Un nouvel article de Médiapart sur le Front National version Marine Le Pen, proposée en intégralité par le site L’Armurerie

L’impossible ménage du Front national

Posté le par larmurerie

Par Marine Turchi

À cinq mois des municipales, Marine Le Pen tente de contrôler l’expression de ses candidats et se félicite du « ménage » effectué dans son parti. En réalité, elle se contente d’un toilettage en contrôlant non pas les idées mais simplement leur diffusion. Des chercheurs expliquent pourquoi le grand ménage au FN est impossible.

C’est la même histoire qui recommence, encore et encore. Un candidat frontiste est pris en flagrant délit de racisme ou de xénophobie ; l’affaire est médiatisée. Marine Le Pen parle de « dérapage » , suspend l’intéressé et se félicite dans les médias du « ménage » effectué par son parti. En réalité, en ciblant ces prétendues « brebis galeuses » , la présidente du FN parvient à faire oublier tous les autres : ceux qui, faute d’un coup de projecteur, font encore partie des rangs du Front national. Décryptage de l’impossible ménage du FN.

marine et jean marie le pen en 2012
Sur l’estrade du 1er-Mai du FN, en 2012. © Reuters

«  J’ai réagi avec une rapidité et une fermeté que je ne n’ai pas beaucoup vu dans d’autres partis politiques face à des brebis galeuses ou face à des dérapages. » Ce 21 octobre, sur le plateau de « Mots croisés », sur France 2, Marine Le Pen se targue d’avoir « immédiatement suspendu » Anne-Sophie Leclere, sa candidate à Rethel (Ardennes), qui a comparé Christiane Taubira à un singe (et dontla page Facebook est remplie de propos et images racistes). Au socialiste Jean-Marie Le Guen qui lui demande  : « Il y en a combien par semaine qui disent tout haut ce que certains pensent tout bas ? » , Le Pen, énervée, réplique : « Vous feriez mieux de suspendre M. Guérini vous ! » (voir les images à 1 h 10). Fin de la séquence.

marine et anne sophie leclere
Marine Le Pen et Anne-Sophie Leclere, la candidate de Rethel qui a depuis été suspendue. © Facebook d’A-S. Leclere

En excluant avec fracas des candidats présentés en « erreurs de casting » , Marine Le Pen marque des points. Mais ce que la présidente du FN se garde évidemment de dire, c’est que ces frontistes n’ont été sanctionnés que parce que leurs propos avaient été médiatisés. Exemple début septembre : François Chatelain, futur candidat FN aux municipales dans le Nord, poste sur Facebook plusieurs publications xénophobes (dont un drapeau israélien en train de brûler avec l’inscription « Ici, c’est la France » ) . Un élu UMP interpelle la présidente du FN, qui le suspend.

Un mois plus tard, à Strasbourg, le candidat FN a dû se retirer après la présentation de son programme devant la presse locale. Il prônait notamment le recours à des « chiens d’attaque » contre les délinquants.

Autre cas emblématique : la vague d’exclusions du printemps 2011. Pendant les cantonales, une photo montrantle candidat FN Alexandre Gabriac faisant un salut nazi suscite un tollé. Marine Le Pen est contrainte de réagir. Elle annonce à grands renforts de médias son exclusion et dénonce « l’entrisme d’un certain nombre de groupuscules » . Dix-sept adhérents frontistes passent devant la commission de discipline du parti. Treize seront exclus définitivement, deux pour six mois. La présidente du FN réalise une belle opération médiatique : elle donne un coup de projecteur à sa stratégie dite de « dédiabolisation » et se débarrasse du noyau de soutiens de son rival Bruno Gollnisch.

Rien de nouveau avec ces sorties xénophobes, pour le sociologue Sylvain Crépon, qui s’intéresse aux militants FN depuis 1995. Chercheur à l’université Paris-Ouest-Nanterre, auteur d’une Enquête au cœur du nouveau Front national (Nouveau Monde éditions, 2012), il se souvient de ses premiers entretiens, au milieu des années 1990 : « D ans l’entre-soi frontiste, j ’entendais déjà les mêmes choses. Après m’avoir expliqué pendant deux heures qu’ils n’étaient pas racistes, certains militants parlaient de “bougnoule”, “négro”, “niakoué”. »

Pour le sociologue, la nouveauté, c’est « Internet et les réseaux sociaux » . « Le FN a beaucoup misé sur Internet, ils le voyaient comme un contre-média capable de faire passer leur vérité, déformée selon eux par des médias “aux ordres”. Mais aujourd’hui cela se retourne contre eux : ce média livre la vérité sur le FN. »

Une plongée dans les comptes Facebook et Twitter de candidats frontistes, comme l’ont fait Libération et Politis , révèle le racisme ordinaire du Front national. Fabien Engelmann, conseiller politique au dialogue social de Marine Le Pen et candidat à Hayange (Moselle), qualifie de « barbarie islamiste » un projet d’abattoir halal à Guéret, en publiant une photo de vache dont la tête dépasse d’une machine.

« Priez dans les rues, imposez-nous du halal, interdisez-nous le porc, prenez nos filles, dirigez notre pays… Tant que le Front national ne sera pas au pouvoir, vous avez tous les droits. Ouais, sauf que le Front national sera bientôt au pouvoir ! » écrivait quant à lui Jean-Bernard Formé, candidat à Lorgues (Var), le 2 juillet. Julien Dufour, tête de liste à Boulogne-Billancourt, commentait, le 13 avril 2012, une photo d’une femme intégralement voilée : « En fait, le niqab, c’est le même principe que le pékinois, on ne sait pas ce qui est le devant et ce qui est le derrière… Elle est où la tétête ? Il est où le cucul ? » Et la liste est encore longue.

« Un contrôle de la diffusion des idées, mais pas des idées elles-mêmes »

« C’est propre à ce parti, et en même temps c’est quelque chose qu’ils n’assument pas, explique Sylvain Crépon, qui décrit un FN écartelé «  entre la volonté de se fondre dans le système et la nécessité de rester anti-système ». « Son capital politique, c’est sa radicalité. Marine Le Pen elle-même joue sur ces deux registres : elle prône la « dédiabolisation » tout en étant capable de dire que « La France est devenue catin d’émirs bedonnants ». »

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