Marc Bray
Marc Bray

Traduction par l’Action antifasciste de Haute-Savoie de l’article paru dans le Washington Post après l’attaque fasciste de Charlottesville le 12 août dernier. Mark Bray est historien, Mark Bray est historien actuellement conférencier au Dartmouth College et l’auteur du livre Antifa : The Anti-Fascist Handbook , à paraître à la mi-septembre.

Le président Trump les a mis sur le même plan que les suprémacistes blancs. Voici pourquoi il a tort.

Lundi, le président Trump avait capitulé devant la pression populaire qui voulait qu’il prenne ses distances avec son commentaire sur la prétendue responsabilité dans les deux camps à Charlottesville et qu’il dénonce le nationalisme blanc. Il avait en effet déclaré précédemment que « beaucoup de camps » étaient responsables. « Le racisme c’est mal » a-t-il semblé concéder à contrecœur, « y compris le KKK, les néo-nazis et les suprémacistes blancs. »

Cependant, un jour plus tard, Trump est revenu sur sa déclaration en précisant qu’il y avait des « gens très bien » au rassemblement « Unite the Right », en relançant la « responsabilité des deux cotés », y compris la prétendue « alt-left » antifa.

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Ils avaient d’abord fait les gros titres quand ils avaient empêché un conférence du provocateur d’extrême droite, Milo Yiannopoulos, en février à l’Université de Berkeley, les antifascistes ont de nouveau captivé l’opinion publique en s’opposant aux fascistes rassemblés au “Unite The Right”, un rassemblement raciste dans Charlottesville.

Mais qu’est donc que antifa ? D’où ça vient ?

L’antifascisme ou antifa est une mouvance politique qui traverse les diverses tendances de gauche radicale et révolutionnaire, et qui a pour objectif particulier de lutter contre l’extrême-droite. Ses partisans sont majoritairement des communistes, socialistes et anarchistes qui rejettent le recours à la police ou l’État pour agir contre le suprémacisme blanc. Ils revendiquent plutôt une résistance populaire au fascisme, comme nous en avons été témoins à Charlottesville.

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Il y a des groupes antifasciste partout autour du monde, mais l’antifascisme n’est pas en soi un réseau organisé, ni une idéologie comme le socialisme, ni une tactique (pas plus que le piquet de grève n’est un groupe précis). Les antifascistes sont des groupes anti-racistes autonomes qui surveillent et enquêtent sur les activités des néo-nazis locaux. Ils se servent de ces enquêtes pour les exposer (à leurs voisins, employeurs…), il mènent des campagnes d’éducation, aident les migrants et réfugiés et font pression pour annuler des événements fascistes.

La majorité des entités antifascistes sont non-violentes. Mais leur volonté de se défendre physiquement de la violence de l’extrême-droite, ou de faire fermer de façon préventive les organisations fascistes avant qu’elles ne deviennent dangereuses, les distinguent des anti-racistes institutionnels.

Les antifascistes partent du principe qu’après les horreurs de l’esclavage et de l’Holocauste, la violence physique est justifiable et stratégiquement nécessaire. Selon eux, nous ne devons pas évaluer la violence abstraitement, de manière morale, détachée des valeurs défendues. Ils avancent donc en revendiquant une résistance en cohérence avec l’héritage historique de lutte contre le nazisme, avant qu’il ne soit trop tard. Comme Cornel West l’a expliqué après avoir survécu aux attaques fascistes de Charlottesville :

« S’il n’y avait pas eu d’antifascistes pour nous protéger des néo-fascistes, nous aurions été écrasés comme des cafards. »

Bien que les antifa soient souvent considérés comme une nouvelle force politique depuis l’ère Trump, la tradition antifasciste remonte à un siècle. Les premiers antifascistes combattaient les chemises noires de Benito Mussolini dans les campagnes Italiennes, échangeaient des salves avec les chemises brunes d’Adolf Hitler dans les tavernes et les ruelles de Munich et défendaient Madrid des insurgés de l’armée nationaliste Franquiste. Depuis l’Europe, l’antifascisme est devenu un modèle de résistance pour les Chinois contre l’impérialisme Japonais durant la WW2 et la résistance aux dictatures d’Amérique Latine.

