Mardi 17 novembre, trois identitaires lillois étaient jugés au TGI de Lille pour incitation à la haine, violences volontaires et apologie du terrorisme.

Leurs agissements avaient été filmés en caméra cachée dans le reportage Generation Hate, diffusé en 2018 par la chaîne Al Jazeera. Ce procès a été un exemple de plus d’une certaine complaisance de la justice envers l’extrême droite ; quant à la défense de ces derniers, elle a logiquement été plus encline à les présenter en victimes ou en « repentis » qu’à dépeindre la réalité.

La scène ressemblait à un mauvais remake du film de Sergio Leone Le Bon, la Brute et le Truand . Au casting, Rémi Falize, Etienne Vanhalwyn dit « Le Roux » et Guillaume Dumont Saint Priest : devant le président de la Cour, les trois militants d’extrême droite feignent l’embarras dans une mise en scène digne des pires séries B.

Repentis ou fabulateurs ?

Le premier à être entendu par les juges est aussi celui qui risque la plus lourde peine. Rémi Falize, 33 ans, avait été filmé en 2017 dans l’enceinte de la Citadelle, bar identitaire tenu par Aurélien Verhassel. Il blaguait sur un projet d’attentat à la voiture bélier visant le marché de Wazemmes, au coeur d’un quartier populaire de Lille : « Le jour où je sais que j’ai une maladie incurable mec, je m’achète une arme et je fais un carnage (...) contre une mosquée, n’importe quoi. (…) Pour peu que je ne meurs pas, j’en referai un autre  » se vantait-il, la clope au bec.

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Un autre prévenu, Etienne Vanhalwyn, 24 ans, est filmé à L’imprévu, un bar de la rue Masséna. Après avoir lancé un « Heil Hitler » pour saluer ses potes suivi d’un salut nazi à peine dissimulé, il raconte un récent voyage à Hambourg.

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« Le Roux », comme il se fait appeler malgré le fait qu’il trouve cela « très discriminant » comme il s’en plaindra à la Cour, prétend s’être fait arrêter par la police locale. Il aurait tagué des croix gammées dans des bars de San Pauli et aurait cherché des antifas pour en découdre ; version démentie par la police allemande qui confirme n’avoir jamais entendu parler de lui. Pour seule défense crédible, il plaidera l’alcool : « Quand j’ai bu je suis débile » prévient-il.

Sur les images d’Al Jazeera, on voit les deux hommes, bientôt rejoints par le troisième prévenu Guillaume Dumont, attaquer un groupe d’adolescents d’origine maghrébine à la sortie du bar.

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Alors que Dumont vide sa gazeuse sur une jeune femme de 14 ans, Falize en profite pour porter des coups sur son crâne à l’aide d’un gant coqué. Fier de son acte, il qualifie l’adolescente de « sale pute » en précisant que « Meuf ou pas meuf, c’est juste des rebeus. ».

Paul Roos, dit « Petit Paul », aussi présent ce soir-là, n’intervient pas directement mais apparaît à l’image, souriant, peu après l’attaque de Falize. Tout comme Verhassel, il a été interrogé par la police, préalablement au procès, en qualité de simple témoin. Soucieux de son image, le jeune hooligan dit quand même : « Moi perso, je me considère pas comme raciste, je n’ai rien contre les extra-européens tant qu’ils restent chez eux. ».

Si aucun des prévenus ne nie les faits qui leurs sont reprochés, ils ont tous préparé une défense en tissu de mensonges. Interrogé sur ses liens avec la LOSC Army, groupuscule de hooligans d’extrême droite lillois, Le Roux affirme ne plus être supporter du LOSC. De la même manière, il ne se « situe pas dans un mouvement politique » et se dit « étranger au régime nazi ». Quant à l’évocation de son passage à San Pauli, il joue la carte de l’ignorance : « Pour moi c’est un club de foot. ». Clou du spectacle : Etienne atteste formellement ne plus venir à Lille, car il ne vivrait plus dans la région.

Pourtant, le 13 juin dernier, Le Roux et ses amis de la LOSC Army assuraient le service d’ordre lors d’un rassemblement pour le déboulonnage de la statue de Faidherbe dont nous avions identifié les principaux participants.

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On le voit rigoler avec un policier ; à sa gauche de l’image, Paul Roos, encore membre actif de la LOSC Army et qui se rend régulièrement à La Citadelle. Bien qu’il ait été filmé à ses côtés dans le reportage, Verhassel maintient dans son PV ne pas connaître Petit Paul…

Un de leurs camarades de la LOSC Army, Clément Lagache étaient également de la partie au mois de juin. C’est l’un des meilleur ami de Yohan Mutte, ancien JNR et bras droit de Claude Hermant, qui a notamment été placé en détention provisoire près d’un an pour son implication dans l’affaire des noyés de la Deûle. Il entretient, encore aujourd’hui, de très bonnes relations avec Le Roux.

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En octobre dernier, des antifascistes tombaient à nouveau sur Le Roux et Petit Paul dans les rues de Lille.

Mêmes tendances à l’approximation pour Rémi Falize, qui spécifie ne pas être allé à la Citadelle pour la politique mais pour y « retrouver la culture flamande ». Lorsque le président lui demande s’il se sent défenseur de valeurs d’extrême droite telles que la défense de l’identité, il répond non avec fermeté. Sur la question des coups portés à l’adolescente de 14 ans, il affirme s’être défendu et dénonce un montage fallacieux : « C’est une vidéo qui est coupée, montée. ». Notons que Rémi Falize fait diverses apparitions dans la deuxième partie du reportage, séquences complètement ignorées par la Cour…

Contrairement à ce qu’il avance, il semblerait que Rémi Falize ait toujours le cœur qui flanche à l’extrême droite. Sur son compte Instagram, de récents posts exposant sa collection de t-shirts donne le ton.

