Dimanche soir, le candidat du "Magic System » [1] Macron, dans une mise en scène savamment orchestrée, a joué au monarque devant la pyramide du Louvre (de quoi occuper les complotistes obsédés par les Illuminati pendant les dix prochaines années), devant une foule béate venue applaudir son nouveau maître, dans une mer de drapeaux français à faire douter du résultat de l’élection : il y en avait plus qu’à la petite sauterie frontiste à Saint-Mandé !

Macron pharaon

Au même moment, plusieurs centaines de personnes, dans différentes villes de France, tentaient de rappeler dans la rue que le nouveau président élu, loin de pouvoir prétendre parler au nom de la majorité, s’est toujours présenté non seulement comme le serviteur fidèle du patronat, mais aussi comme le "président des patriotes" comme il l’a dit lui-même le soir du premier tour, et plus généralement comme l’ennemi déclaré de toutes celles et tous ceux qui veulent une société égalitaire et solidaire, débarrassée de ses frontières et de ses logiques d’exclusion. Le lendemain, lundi 8 mai, plusieurs milliers de personnes, dans une manifestation festive mais déterminée, défilaient en scandant : "Un jour ça suffit, Macron, démission !"

Lyon 07-05-2017
Lyon, le 7 mai au soir.

La réponse de l’Etat à ces tentatives d’expression politique non électorales a été aussi prévisible que brutale : à Paris, dimanche soir, la police a procédé à une véritable chasse aux manifestant-e-s dans le quartier de Ménilmontant, à coups de grenades lacrymogènes et de tonfas, enfermant même pendant plusieurs heures des dizaines de personnes dans un bar connu pour être fréquenté par les antifascistes, avant de les laisser sortir pour mieux les tabasser, vers deux heures du matin... À Nantes, à Grenoble ou à Lyon, plusieurs personnes ont également été blessé-e-s par des policiers déchaînés.

Nantes 07-05-2017
À nantes, le 7 mai.

À la manifestation de lundi à Paris, le désormais traditionnel cortège autonome de tête, pourtant bien plus "sage" que d’habitude, a été violemment attaqué pour être coupé du reste de la manif : tirs tendus de flashball à hauteur du visage, coups de tonfas, grenades de désencerclement balancées dans la foule... Les caméras de surveillance installées chez les particuliers tout au long du parcours, les innombrables flics présents, tous cagoulés (!) et plusieurs équipés de fusils d’assaut (!!), ont réussi l’exploit de surprendre encore par leur violence gratuite, ciblant également tout ce qui pouvait ressembler à un journaliste indépendant. Cela aurait-il été pire en cas de victoire de Marine Le Pen ?

Paris, le 8 mai 2017
Paris, le 8 mai (photo : La Horde)

Du côté de l’extrême droite institutionnelle, l’ambiance oscillait dimanche entre déception (surtout à la base, qui y croyait) et soulagement (surtout au sommet, qui se demandait un peu comment gouverner) : ainsi, Marine Le Pen, loin du masque crispé qu’elle affichait dans l’entre-deux tours à chaque apparition publique (surtout à Dol-de-Bretagne et à Reims !), est apparue dimanche tout sourire, visiblement soulagée de ne pas avoir la charge de diriger un pays avec la bande de bras cassés qui l’entoure.

Marine Le Pen danse
Ambiance discothèque au FN malgré (ou grâce à) la défaite.

Il est probable qu’elle déchante pourtant dans les semaines qui viennent, car la ligne Philippot qu’elle suit aveuglément depuis plusieurs années a montré ses limites, et tous ceux qui la contestent en interne vont certainement profiter de cet échec pour monter au créneau. Reste que la remise en question de son leadership n’est plus vraiment d’actualité avec la "mise en retrait" provisoire de Marion Marechal-Le Pen (le temps de se faire un peu de pognon dans le privé) qui prive les adversaires de Marine Le Pen au FN de leur figure de proue. La fondation d’un nouveau mouvement, avec un nouveau nom, n’apportera pas forcément plus de lisibilité aux errances programmatiques dont le FN a fait preuve lors de cette campagne présidentielle.

