Les symboles franquistes persistent en Euskal Herria

Malgré ce que beaucoup aimerait nous faire croire, l’Etat espagnol reste imprégné de la dictature franquiste. Non seulement le jeune Juan Carlos de Borbon, actuel roi d’Espagne, était un admirateur du général Francisco Franco mais surtout le Caudillo a désigné, le 22 juillet 1969, le futur roi d’Espagne comme son légitime successeur. Cela peut sembler logique, Franco ayant pris le pouvoir à la fin des années 1930 en organisant un coup d’Etat contre la République, il ne pouvait le remettre qu’au représentant du courant traditionnellement ennemi du camp républicain, à savoir la monarchie.
Certes, quelques concessions étaient faites afin de rallier socialistes et communistes au grand projet d’une Espagne une, grande et monarchiste, mais dans le fond, les structures de l’Etat restaient les mêmes : peu de purges parmi les cadres de l’administration, maintien d’institutions franquistes tel le tristement célèbre Tribunal d’Ordre Public renommé Audience Nationale, inflexibilité des frontières, etc…. Surtout, les dirigeants politiques du mouvement franquiste poursuivaient leur carrière : la Constitution espagnole a principalement été écrite par des membres du Mouvement national (nom donné au régime franquiste) ou en créant de nouveaux partis. C’est ainsi que Manuel Fraga, ministre à l’époque de la dictature, co-rédacteur de la Constitution, termina sa vie en tant que président d’honneur du Parti populaire, actuellement au pouvoir à Madrid.
Nous pourrions citer comme cela des dizaines d’exemples montrant que la Transition Démocratique a surtout été un ravalement de façade du régime franquiste mais concentrons notre propos sur un aspect peut-être plus symbolique mais pas moins essentiel de cette démocratisation ratée : les représentations du franquisme dans l’espace public. Là aussi, il serait possible de rapporter les différentes manifestations officielles encensant Franco et ses sbires, comme cet hommage rendu, par la déléguée du gouvernement en Catalogne, aux derniers membres de la Division Azul ; ou encore de cette maire de la région madrilène qui prêta une école de sa ville pour y héberger une exposition rendant hommage aux mouvements fascistes. Mais abordons plutôt les symboles permanents que représentent ces milliers de monuments, d’éléments de décors de bâtiments officiels, de noms de rues qui parsèment le territoire de l’Etat espagnol. Et, plus précisément encore, intéressons-nous à ceux présents en Euskal Herria.
L’actualité nous en donne l’occasion puisqu’en ce mois d’octobre 2013, cela fait tout juste un an que la commission créée par le gouvernement basque et l’association des municipalités basques, à la demande de la Direction des Droits Humains, a rendu son rapport sur ces symboles franquistes. Un rapport dormant depuis dans les tiroirs d’un bureau de Lakua, le siège du gouvernement basque. Le changement de majorité, des socialistes de Patxi Lopez aux « nationalistes » (de droite) de Iñigo Urkullu, n’a rien changé, au contraire, aucune des actions recommandées n’a été réalisée ou même planifiée.
Ainsi, les symboles pointés dans le rapport restent toujours en place, plus de 35 ans après la mort de Franco. Petite visite aux musées des horreurs.

Délégation ministère finances Bilbao
La délégation du ministère des Finances
Sagrado_Corazon_de_Jesus_San_Sebastian

Commençons par Bilbao où, sur la place Moyua, la délégation du ministère des Finances est hébergée dans un bâtiment ornée du blason espagnol protégé par un aigle, soit le symbole franquiste. Le maire PNV de la ville, Iñaki Azkuna n’a jamais entrepris les démarches pour enlever cette honte planant sur sa ville malgré une motion votée en ce sens en 2001 par son propre conseil municipal. De la même façon, la principale poste bilbaina accueille ses visiteurs par le même blason. Enfin, dans le parc public Doña Casilda de Iturriza, une rue est nommée Paseo Rafael Sanchez Mazas, écrivain mais surtout idéologue et co-fondateur de la Phalange espagnole.
A Saint-Sébastien / Donostia, ce n’est que trop récemment que les choses ont commencé à changer, l’avenue du Généralissime-Franco est ainsi devenue avenue Zurriola tandis que le paseo Primo-de-Rivera (fondateur de la Phalange) a été renommée paseo Nuevo. De nombreuses plaques indiquant les bâtiments officiels ou occupés par des dignitaires du régime ont été retirées depuis la fin des années 1970, non pas par la municipalité ou une quelconque autorité, mais bien par les habitants et des collectifs indépendantistes. Enfin, la ville reste dominée par la figure du Sacré Cœur de Jésus, sur le mont Urgull, en bord de mer : si aucun symbole clairement franquiste n’est installé à cet endroit, le monument a été construit au tout début de la dictature au-dessus d’une ville qui sera la résidence d’été du général Franco.
Dernière province de la Communauté autonome basque, Araba, où sa capitale, Gasteiz (Vitoria), dispose d’une énorme cathédrale, nommée Catedral Nueva. Inaugurée par Franco en personne, l’entrée est occupée par le même symbole franquiste que les bâtiments officiels de Bilbao. Même chose pour l’ancien palais de

