Tandis que les journaux faisaient leurs gros titres sur le nouveau groupe de Marine Le Pen à Bruxelles, l’extrême droite radicale s’agitait depuis plusieurs mois au niveau international. Cela n’a certes rien de nouveau : il y avait eu en novembre 2013 les « Journées de la Dissidence » à Madrid, et bien d’autres rencontres européennes ou internationales parcourent l’histoire de l’extrême droite française, qui ont abouti (ou pas) à la constitution de groupes internationaux d’extrême droite, tel le Front National Européen, FNE, créé en 2004.
L’Alliance pour la Paix et la Liberté

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Au début de l’année 2015, on a pu assister à Bruxelles à la naissance de l’Alliance pour la Paix et la Liberté (APF en anglais), autour de personnalités de l’extrême droite radicale telles que Roberto Fiore (Forza Nuova, Italie), qui en est le président après avoir dirigé le FNE, Nick Griffin (anciennement BNP, Royaume-Uni), Udo Voigt (NPD, Allemagne) et Georgios Epitideios (Aube dorée, Grèce). Les trois premières personnalités ont fait parler d’elle à l’occasion d’une rencontre avec Jean-Marie Le Pen en avril dernier, rencontre qui n’avait pas suscité beaucoup de commentaires en France alors même qu’elle avait dû faire grincer des dents aux chantres de la dédiabolisation du FN (voir ici).

Wyssa

Au sein de l’APF (enregistré en Italie), on retrouve également des Suédois, des Danois, des Espagnols, les Belges de Nation et Olivier Wyssa, un ancien du FN passé à l’Œuvre Française (OF). À ce sujet, il faut noter la présence de Gabriac de l’OF lors de la création de l’APF, ce qui n’est pas anodin étant donné l’implication grandissante au niveau international de certains militants de cette organisation dissoute.
Sous l’égide de Poutine, à l’extrême droite radicale

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Une deuxième étape a eu lieu le 22 mars dernier à Saint-Petersbourg, en Russie. À l’invitation du Centre culturel national russe, organisation adhoc dépendant de Rodina, le parti de Poutine, un grand nombre de personnalités d’extrême droite radicale issues de dix pays différents se sont retrouvées pour un « Forum conservateur international », dont l’objectif était de « créer un mouvement susceptible de défendre les valeurs traditionnelles, de promouvoir les intérêts de la Russie en Europe et d’obtenir la levée des sanctions qui obèrent lourdement l’économie russe. », comme l’a affirmé Youri Lioubomirski en ouvrant la conférence. À l’extérieur de l’Holiday Inn où se tenait la conférence, des antifascistes s’étaient rassemblés pour protester ainsi qu’un groupe de femmes venues jouer de la musique : sans surprise, tout ce petit monde s’est fait embarquer sans ménagement par la police russe, et au commissariat, les vexations et les humiliations ont été nombreuses.

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Sur la liste des présents, on remarque aussi bien les habitués de l’Aube dorée, les représentants de l’APF (dont Jim Dowson, un Britannique orangiste qui a quitté le BNP pour rejoindre Britain First, proche de l’EDL, Olivier Wyssa, Bertoni Luka de la Ligue lombarde en Italie), mais également un représentant d’Ataka, de Bulgarie, le Finnois Davidson Yukka, du Parti pour l’Indépendance nationale. On note également la présence de deux participants américains : Jared Taylor, journaliste et théoricien de ce qu’il appelle le « réalisme racial », c’est-à-dire le suprémacisme blanc, qui avait participé en 2012 aux Assises « La France en danger », organisées par la fine fleur de l’extrême droite radicale française et Nathan Smith, du Texas Nationalist Movement,

