Auteur de plusieurs ouvrages sur l’occultisme nazi, ses « mystères » et ses influences dans différents domaines culturels et politiques, Stéphane François revient avec ce qui peut être considéré comme une synthèse finale de son travail sur cette thématique.

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Crâne rouge, super-vilain de l’univers Marvel, dont les origines font références à l’occultisme nazi

Si le sujet (comme l’auteur l’indique lui-même) est parfois soumis à une certaine méfiance de la part du milieu universitaire (mais également de la part du milieu militant), c’est également à cause du champ d’analyse qui est gigantesque. Entre les origines ésotériques supposées du nazisme, la démystification de certaines légendes sur des personnages historiques et des armes secrètes, la création de nouveaux mythes par les milieux néonazis ou certains auteurs fantastiques (on pense naturellement au Matin des Magiciens ), il y a de quoi s’occuper. D’autant que cette thématique sera une source d’inspiration non négligeable pour une certaine forme de BD et romans érotiques des années 70[1] et donnera naissance à un genre cinématographique à lui tout seul, la nazisploitation[2]. Durant les années 80, on retrouvera les mystères du nazisme exploités dans certains milieux musicaux[3], dans des revues vendues en kiosques[4], la bande dessinée, l’uchronie, les jeux vidéo[5] et le cinéma[6].

Tout en rappelant quelques vérités historiques sur ces mystères nazis, Stéphane François n’hésite pas à revenir aux sources de certaines légendes, qui sont nées dans les années 30 et reprises ensuite sans discernement par de nombreux auteurs. Il rappelle également la place centrale du livre Le Matin des Magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier dans le développement et la popularisation de ces thèmes dans le grand public.

Ne nous y trompons pas. Si le sujet peut paraître folklorique ou secondaire, il ne faut pas oublier que bien souvent c’est un vecteur utilisé par l’extrême droite radicale pour dédouaner le nazisme ou véhiculer ses idées. Ainsi il n’est pas innocent si Réfléchir&Agir réédite les livres de Wilhelm Landig ou la BD Hessa . Un lecteur non averti, pourrait les considérer comme de simples fictions au même titre que des séries qui pour le coup n’ont pas d’arrière-pensée politique comme Wunderwaffen ou le cycle de la Terre Creuse.

Que l’on soit novice sur ce sujet ou au contraire alerté sur les possibles conséquences de la thématique, l’ouvrage est tout à fait abordable et permet à l’occasion de se faire une remise à niveau sur le sujet. L’occasion pour nous de lui poser quelques questions sur son travail et d’aborder certains points particuliers traités dans l’ouvrage.

-Peut-on dire que les mystères nazis que vous abordez dans le livre concernent à la fois des réalités historiques mais également des mythes ?
Oui tout à fait. Les mythes ont une part de réalité et ici cette réalité c’est l’intérêt réel de quelques hiérarques du parti nazi pour l’ésotérisme. Les plus connus sont Hess et Himmler. Toutefois, une fois cela dit, il faut être honnête : tous les nazis n’étaient pas des occultistes et une majorité d’entre eux s’en moquait. Le moteur du nazisme, ne l’oublions pas, c’est l’antisémitisme et le racisme.

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-Dès les premières pages de l’ouvrage vous rappelez la frilosité des universitaires français à travailler sur les liens entre l’occultisme et le nazisme, ce qui n’est pas forcément le cas des anglo-saxons. Quelle en est la raison selon vous ?
La principale raison est le rationalisme. Un rationalisme mâtiné de mépris : l’étrangeté est digne d’intérêt si elle est le fait d’une lointaine civilisation, mais si cela concerne nos sociétés complexes, cela provoque mépris, condescendance et rires. Il ne faut pas oublier que l’étude universitaire de l’ésotérisme en France ne date que des années 1970. Pourtant le terme est apparu vers 1840… Et il n’y a qu’une revue qui étudie les rapports entre ésotérisme et politique, Politica Hermetica .
En outre, si l’ésotérisme est rejeté par les milieux politistes français, c’est parce que son étude est jugée suspecte pour trois raisons : la première est liée à notre conception de la laïcité et à notre rationalisme. La seconde est liée à la spécialisation : l’ésotérisme est un continent terra incognita pour la plupart des chercheurs, et s’y pencher nécessite un travail énorme. La troisième est due au fait que l’image de l’ésotérisme est entachée par le soupçon d’être une spécialité d’extrême droite : les politologues français ont de fait du mal à utiliser les travaux des spécialistes de l’ésotérisme, qui ne sont pas toujours des universitaires et qui se situent parfois à la droite de l’échiquier politique.
Enfin, si peu de chercheurs ont tenté d’analyser ces discours c’est parce qu’ils sont rebutés par la nature sulfureuse et orientée de ces thématiques. Ils le sont aussi par l’angoisse d’être confondus avec les rédacteurs des publications pseudo-scientifiques, qui s’intéressent également, malheureusement pour l’universitaire qui souhaite travailler sur ces objets, à ce genre de cultures marginales…