plaque croix olarizu

Justice, située en plein centre de la ville. Outre les symboles de la Phalange présents sur différents immeubles habités construits pendant la dictature, une rue portait jusqu’à peu le nom du marquis de Estella. Rien d’alarmant a priori, sauf lorsque l’on sait que ce titre était détenu par un certain Primo de Rivera. De la même façon, une plaque rend hommage, sur sa maison natale, au fasciste Ramiro de Maeztu, « précurseur de l’Espagne éternelle ». Pas loin de Gasteiz, sur le mont de Olarizu, une grande croix a été installée avec cette inscription « en souvenir des morts pendant la croisade de la Guerre civile », la Croisade étant le nom donné par les franquistes au soulèvement militaire contre la République impie. Heureusement, cette inscription est régulièrement recouverte de tags.

monument navarre croisade
Le Monument de Navarre à ses morts de la Croisade

Terminons, enfin, par la Navarre, probablement le pire territoire à ce niveau. Alors que les trois provinces d’Hegoalde (Pays basque sud) ont été, à un moment ou à un autre, gouvernées par les partis se réclamant de la nation basque, la Navarre est gouvernée depuis 30 ans par les partis espagnolistes, notamment par la toute puissante UPN. Ainsi, à Iruñea (Pampelune), un énorme monument trône en haut de l’avenue Charles III de Navarre ; son nom est explicite « Monument de Navarre à ses morts de la Croisade ». Y est notamment enterré le tristement célèbre Emilio Mola, à qui une messe est consacrée chaque année par la Confrérie du Christ Roi. Ce Monument est aujourd’hui une salle d’exposition municipale mais aucun des symboles franquistes présents n’a été retiré, elle porte même le nom Conde de Rodezno, en hommage à un ministre de la Justice franquiste !
Dans le quartier populaire de la Txantrea, où de nombreux bâtiments ont été construits par le Patronato Francisco Franco, ce ne sont pas moins de 19 rues qui portent le nom d’un militaire franquiste. De la même façon, de nombreux symboles fascistes ornent encore aujourd’hui les immeubles construits à l’époque de la dictature. Enfin, autre exemple de la persistance de la symbolique franquiste, l’entrée d’un parc public est ornée du blason de la Navarre accompagné de la croix de Saint Ferdinand, utilisé lors de la dictature militaire. Plus grave, cela a été inauguré après la mort de Franco !
Evidemment, il ne s’agit là que des pièces les plus « remarquables » de ce musée. Des centaines d’autres symboles sont disséminés partout sur le territoire basque sans être éliminés. Pourtant, une loi existe bien au niveau de l’Etat espagnol comme au niveau des différentes provinces, notamment en Navarre. Mais celles-ci ne sont jamais appliquées. En revanche, les mairies navarraises affichant l’ ikurriña , le drapeau basque, peuvent être poursuivies. De la même façon, les portraits de prisonniers et prisonnières politiques basques, ainsi que différents symboles rappelant la lutte populaire de libération sociale et nationale sont prohibés et durement réprimés. Par exemple, alors que le rapport sur les symboles fascistes dort depuis un an dans les bureaux du gouvernement basque, sans que cela n’émeuve personne au sein des différents cabinets, le même gouvernement se montre fort de faire appliquer la loi contre les « terroristes » et leurs soutiens, ainsi qu’ils les désignent. Cet été, il a ordonné 258 opérations destinées à retirer des photographies, des pancartes ou des fresques de soutien aux prisonnières et prisonniers politiques basques.
A l’heure où la gauche indépendantiste cherche à créer une nouvelle société au Pays basque, où tous les projets politiques pourraient être défendus librement et où, surtout, la parole et les intérêts populaires seraient souverains, il ne sera pas possible de faire l’impasse sur les questions de mémoire. Les symboles survivants de l’époque franquiste doivent donc être supprimés. Cela devant bien évidemment également se faire dans le reste de l’Etat espagnol afin que ces sociétés franchissent enfin le pas de la Transition démocratique, plus de 30 ans après la mort du dictateur.