L’antifascisme moderne se retrouve dans la résistance aux vagues xénophobes et à l’émergence de la culture « white power skinhead » dans les années 1970, 1980 en Grande Bretagne. Il a également ses racines dans l’organisation de groupes de self-defense par des révolutionnaires et migrants en Allemagne, où quand la chute du mur de Berlin déchaîna une violente réaction néonazie.

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Aux USA et Canada, les activistes de l’Anti-Racist Action (ARA), ont traqués obstinément les membres du Klan, les néo-nazis et autres racistes de tous poils depuis la fin des années 1980 jusqu’au années 2000. Leur devise était simple mais audacieuse : « Où ils vont, nous allons ». Si les skinheads nazi distribuaient des tracts sur comment « Hitler avait raison » à des concerts punk, l’ARA leur montraient la porte. Si les fascistes tapissaient le centre ville d’Alberta avec des affiches racistes, l’ARA les arrachaient et les remplaçaient par des slogans anti-racistes.

Répondre aux petits groupes fascistes peut sembler insignifiant pour certains, mais les accessions au pouvoir d’Hitler et Mussolini ont montrées que la résistance n’est pas un interrupteur qu’on peut simplement enclencher durant une crise. Une fois que les partis Nazis et fascistes ont gagné le contrôle d’un gouvernement, il est trop tard pour tirer le frein d’urgence.

Rétrospectivement, les antifascistes ont conclu qu’il aurait été beaucoup plus facile d’arrêter Mussolini en 1919 où son premier noyau fasciste avait 100 hommes. Ou détruire le Parti Ouvrier Allemand (extrême droite), qui avait seulement 54 membres lorsque Hitler a assisté à sa première réunion, avant qu’il ne le transforme en Parti Ouvrier Allemand National-socialiste (NSDAP - le parti nazi). Bien que les régimes qui ont inspiré leurs protestations historiques soient morts, les antifascistes portent leur attention sur les petits groupes fascistes et Nazis en tant que potentiels noyaux d’un mouvement meurtrier ou d’un régime de l’avenir.

Pendant des années, nous avons discrédité les antifascistes pour avoir traité avec un extrême sérieux des groupes de 40 ou 60 membres du KKK ou autres fascistes. Les membres de la Rose City Antifa de Portland, qui, du haut de ses dix ans d’existence est le plus vieux groupe antifa du pays, se sont confrontés à de nombreuses critiques, même à gauche, du fait de leur engagement à exposer publiquement les activités des petits groupes de racistes locaux, des Islamophobes et des fascistes plutôt que se concentrer sur des injustices systémiques à plus grande échelle.

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Des années avant que l’« alt-right » ait même un nom, les antifascistes dépensaient des heures ingrates a récurer des panneaux d’affichage miteux et faisaient des recherches sur les levées de fonds illégales de néonazis. Ils suivaient à la trace ceux qui ont planté les graines de la mort dont nous avons tous été témoin dans Charlottesville. Soyez d’accord ou non avec les méthodes, les antifascistes, qui se consacrent à la lutte contre le racisme, ne sont en aucune façon équivalent aux trolls de l’« alt-right » qui rient des chambres à gaz. Derrière les masques, les antifa sont des infirmières, des professeurs, des voisins et des parents de toutes les origines et les genres qui n’hésitent pas à se mettre en première ligne pour faire barrage au fascisme par tous les moyens nécessaires.

Il n’aurait pas fallu attendre le meurtre de Heather Heyer pour tant d’entre nous, en particulier les plus blancs d’entre nous, pour prendre au sérieux la menace des mouvances « white power » qui a tourmenté les communautés issues de l’immigration pendant des générations. L’histoire de l’antifascisme exige que nous prenions au sérieux la violence des suprémacistes blanc. Le temps des « ils ne méritent que l’ignorance » sont finis.

Mark Bray