Dans l’ensemble, pas de grosse réaction à l’extrême droite, même si quelques personnalités à la marge du FN ont fait part de leur réaction : Jean-Yves Le Gallou a reproché à la candidate FN de n’avoir été ni suffisamment « enthousiaste » ni assez fidèle aux « fondamentaux » ; Dieudonné, dans une très courte vidéo, déplore « l’africanisation de la France », tandis que Frédéric Chatillon est sorti de son habituelle réserve pour quand même féliciter sa copine Marine. D’ailleurs, puisqu’on parle business, petit gag en passant : alors que le prix du papier va augmenter très prochainement, les kits de campagne proposés par Riwal aux candidats FN vont baisser de 150% pour les prochaines élections législatives … Curieux, non ?

Du côté des groupuscules nationalistes, qui avait eux aussi dans l’ensemble épargné la candidate du Front national de ses critiques pendant la campagne, c’est une fois de plus par la violence qu’ils ont manifesté leur dépit. Ainsi, on déplore plusieurs attaques d’extrême droite assez lâches contre des manifestant-e-s dimanche soir :

 à Strasbourg, quelques dizaines de fachos, visiblement apparentes au GUD, ont attaqué à coups de mortiers et de bâtons (une attaque dans un premier temps attribuées par la presse à la police) le cortège sauvage "Ni Patrie, ni Patron" ;

Manif de Strasbourg

 à Nantes, une quinzaine de militants nationalistes ont été aperçus en marge de la manifestation spontanée, et en ont vite été chassés, mais des attaques très violentes contre des personnes isolées ont été mis à jour sur les réseaux sociaux : un témoignage de cette agression est à lire sur le site Révolution permanente.

Si jamais vous avez entendu parlé ou avez été témoin d’autres incidents ailleurs, n’hésitez pas à en faire part dans les commentaires.

En moins d’une semaine, voilà donc en place les principaux éléments qui vont probablement composés notre futur proche :

nipatrienipatron

1) un président associant le charme factice d’une poupée Ken (jeune, lisse, perpétuellement souriant) et l’intransigeance froide et déterminée d’un patron de start-up, et qui risque pour ces deux raisons, malgré toutes les saloperies anti-sociales à venir, d’acquérir une certaine légitimité dans sa fonction présidentielle, tant on sent dans l’opinion le désir de s’en remettre à un homme providentiel plutôt que de prendre ses affaires en main ;

2) une opposition "officielle" et parlementaire qui pourraient se recomposer autour du FN, ou du moins dont le FN sera l’une des composantes majeures, ce qui ne pourra que brouiller tout discours de contestation des mesures prises par le gouvernement Macron ; mais aussi au FN une remise en cause en interne de la ligne Philippot, avec peut-être un durcissement du discours de la part d’une partie de ses cadres ;

3) une police décomplexée et toujours plus militarisée, qui rendra toute opposition dans la rue potentiellement dangereuse pour tout un chacun, quelque soit le mode d’apparition choisie, offensif ou pacifique, et qui pourrait entraîner, sans une réflexion de fond sur cette volonté étatique de pousser systématiquement à l’affrontement violent, tout mouvement d’émancipation sociale dans une impasse ;

4) des groupes d’extrême droite qui, pour ne pas faire du tort à un parti qu’il pensait aux portes du pouvoir, avaient peut-être mis de l’eau dans leur vin pour donner de l’extrême droite un visage « démocratique », revenir à des pratiques violentes plus en accord avec leur idéologie pourrie.

Autant de défis face auxquels il faudrait que se constitue un front large et indépendant, qu’on peine encore à voir émerger : mais si on ne veut pas que la vie politique se résume au faux dialogue qui s’annonce entre un ultra-libéralisme conquérant et un nationalisme hissé au rang de seule alternative, il faudrait que l’on parvienne un jour à nous concentrer sur ce qui nous unit, plutôt que de toujours nous focaliser sur ce qui nous divise.
La Horde

Notes

[1Du nom du groupe qui s’est produit sur la scène pour chauffer la foule avant l’arrivée du prince…