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Symbole de la Société de Thulé

-Dans l’imaginaire collectif, l’occultisme nazi semble étroitement lié au paganisme, mais vous rappelez que cette vision vient en partie des milieux catholiques allemands. Comment expliquer que cette image ait pu se développer quand on sait que finalement parmi les chefs du parti nazi très peu étaient portés sur le paganisme ?
Une partie des chefs nazis se moquait ouvertement du paganisme de Himmler, Rosenberg disait que « Odin est mort ». D’autres n’avaient que faire de ces thématiques. L’idée d’un paganisme intrinsèque au nazisme vient de différents milieux : catholiques comme vous le faites remarquer ; protestants (enfin ceux qui n’étaient pas contaminés par le « christianisme germanique », version antisémite et raciste du protestantisme) ; et par la présence dans le parti nazi, et en particulier, dans la SS de militants païens. En effet, certaines structures païennes préexistantes au Troisième Reich vont avoir une représentativité plus grande sous le régime nazi, avant d’être dans un second temps « mis au pas » comme le reste de la société allemande. C’est le cas, par exemple de la Arbeitsgemenschaft der Deutschen Glaubensbewegung (« communauté de travail de la foi allemande »), née de la fusion de différentes communautés religieuses libres en juillet 1933 et dirigée par Jakob Wilhelm Hauer et par un nazi de la première heure, le comte Ernst zu Reventlow. Son objectif était de solliciter Hitler pour obtenir la reconnaissance officielle en tant que troisième confession. Ce statut leur fut promulgué peu de temps après. Par la suite, d’autres mouvements, ligues, communautés fusionnèrent avec la DGB afin d’échapper à la mise au pas de la société allemande. La reconnaissance officielle n’empêcha pas la persécution du mouvement par les autorités nazies à compter de 1936.
Mais surtout, cette idée a été diffusée après–guerre par la littérature issue du Matin des magiciens et par d’anciens SS, notamment français comme Saint-Loup ou Robert Dun. Enfin, cette idée a servi de matière à des néonazis ayant un pied dans l’ésotérisme comme le Chilien Miguel Serrano ou Saviri Devi Mukherji. Chacun de ces groupes ayant un intérêt à la diffusion de cette thématique : rendre un régime horrible encore plus monstrueux, faire un buzz éditorial, justifier des actes ou diffuser des idées…

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-Dans le livre vous n’abordez pas l’un des mythes les plus vivaces de la littérature consacrée à l’occultisme nazi, à savoir la Loge du Vril. Comment ce qui est à la base est une fiction, est devenue aujourd’hui pour bon nombre de personnes une réalité historique.

Ce thème est très présent dans la littérature new age et/ou conspirationniste. Comme il s’agit à l’origine du thème d’un roman ( La Race à venir de Bulwer Lytton, paru en 1871), il est vrai que je l’ai mis de côté au profit des thèmes historiques, il est déconstruit via les mises au point sur Karl Haushofer et sur la Société Thulé. Le roman brode sur l’idée d’un groupe d’Élus vivant cachés, ayant développé des capacités psychiques –le Vril- telles qu’ils peuvent modifier leur race, et qui réapparaîtraient sur Terre pour nous dominer. Ce canevas est repris par les tenants de l’occultisme nazi : selon eux, le géopoliticien Karl Haushofer aurait fondé une « société du vril » cherchant à la fois les origines de la « race aryenne » et la capacité à accumuler cette énergie pour créer une nouvelle élite raciale. Hitler, Himmler, Rosenberg et d’autres en auraient fait partie. Avec ce thème, nous passons quand même dans une autre dimension. Au point que je me demande parfois si ceux qui diffusent l’idée de cette loge du Vril y croient vraiment… Les personnes qui croient à cela ont une sociologie quand même particulière : elles évoluent soit dans l’occultisme le plus délirant, soit dans la nébuleuse new age. Ce qui revient au même en fait de compte. En effet, ce thème n’est guère utilisé par les adeptes de l’ « occultisme nazi » les plus « sérieux ».

-Vous écrivez à la fin du livre que « le refus de prendre en compte l’aspect ésotérique est intéressant chez les militants antifascistes » et que cela permet « de donner accès à l’étude de leurs propres milieux » ? Pouvez-vous préciser ?

