Mai 1967 : Guadeloupe, la répression sanglante

Lu sur le blog de Jean-Pierre Anselme :

manif-guadeloupe
Manifestation à Pointe-à-Pitre, mai 1967.

Au départ, un acte raciste : un propriétaire blanc qui lâche son chien sur un vieux guadeloupéen infirme. La colère de la population débouche sur un vaste mouvement social qui sera réprimé dans le sang. Pendant plusieurs jours les forces de l’ordre vont « nettoyer » la ville de Pointe-à-Pitre, faisant des dizaines de morts.

Le 20 mars 1967, Srnsky, un Européen, propriétaire d’un grand magasin de chaussures à Basse-Terre (Guadeloupe), voulant interdire à Raphaël Balzinc, un vieux Guadeloupéen infirme, cordonnier ambulant, de passer sur le trottoir qui borde sa devanture, lâche sur lui son berger allemand.

Srnsky excite le chien en s’écriant : « Dis bonjour au nègre ! »

Balzinc, renversé et mordu, est secouru par la foule, tandis que Srnsky, du haut de son balcon, nargue et invective à qui mieux mieux les passants et même les policiers guadeloupéens qui sont accourus.

Il s’ensuit une colère qui aboutit au sac du magasin.

Srnsky, dont la grosse voiture est jetée à la mer, réussit à s’enfuir à temps.

Le préfet la Guadeloupe, Pierre Bollotte, ancien directeur de cabinet du préfet d’Alger (après la fameuse bataille d’Alger qui a donné lieu à la pratique systématique de la torture et des exécutions sommaires) feint de condamner l’acte raciste de Srnsky, mais veut profiter des événements pour démanteler le mouvement autonomiste né de la déception des Guadeloupéens. Malgré la départementalisation de 1946, ils ont conscience, du fait du racisme et des incroyables injustices sociales qui les frappent, de n’être pas assimilés et d’être traités en indigènes.

La seule réponse qui a été donnée à leurs problèmes, c’est l’exil par le Bumidum.

Des scènes d’émeutes ont lieu à Basse-Terre puis à Pointe-à-Pitre. La répression policière est violente : une cinquantaine de blessés.

Le 23 mars, le magasin du frère de Srnsky est dynamité à Pointe à Pitre.

Le 24 mai, les ouvriers du bâtiment se sont mettent en grève, réclamant 2 % d’augmentation et l’alignement des droits sociaux sur ceux de la métropole.

Le 25 mai, des négociations sont organisées à Pointe-à-Pitre. Elle sont de pure forme. Le chef de la délégation patronale, Brizzard, déclare : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront bien le travail. »

Dès lors la situation s’envenime. Les forces de l’ordre ouvrent le feu dans l’après-midi, abattant deux jeunes Guadeloupéens : Jacques Nestor et Ary Pincemaille. En réaction à ces deux « bavures » selon les uns, exécutions sommaires selon les autres, deux armureries sont pillées et les affrontements se multiplient.

Des lieux symboliques de la France continentale sont incendiés : la Banque de Guadeloupe, Air-France, France-Antilles. La gendarmerie mobile et les CRS, appuyés par l’armée, ouvrent alors un feu nourri contre la foule qui fait plusieurs dizaines de morts. Dans la soirée, l’ordre est donné de nettoyer la ville à la mitrailleuse. Les passants sont mitraillés depuis les jeeps qui sillonnent la ville.

Le lendemain matin, 26 mai 1967, les lycéens de Baimbridge organisent une manifestation spontanée pour dénoncer les tueries de la veille. Les forces de l’ordre ouvrent de nouveau le feu.

Le 30 mai, le patronat sera contraint d’accorder une augmentation de 25 % des salaires à des ouvriers qui ne demandaient que 2 %.

Des centaines de Guadeloupéens ont été arrêtés. 10 seront immédiatement condamnés à des peines de prison ferme. 70 autres feront l’objet de poursuites. En outre,19 Guadeloupéens, liés au Gong (groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe, indépendantiste) et accusés d’avoir organisé la sédition, sont déportés en France et déférés devant la cour de Sûreté de l’État. Treize des accusés seront acquittés, les 6 autres condamnés avec sursis.

Le bilan officiel de ces journées est de 8 morts. En 1985, un ministre socialiste de l’Outre-mer, Georges Lemoine, lâche le chiffre de 87 morts.
Lire la suite ici