Alors que les membres du nouveau groupe formé par Marine Le Pen au Parlement européen se sont retrouvés hier à Perpignan pour des journées parlementaires, avec pour objectif de faire le bilan d’un an de présence au Parlement européen, c’est l’occasion de revenir sur les différentes tentatives de l’extrême droite en Europe, mais sans se limiter à la seule Union européenne.
En effet, on fait grand bruit autour des tractations du FN au Parlement européen, tractations qui ont effectivement abouti à la constitution d’un groupe parlementaire, mais on oublie bien souvent les tentatives qui donnent lieu, en marge de l’extrême droite parlementaire, à des rencontres plus ou moins formalisées et à des échanges aussi bien théoriques que tactiques. Dans ce cadre, la Russie de Poutine joue un rôle déterminant dans les relations internationales des différents partis d’extrême droite, car la position des différentes formation de l’extrême droite classique ou radicale par rapport à la Russie conditionne ou permet même l’existence de certains réseaux, aussi bien autour du FN qu’au sein de l’extrême droite radicale.
Au Parlement européen, le Mouvement Europe des Nations et des Libertés (MENL)

FN_Nations&Libertés

On a donc appris, il y a quelques jours, que Marine Le Pen avait réussi à former un groupe parlementaire au Parlement européen autour des 20 élus du FN/RBM. Il lui aura fallu plus d’une année pour arriver à mener à bien les tractations avec différents élus de plusieurs pays. Au final, le résultat est plutôt fragile. En plus du FPÖ autrichien (4 élus), du PVV néerlandais (3 élus) et du VB belge (un seul élu), qui sont les fidèles de la première heure, on retrouve une conquête du FN, déjà ancienne : la Lega Nord italienne, qui compte cinq élus, ce qui constitue un noyau assez solide, ravie en juin 2014 au groupe Europe de la Liberté et de la Démocratie Directe (ELDD) dirigé par le UKIP britannique de Nigel Farage.

Une parenthèse au passage : l’ELDD, qui, on se le rappelle, avait pu se former grâce à la signature d’une députée FN qui avait fui le giron de Marine Le Pen, a explosé en vol à cause de la défection d’Iveta Grigule, l’élue lettone du ZZS (Union des Verts et des Paysans), objet d’âpres disputes entre Farage et Le Pen ; cette défection, qui a par ailleurs de nombreuses raisons, s’est cristallisée sur le positionnement de l’ELDD sur la guerre en Ukraine. Notons que Farage a pu remonter un groupe en faisant appel à un des quatre élus polonais du KNP, dont il sera question plus loin.

Alors, comment Marine Le Pen s’y est-elle prise pour parvenir à rassembler les 25 élus nécessaires, issus de sept pays différents ? Pas question, dédiabolisation oblige, de faire la cour au Jobbik : les élus de l’extrême droite hongroise le confirment, ils n’ont pas été approchés par le FN. Même chose concernant Chrysi Avgi, l’Aube dorée grecque ou encore le NPD allemand. Ces trois partis restent les éternels délaissés du Parlement européen, mais ils se rattrapent bien en off (voir Les aventures de l’extrême droite, 2)
Qui sont les nouvelles conquêtes de Marine Le Pen ?
Il s’agit de deux des quatre élus du KNP (Kongres Nowej Prawicy, Congrès de la Nouvelle Droite, Pologne) et de Janice Atkinson, anciennement UKIP, conquise de haute lutte par Marine Le Pen, qui, en guise de remerciement, l’a bombardée vice-présidente du groupe.

Janice Atkinson

Ce que les médias français ont rapporté au sujet de cette élue britannique, ce sont surtout les malversations financières dont elle a été accusée, un peu moins ses déclarations racistes au sujet d’un sympathisant du UKIP originaire de Thaïlande, déclarations pour lesquelles Farage avait dû faire des excuses publiques, et quasiment pas son parcours politique. Encartée au parti conservateur jusqu’en 2011, Janice Atkinson s’est illustrée cette même année par son soutien au programme du British National Party (BNP, auquel appartenait Nick Griffin dont nous reparlerons plus loin). Elle a ensuite rejoint le UKIP dont elle a été exclue après les accusations mentionnées plus haut. Malgré son exclusion du UKIP, elle a continué à appartenir à l’ELDD jusqu’à être débauchée par Marine Le Pen.

NowaPrawica

Revenons maintenant sur le KNP, qui a recueilli 7,15% des voix lors des életions européennes en Pologne l’année dernière (avec un taux de participation de 22,7%…). Rappelons tout d’abord que le troisième élu du parti appartient au groupe de Farage, et que le dernier, le chef du parti, Janusz Korwin-Mikke, siège comme non inscrit (voir pourquoi ici). Le KNP est la fusion (depuis 2011) de deux partis politiques polonais : l’un libéral-conservateur, l’autre d’extrême droite. En termes de politique intérieure, le KNP souhaite un changement du nom du pays (que la République polonaise redevienne la Pologne) et a des positions ultra-libérales très marquées, ce qui ne semble guère compatible avec la ligne adoptée par Marine Le Pen. En revanche, du côté de la politique extérieure, les positions eurosceptiques du KNP (qui veut une sortie immédiate de l’UE tout en restant dans Schengen) semblent plus en accord avec les positions du FN, tout comme la volonté, en politique intérieure, de permettre une liberté d’opinion absolue ainsi que de réintroduire la peine de mort.

Au bout du compte, le groupe de Marine Le Pen semble bien fragile. Du fait tout d’abord des grands absents parmi les élus français : Jean-Marie Le Pen, en pleine disgrâce, Bruno Gollnisch, qui s’est déclaré solidaire de ce dernier, et Aymeric Chauprade, fort opportunément en déplacement (?) aux Îles Fidji. En ce qui concerne Chauprade, Marine Le Pen a déclaré qu’il devrait signer les papiers sous peu… À voir. Quant aux élus européens ensuite, on note des fragilités du côté des deux nouveaux pays représentés ; en effet, si Marine Le Pen n’a pas à craindre a priori une défection du Vlaams Belang, elle n’a aucune certitude quant à la fidélité de l’ex-élue UKIP ou des deux élus polonais, qui peuvent lui claquer dans les doigts à tout moment, comme c’est arrivé à Farage avec l’élue lettone. Et à ce moment-là, il lui faudra peut-être un an pour récupérer un ou une autre élue et remettre la main sur le magot (presque 20 millions d’euros) et les autres avantages (attachés parlementaires, temps de parole, etc.) dévolus aux groupes parlementaires européens.