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Dans le reportage, comme on peut le voir sur les captures ci-dessous, Falize fait l’éloge de Yohan Mutte qu’il juge « super sympa » quand il est sobre. Il enchaîne sur des bagarres organisées par la LOSC Army. Devant les juges, il prétend ne rien connaître de ce groupe.

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Guillaume Dumont Saint Priest, 32 ans, arrive à la barre avec une sérénité déconcertante. Il récite un discours avec toute la rigidité héritée de son passé de militaire. Vigile pendant deux ans au bar O’Corner de la rue Masséna sans qualification, il a été licencié depuis la diffusion du reportage. Il raconte être allé « pendant un mois à la Citadelle » après avoir quitté l’armée, puis s’être « embrouillé avec Verhassel ». Il cherche à se dédouaner du gazage ciblé sur les jeunes maghrébins : « J’ai vu la personne armer son poing, j’ai voulu remettre une distance de sécurité. » en spécifiant que « une femme, qu’elle soit petite ou grande, à 23h rue Masséna, on ne sait pas ce qu’elle a dans les poches. »

Quant à son appartenance à des clubs de motards, il la refute en bloc devant la procureure. Pourtant, selon un club de motards de Mouscron, il semblerait qu’il soit devenu l’homme à bannir dans les clubs régionaux à cause de ses « mauvaises relations ».

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Se défendant devant la Cour de tout comportement raciste, il a toutefois l’air d’avoir choisi son camp sur les réseaux sociaux :

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Certains élements avancés par Guillaume Dumont laissent entrevoir des conflits entre les prévenus eux-mêmes. L’homme au brassard n’hésite pas à enfoncer Le Roux en le décrivant comme un fouteur de trouble intenable, il l’appellera d’ailleurs « M. Le Roux » durant tout le procès. Il décrédibilise également son ex-patron, un certain Guillaume F. : « M. Guillaume F. ne dit pas toute la vérité, il avait un contentieux avec M. Le Roux ». Dans son PV, l’ancien supérieur de Guillaume Dumont devenu vigile à sa place, énonce qu’il a l’habitude voir Le Roux alcoolisé rue Masséna lancer des « sales bougnoules » à qui croise son chemin. « Il venait se réfugier au O’Corner quand ça tournait à la bagarre » confie-t-il aux policiers.

Une affaire de connaissances

Dans la salle d’audience, la présence de policiers en civil se fait remarquer dès son ouverture. L’un d’entre eux s’entretient avec sympathie à plusieurs reprises avec Le Roux. Rémi Falize s’est également assuré un soutien de taille en choisissant Me Eric Cattelin-Denu comme avocat, qui n’est autre que l’ancien candidat RN à la mairie de Lille. Alors en campagne, il avait été épinglé pour avoir proposé des artefacts nazis à la vente.

Eric Cattelin-Denu

Les procès verbaux policiers font preuve d’une certaine myopie concernant l’extrême droite locale. Génération Identitaire est présenté comme un simple « parti politique d’extrême droite » qui « mène des actions symboliques ». Quant à la Citadelle, ce serait une « a ssociation faisant la promotion de la culture flamande avec des activités ludiques et culturelles » dans laquelle « aucun désordre ou infraction n’a été constaté depuis l’ouverture ». Un affirmation suprenante aux vues des nombreuses agressions commises par les militants identitaires le vendredi soir aux abords du local, et dont la police a pourtant eu vent.

Verhassel, interrogé pour avoir été vu dans le reportage en possession d’un flashball, se contente de nier toute implication tout en faisant savoir son aversion pour la violence : « Je réprouve la violence, je n’en ai jamais commise. » ose-t-il dans son PV. Il dit avoir revendu l’arme depuis, sans doute à un autre « patriote sincère ». La Cour précise que sa demande de port d’arme de catégorie C lui avait été refusée en 2017.

Dans cette affaire, d’autres figures passent à la trappe et n’ont jamais été auditionnées par la police, à l’instar de Cyril Wayenburg. Il apparaît, tout au long du reportage, soit brodant autour de ratonnades auxquelles il aurait participé, soit rigolant à des blagues antisémites avec Petit Paul. Même interrogation quant à Charles Tessier, lui aussi filmé entre les murs de la Citadelle, se vantant d’une bagarre avec des « sales bougnoules » : « On siegeait dans la rue ! »

Charles Tessier

Malgré la constitution de six associations en parties civiles, comme SOS Racisme, La Licra ou le CCIF, la version des PV policiers ne sera qu’à peine remise en question. Au bout d’un discours qui laissait à penser qu’Etienne, Rémi et Guillaume étaient dans de sales draps, la procureure requiert finalement des peines de 5 mois de prison avec sursis pour les deux premiers et de 3 mois de prison avec sursis pour le dernier. Des peines qui peuvent sembler légères au regard des accusations d’apologie du terrorisme, pour lesquels de très lourdes peines de prison ferme pleuvent quand elles ne concernent pas l’extrême droite. Pour cette fois, un simple stage de citoyenneté suffira pour l’exemple…

Trois ans après les faits, toujours aucune politique n’a été entreprise par la maire de Lille Martine Aubry (qui se disait « choquée » à la diffusion du reportage) pour faire fermer la Citadelle. De fait, le local néofasciste, pour les autorités, semble faire partie intégrante du paysage lillois. Annonce des peines définitives le 15 décembre.
E.R pour La Horde