses militants sont bien dans la salle), l’objectif semble loin d’être atteint, et les diverses fâcheries qui agitent alors l’extrême droite y sont bien visibles.

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La première édition de la Fête de l’Identité et des Libertés : de beaux spécimens de crânes rasés en gardaient rageusement l’entrée. [Photo : la Horde]

Même bilan pour la second édition, le 15 novembre 2003, cette fois au Palais des Congrès de Versailles [9], malgré la présence cette fois du Bloc identitaire et de cadres FN, comme Jacques Bompard ou Louis-Armand de Bejarry, alors conseiller technique du patron du FNJ (il passera d’ailleurs pour sa présence à la FIL devant le conseil de discipline du FN). Fréquentation en baisse, mêmes stands que l’an passé ou presque, des débats n’arrivant pas à sortir des vieilles lunes d’extrême droite (islam, identité…), et surtout un concert de rock identitaire finalement annulé au dernier moment, et remplacé par une soirée DJ imporvisée. La loose !

On notera au passage que Gilles Soulas s’est fait remarquer lors de cette seconde édition, en expulsant manu militari Christophe Forcari, journaliste de Libération alors en charge de l’extrême droite… Mais probablement Soulas nierait-il aujourd’hui avoir eu en charge le service d’ordre de la journée : en effet, entendu dans le cadre de l’enquête parlementaire sur le DPS, le service d’ordre du FN, en 1999, Gilles Soulas avait dit n’avoir jamais eu aucune responsabilité ni activité au sein d’aucun service d’ordre, bien qu’il soit dans le cadre de cette enquête désigné comme un ancien responsable du DPS sur Paris. Pourtant, en 2014, on a pu le voir, lors de la manifestation Jour de Colère, rôder autour du SO, ou encore en juin 2015, papoter avec les gudards chargés de la sécurité de la fête de Radio courtoisie… Mais peut-être, une fois de plus, ne passait-il là que par hasard ! Quoiqu’il en soit, ce n’était pas vraiment une surprise pour nous de le retrouver assurer la protection rapprochée d’Eric Zemmour pour le compte de la Nouvelle Librairie, aussi bien par sa proximité idéologique avec les nouveaux occupants, que par son expérience dans le domaine.
La Horde

Notes

[1Serge Ayoub nous signale qu’il ne serait plus membre de son club de bikers depuis plus d’un an.

[2Notons que l’on parle ici du Gud première version, le virage pro-arabe avec le soutien affiché à la Palestine et aux régimes syrien ou irakien n’arrivera que bien plus tard, notamment dans sa version dirigé par Frédéric Chatillon.

[3Certains aux Phalanges libanaises (Kataëb) de Bachir Gemayel, d’autres chez les Tigres de Dany Chamoun lié au Parti national-libéral, PNL

[4Ce qui n’empêchera pas la personne concernée de faire une très belle carrière dans la police nationale…

[5Il a raconté son expérience sous le nom d’Emmanuel Albach dans le livre Beyrouth 1976, Des Français aux côtés des Phalangistes , édité par Synthèse Nationale.

[6Comme l’a rappelé Thibault de la Tocnaye lors de son discours durant un meeting du parti Kataëb en présence de Samy Gemayel.

[7Issue d’une vieille famille connue de toute personne s’intéressant à l’extrême droite, Marie d’Herbais de Thun est l’ex-compagne de Frédéric Chatillon et la mère de ses six premières filles. Élue au comité central du FN en 2014 (jusqu’à son départ du parti de Marine Le Pen en 2015, elle animait le « Journal de bord » de Jean-Marie Le Pen sur internet. En 2016, elle rejoint Civitas, dont elle est la candidate aux élections législatives de 2017 dans la Sarthe. Elle est également présidente de l’Association de soutien aux chrétiens d’Irak, qui n’a pour ainsi dire pas d’activité.

[8Bruno Mégret a créé ce parti suite à son départ du FN lors de la scission du parti de Jean-Marie Le Pen en 1999.

[9Pour l’anecdote, la salle Wagram avait visiblement refusé de réitérer la location de l’année dernière, probablement suite à la mobilisation antifasciste lancée à l’initiative du Scalp-Reflex, mobilisation qui avait eu un petit impact médiatique lors de la première édition de la FIL.