Oui. En fait, la non-volonté de prendre ces thématiques en compte dans ces milieux montre par effet de miroir leurs propres à priori : certains groupes restent prisonniers des analyses marxistes des années 1970, qui, comme on le sait, ont été couronnées de succès… De fait, comme les milieux universitaires dont nous avons parlé plus haut, certains milieux antifas restent prisonniers d’une analyse rationaliste et économiciste, voire sociologisante du problème, oubliant les aspects mystiques et mythiques de la culture d’extrême droite.

-Quelle place accordez-vous au Matin des Magiciens et à ses auteurs (Pauwels et Bergier) dans le développement des mythes nazis ? Et pour des personnalités comme Miguel Serrano et Savitri Devi ?

Le Matin des magiciens peut être vu comme l’ouvrage fondateur de l’ « occultisme nazi », bien qu’il en ait existé d’autres auparavant. Son succès (plus d’un million d’exemplaires vendus dans différents pays) fait qu’il a donné une publicité inespérée à cette thématique.

Miguel Serrano a fait aussi beaucoup, mais dans un registre militant (il était un adepte de cet « occultisme nazi »), mais son œuvre est plus tardive : ses premiers textes datent des années 1970, lors de l’« âge d’or » de cette thématique. On peut d’ailleurs se demander légitimement s’il n’a pas profité de cet engouement pour diffuser ses thèses, comme l’a fait l’ancien SS autrichien Wilhelm Landig pour publier son premier roman à clé sur le même sujet. Quant à Savitri Devi, elle est devenue un auteur « culte » dans les milieux militant de l’ « occultisme nazi » plus tardivement, ses premiers textes étant restés plutôt confidentiels, bien qu’elle fît partie dans les années 1960 de la World Union of National Socialists.

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Le château de Wewelsburg

-Vous allez dire que l’on a l’esprit tordu, mais concernant Louis Pauwels et son rapprochement avec la Nouvelle Droite à la fin des années 70, on peut penser que sa démarche était moins naïve que celle de Bergier. On ne dit pas que Pauwels était un nazi, mais on se demande s’il n’y avait pas une volonté de mettre au grand jour certaines thématiques pour mieux développer ses convictions idéologiques ?

Je ne le pense pas. Sans chercher à le dédouaner de ses positions droitières assumées, Louis Pauwels était à la fois une personne intéressée par l’ésotérisme (il fréquenta le groupe de Gurdjieff), et, de son propre aveu « une éponge », surfant sur les modes. L’aventure de Planète , revue née du succès du Matin des magiciens le montre très bien : c’était une revue éclectique, avec une grosse tendance au mysticisme et à l’irrationalisme. En outre, le contenu du Matin ou de Planète est assez éloigné des thèmes scientistes de la Nouvelle Droite, première mouture. Enfin, sous-entendre que Pauwels était calculateur est également éloigné du personnage : certes, il a beaucoup évolué, changeant souvent d’idées, mais je pense au contraire que c’était plus dû à un engouement momentané qu’à un réel calcul, d’où le qualificatif d’ « éponge » qu’il utilisait pour se définir.

-Si je vous dis qu’Internet a donné un nouveau souffle à ces thématiques, voire les a enrichies, vous êtes d’accord ?

Entièrement d’accord ! Internet a permis le renouveau de cette thématique, après une période de reflux dans les années 1980 et 1990.

- On sait qu’à une époque Christian Bouchet, et aujourd’hui l’équipe de Réfléchir & Agir, ont exploité via l’édition ces thématiques. S’agit-il d’une démarche purement politique ou mercantile ?

Concernant le premier, je répondrai mercantile sans réserve, comme le montre les publications (des compilations d’articles sur le sujet) chez Ars Magna ou Avatar. Pour les seconds, étant donné qu’ils sont des fans inconditionnels de l’ex SS Saint-Loup, je dirai que l’aspect mercantile n’est pas l’unique moteur.

- Quelques groupuscules comme les alsaciens d’Aurore païenne, ou Jean-Claude Monnet dans les années 60-70, ont construit leur théorie autour de ces mythes nazis. Quelle peut-être la portée réelle de ces thématiques dans l’extrême droite radicale en 2015 en France ?

À peu près nulle, sauf dans certains milieux néonazis : le nazisme reste toujours disqualifié et ceux qui rééditent ou éditent des textes nazis insistent plutôt sur les ouvrages sur la race (comme les rééditions de Hans Günther), sur les récits militaria (en particulier sur la « geste » de la SS) ou depuis peu sur les questions économiques.

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Aurore Païenne en 2013

-Comment expliquer que la plupart des artistes qui abordent la thématique des mystères nazis dans la musique soit des sympathisants d’extrême droite, un phénomène qu’on ne retrouve pas forcément dans le cinéma, la bd ou la littérature ?