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qui a des velleités sécessionnistes et dit du gouvernement fédéral américain qu’il est « une véritable dictature ». On note dans la liste des participants l’absence des militants de l’Œuvre française, représentée seulement par Wyssa. Ce qui est sorti de cette rencontre : beaucoup de déclarations de principe, une résolution publiée en russe et en anglais sur le site du Centre culturel national russe, nommé de façon révélatrice « real patriots ».Au vu de tout cela, on sent que cette conférence dépasse le cadre de la seule APF, et qu’elle constitue de la part de l’État russe une volonté d’ouvrir large le parapluie des alliances face aux prises de position de l’Europe et des États-Unis face à la guerre en Ukraine (sans oublier le financement du FN par des banques russes et le soutien inconditionnel de Marine Le Pen à Poutine). Quant à l’extrême droite radicale, elle profite de la situation pour se (re-)lancer dans les affaires internationales et pour donner l’impression qu’elle est puissante parce qu’en lien avec les autres groupuscules radicaux d’autres pays.
Paris, Bornholm… et la Syrie
L’étape suivante, plus modeste, s’est déroulée en mai dernier, à la faveur de la manifestation du 9 mai à Paris, avec le Forum de l’Europe, dont nous donnions un aperçu ici.

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Pamela Geller

La dernière rencontre a eu lieu il y a une dizaine de jours au Danemark, à l’invitation du Danskernes Parti, dont le leader, Daniel Carlsen, était présent à Saint-Petersbourg en mars et à Paris en mai. À la faveur du Folkemødet, sorte de festival politique qui a lieu tous les ans sur l’île de Bornholm en juin, un certain nombre de représentants de l’APF ont été conviés à venir exposer leurs points de vue sur l’actualité et la liberté d’opinion et d’expression ; parallèlement à cela, Wilders du PVV (allié de Marine Le Pen au Parlement européen) avait également annoncé sa venue au Folkemødet, invité par la Trykkefrihedsselskabet (société de la presse libre). Ce festival politique, qui a été lancé en 2011 par Bertel Haarder, pour qui les islamistes et les politiques tels que Wilders ou les militants de l’Aube dorée sont à mettre dans le même panier, fait la part belle aux islamophobes, puisque le Pegida danois y a également été invité, de même que Gravers Pedersen, de Stop the Islamisation of Denmark (SIAD) ainsi que la fameuse Pamela Geller (États-Unis), qui avait promis d’y présenter les caricatures anti-Islam qui, au mois de mai 2015, avaient fait l’objet d’une attaque armée à Garland (Texas), revendiquée par l’État islamique. Wilders assistait à cette exposition, et les deux hommes armés ont été abattus par la police américaine. Dans ce contexte, le journal Jyllands-Posten (journal d’extrême droite qui avait publié les caricatures de Mahomet en 2005) et le mouvement Frit Danmark ont annoncé qu’ils se défendraient « par tous les moyens nécessaires », s’ils s’estimaient en danger pendant le festival. De fait, l’intervention de Wilders a eu lieu sous haute surveillance policière, tandis qu’à un autre endroit du festival, en toute impunité et au grand dam de nombreux participants, les invités français, parmi lesquels Yvan Benedetti, ont pu conférer sur la répression policière des différents États à l’égard des militants nationalistes, en prenant la procédure qui vise les dirigeants de l’Aube dorée pour exemple.

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À noter qu’à peine une semaine plus tôt, certains parmi les membres de ce réseau (Voigt et Pühse pour le NPD allemand, Van Laethem pour le mouvement belge Nation, Nick Griffin et Roberto Fiore) se retrouvaient en Syrie pour une rencontre avec le président du Parlement syrien, le vice-ministre des Affaires étrangères, entre autres officiels du régime syrien.
Que faut-il penser de ces multiples rencontres ?
Tout d’abord que l’APF, même si elle ne constitue pas une nouveauté dans la tradition de l’extrême droite, montre bien plus de convergences idéologiques que les liens internationaux que Marine Le Pen tente de nouer au niveau des élus européens. Mais également qu’il ne faut pas se laisser berner par les comptes rendus enthousiastes et autres photos / selfies de nos énergumènes « all over the world ». Les natios n’ont aucune vocation à l’internationalisme, et bien vite, les dissensions réapparaissent, qu’il s’agisse de rivalités géopolitiques, historiques ou… financières !

La Horde