Ni colonialisme ni soumission des cultures : résistance antifasciste dans l’Etat espagnol

« Ces personnes sont très simples en armes, comme vous le verrez votre altesse (…) vous pouvez les emmener tous à Castille ou les garder prisonniers dans l’île, car avec cinquante hommes vous les aurez soumis et ils feront tous ce que vous voudrez. »

Christophe Colomb, le 14 octobre 1492, deux jours après la découverte des Amériques

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« 12 octobre, rien à célébrer ! L’Hispanité est un génocide ». Photo prise à Barcelone, lors de la projection du documentaire Acta non Verba

le 7 octobre.

Les Taïnos, premier peuple indigène d’Amérique que rencontrèrent Colomb et son expédition, croyaient en l’existence d’une divinité appelée Ouragan qui, venant de l’est, ravageait périodiquement les Antilles avec ses vents et ses furies. Le 12 octobre 1492, à la fin de la saison des tempêtes caribéennes, débarquèrent les explorateurs de la Couronne espagnole avec leurs propres croyances et morales. Venus eux aussi de l’est, leur arrivée représenta pour les Taïnos le dernier ouragan qui emporta leur civilisation et qui ouvrit la porte à la colonisation de tout un continent, à travers le colonialisme, l’esclavagisme et la destruction culturelle de peuples entiers.

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C’est ce qui est commémoré aujourd’hui dans l’Etat espagnol au titre de fête nationale. Initialement appelée « journée de la Race » (notamment sous Franco), le nom actuel de « Fête de l’Hispanité » repose sur un passé impérial entaché de sang, lequel on voudrait camoufler aujourd’hui pour exalter les sentiments nationalistes, basés sur le respect de la Couronne, la société de classes et la prédominance de la langue castillane. Pourtant, cette réécriture du passé (qui nous rappelle le débat antérieur en France sur les « bienfaits du colonialisme ») est contestée, aussi bien en Amérique qu’au cœur de l’Etat espagnol. Et les antifas y participent activement.

Chaque année, le 12 octobre voit divers secteurs de la société s’affronter, avec plus ou moins d’intensité (le point culminant se trouvant – détail qui a son importance – au cœur même de l’ancienne métropole). Du côté du continent américain, nous trouvons, entre autres, les Etats-Unis où les forces progressistes réclament la fin de la célébration du « Columbus Day » (célébré le deuxième lundi du mois d’octobre) et défendent même l’idée de la célébration d’une journée de la résistance indigène.

Dans la péninsule ibérique, nous assistons à une réelle opposition sur trois fronts. Le premier, sans surprise le plus médiatisé, est celui qui soutient le pouvoir en place et tout ce que cela implique : exaltation du drapeau, réécriture de l’histoire et centralisme de l’Etat espagnol en opposition aux revendications d’autonomie/indépendance des autres régions. Le deuxième groupe, celui de l’extrême droite, va encore plus loin avec son arrogance (et nostalgie d’un passé colonial révolu depuis longtemps), sa xénophobie (oui, oui, les latino-américains on les aime chez eux et soumis aux intérêts du pouvoir central) et sa haine envers l’autodétermination des peuples ne se reconnaissant pas dans le découpage actuel des frontières. Finalement, la troisième force, dans laquelle les antifascistes figurent au premier au rang, dénonce la célébration d’un génocide, le passé colonial (ainsi que son héritier actuel, le sous-développement) et défend l’autonomie/l’indépendance de ceux et celles qui le désirent.

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Sans surprise, l’un des points culminants de la confrontation de ces trois visions se trouva à Barcelone, avec l’organisation de trois manifestations. Le premier groupe, celui qui défend le dogme officiel, réussit à réunir plusieurs milliers de personnes (selon les sources officielles) ce qui représente un nombre très faible pour la deuxième ville du pays. De leur côté, l’extrême droite (Democracia Nacional, Movimiento Católico Español et la Falange) n’attira qu’une centaine de personnes. Pour faire parler d’eux malgré cette affluence pathétique, ils brulèrent des drapeaux indépendantistes et s’en prirent aux réfugié-es , tout en arborant des drapeaux de l’époque de Franco. De leur côté, les antifas réunirent plus de mil personnes (source : Plataforma Antifeixista) dès 10h du matin. Les principaux slogans étaient « els carrers seran sempre antifeixistes » , « hispanitat és genocidi » (« l’hispanité est un génocide ») et #resacelebrar (« rien à célébrer »).

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Drapeaux de la Plateforme Antifasciste pendant la manifestation antifa du 12 octobre. « Nous sommes tous-tes antifascistes »

Les antifascistes comptèrent notamment avec le soutien de plusieurs conseillers municipaux du CUP (Candidatura d’Unitat Popular, parti de la gauche radicale indépendantiste). Le vendredi 14 octobre, ils demanderont au conseil municipal de retirer la statue de Christophe Colomb, située au bout de La Rambla, et de la remplacer avec un monument représentant « la résistance américaine à l’impérialisme et la ségrégation indigène ». La colonne sur laquelle repose la statue de Colomb fut d’ailleurs recouverte de peinture rouge la nuit du 11 au 12, prête à marquer le ton au début de cette journée où l’on prétend effacer le passé pour mieux préparer un sombre futur. Tentative qui, comme on le voit, est affrontée par une résistance antifasciste.
La Horde

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