À vrai dire, vous me posez une colle : je ne me suis pas posé la question… Mais, je conteste un tout petit peu votre propos : Current 93[7], qui ne peut pas être qualifié de groupe d’extrême droite, a repris dans une chanson un thème développé par Savitri Devi et Miguel Serrano : l’idée que Hitler serait un avatar de Kalki (dans « Hitler as Kalki »). Je pense qu’il doit y en avoir d’autres groupes ayant fait la même chose.

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-La série documentaire Alien Theory a soutenu la thèse de la découverte par les nazis d’un ovni. Qu’en pensez-vous ?
Il faut préciser une chose d’emblée. Cette série de « documentaires » ne s’intéresse pas aux « mystères nazis », cela est très secondaire par rapport à leur leitmotiv : l’action des extraterrestres dans l’histoire de l’humanité (en gros, nous n’avons rien inventé et devons tout à l’action d’extraterrestres ; quand ils ne soutiennent pas l’idée dévolutionniste que nous étions plus intelligents durant la Préhistoire qu’aujourd’hui). Et c’est dans cette optique qu’il faut prendre cet épisode : les nazis sont passés à deux doigts de gagner la guerre car ils auraient récupéré une technologie novatrice lors de la découverte en 1936 d’un ovni à Nuremberg. En effet, la référence « littéraire » de cette série n’est pas Le Matin des magiciens, mais les thèses d’Erich von Däniken, un écrivain suisse, développées dès 1969 dans Présences des extraterrestres.

-Peut-on considérer qu’il s’agit ici d’une forme de conclusion à votre travail sur ce thème ou avez-vous encore quelques pistes à explorer.

Non, c’est une conclusion. Cet ouvrage est une synthèse sur le sujet. Je le complèterai peut-être dans une dizaine d’année, qui sait.

Le livre de Stéphane François, les Mystères du Nazisme est disponible ici

Concernant la déconstruction des certains mythes , nous conseillons la lecture du chapitre consacré à la loge du vril dansla Gazette Fortéenne volume 2 et du chapitre consacré au V7 et autres armes suprêmes nazis dans SCIENTIFICTION N°1 - VOL. 2.

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[1] La collection « Les Soudards » entre autre

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[2] La nazisploitation est un subtil mélange entre scènes de violence et scènes érotiques. Si le film Portier de nuit est souvent cité comme le modèle du genre, il semble que Love Camp 7 soit le tout premier film à avoir fixé les règles de cette catégorie cinématographique si particulière. La nazisploitation possède même ses titres cultes comme Ilsa La louve de SS . Véritable genre à part entière, le chanteur et réalisateur Rob zombie tournera une fausse bande-annonce de nazisploitation en regroupant tous les poncifs du genre : Werewolf of The Woman SS . Ce cinéma se caractérise également par des affiches ultra-racoleuses qui en promettent bien plus que ce que le spectateur pourra voir. Le genre connaîtra même une version Blaxploitation avec le film Black Gestapo . Les années 2000 verront une variante du thème avec les films de zombies nazis ( Dead Snow , Outpost ) et les films axés sur l’ufologie nazie ( SS Troopers , Iron sky , Nazi At The Center Of The Earth …) ou l’occultisme ( Hellboy , Blood Creek ).

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[3] Principalement la scène néo folk/darkflok, la thématique devenant presque caractéristique essentielle de ce style de musique.

[4] Depuis les années 80 on ne compte plus le nombre de revues aux complots, l’histoire cachée ou l’archéologie mystérieuse consacrées à ce sujet. Phénomène d’autant plus étonnant que les articles consacrés à cette thématique ne cessent de recycler les mêmes sources, les mêmes analyses et les mêmes visuels.

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[5] L’exemple le plus connu étant la série Wolfenstein, qui aborde l’ésotérisme nazi ainsi que la fable des bases nazies sur la lune.

[6] Dans deux films, Indiana Jones se retrouve confronté à des nazis s’intéressant à des reliques mythiques (L’arche d’alliance et le Graal).

[7] Current 93 est un groupe créé par David Tibet aux débuts des années 80. Tibet fut également membre de Death In June. Si sa musique était proche de la scène industrielle telle qu’elle était pratiquée aux débuts des années 80, le groupe a fortement évolué, changeant de style d’un album à l’autre, évoluant entre musique folk, chants religieux et comptines pour enfants. A la différence de Death In June, Current 93 abordera plutôt des thèmes plus mystiques et ésotériques. Tibet sera la cible d’attaques de la part du leader de Death In June via l’album « Free Tibet ».