L’école des réacs-publicains : du "niveau qui baisse" au "grand remplacement"

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Dans son ouvrage édité par Libertalia, Grégory Chamba, enseignant, décrit avec précision les « réac-publicains » (Natacha Polony, Jean-Paul Brighelli, Alain Finkielkraut, Éric Zemmour…) et les associations et groupes d’extrême droite qui, sous couvert de sauver l’école de la "décadence", rêvent surtout de restaurer "l’ordre et la nation". Pour vous en donner un aperçu, l’auteur et son éditeur nous en ont fait parvenir un extrait, dans lequel on voit comment on passe de la dénonciation du " niveau qui baisse " à la " théorie du grand remplacement "… Édifiant !

Été 2015, fuyant les guerres et la misère, les migrants et leurs enfants qui tentent de rejoindre l’Europe font la une des médias. L’occasion pour l’essayiste d’extrême droite Renaud Camus de publier sur son compte Twitter ce message : « Ils importent des millions d’étrangers à notre civilisation et ils se plaignent qu’à l’école ‟les écarts se creusent” »…

L’extrême droite a depuis longtemps intégré l’immigration comme un élément pivot de son discours décliniste et ségrégatif sur l’école. Lors de la présidentielle de 2002, Bruno Mégret avertissait : « Le réenracinement de notre enseignement dans la culture française ne sera cependant pas possible si les classes restent surchargées d’enfants étrangers.  » Le FN affichait la même volonté de « r éhabiliter les enseignements qui confortent l’identité nationale » et de « libérer l’école de l’immigration » : « Beaucoup des délits ou des crimes commis en milieu scolaire sont le fruit amer du laxisme moral généralisé et souvent liés à l’immigration de masse que connaît notre pays comme au déracinement qu’elle induit chez les jeunes immigrés. » Aujourd’hui, cette droite radicale est parvenue à rendre « acceptables » aux yeux des « défenseurs de l’école de la République » ses thèses sur « l’islamisation » du pays ou sur le « grand remplacement » en distillant le fantasme d’une nouvelle « barbarie » à l’assaut de la civilisation.

Sous la plume de Jacques Julliard, les enfants d’immigrés deviennent ainsi les premiers responsables de la baisse généralisée du niveau :

« Allons plus loin, puisque nous sommes là pour tout dire. Si l’école de ce pays – c’est là son mérite et son destin – n’était pas lourdement pénalisée à cause de la présence d’enfants d’immigrés non francophones, qui souvent ignorent tout du français, son classement international remonterait singulièrement et rejoindrait sans doute l’exemplaire, la chimérique, la bienheureuse Finlande à qui les pédagogistes un peu truqueurs attribuent des mérites qui ne sont en réalité que l’effet d’une grande homogénéité culturelle de départ. »

Pedro Cordoba, président de Reconstruire l’école, comparant sur son blog le système éducatif finlandais et le nôtre, relève :

« la troisième grande source de discrimination est bien évidemment l’origine des élèves, autochtones ou allochtones, autrement dit le poids de l’immigration. Il y a très peu d’élèves d’origine immigrée en Finlande […]. Contrairement à ce qui se passe chez nous, ces immigrés ne sont pas parqués dans des ‟cités”, où s’est développée une ‟culture” dont les valeurs sont incompatibles avec l’école ».

Une thèse dont la droite « traditionnelle » s’est faite le relais. Le rapport Bénisti sur « la prévention de la délinquance », rédigé en 2004, établissait un lien entre le bilinguisme des enfants de migrants en France et le risque de délinquance. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy, déclarait quant à lui à l’Assemblée nationale, le 26 mai 2011, que « les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants immigrés ».

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Les débats autour de la réforme du collège et des nouveaux programmes ont réactivé cette thématique dans la rhétorique réac-publicaine à travers la menace de l’islamisation de l’école française. L’origine de la ministre Najat Vallaud-Belkacem a ainsi été mise en exergue : « L’Ayatollah, enquête sur la ministre de la rééducation nationale » (une de Valeurs actuelles, n° 4058, septembre 2014), « Une Marocaine musulmane à l’Éducation nationale, la provocation Vallaud-Belkacem » (une de Minute , 3 septembre 2014), ou encore pour Éric Domard, conseiller spécial de Marine Le Pen : « N ajat Vallaud-Belkacem ministre franco-marocaine pour les menus sans porc, favorable au voile lors des sorties scolaires. La question de l’allégeance se pose.  » La palme revient à SOS Éducation sur Twitter : « Votre enfant aime l’école ? Il est bon en par cœur ? Il a une passion pour les civilisations antiques ? Il aime lire beaucoup, il est doué pour l’écrit, il compte sans ses doigts ? Il préfère les bonnes notes au hip-hop ? Foi de Najat, ce petit enfoiré élitiste va morfler sa race. » (13 octobre 2015)

La réforme des programmes d’histoire a ainsi été l’occasion d’introduire un nouvel élément de langage, celui des « nouveaux arrivants ». Une expression, probablement inspirée de celle de « primo-arrivants », désignant les élèves allophones accueillis à leur arrivée en France dans des dispositifs d’accueil en parallèle de leur inclusion dans les classes dites « ordinaires ». Son détournement par quelques polémistes afin de dénoncer la « menace » que ces enfants feraient peser sur l’identité française flirte avec les théories du « grand remplacement ».

Pour Pascal Bruckner :

« on peut également s’étonner du choix de privilégier l’enseignement de l’islam par rapport à celui des Lumières ou du christianisme médiéval. À mon sens il ne s’agit pas d’un choix arbitraire, mais idéologique. Il y a sans doute ici […] un souci de plaire aux nouveaux arrivants en supprimant tout ce qui peut les heurter. […] On prive les Français de leur histoire ».

Atlantico

Dans un entretien au site néolibéral Atlantico, sous le titre apocalyptique : « Comment les nouveaux programmes scolaires préparent les guerres civiles françaises de demain  », Dimitri Casali* s’empare à son tour de la formule : « Ils affichent leur volonté de plaire aux nouveaux arrivants en supprimant tout ce qui peut les heurter : l’enseignement des racines chrétiennes et l’exercice de l’esprit critique si français. » Quand on sait que les « primo-arrivants » représentent 0,4 % des élèves scolarisés en métropole (0,8 % dans les territoires d’outre-mer), on constate une nouvelle fois combien l’ignorance des faits autorise ceux qui entendent donner des leçons à nourrir tous les fantasmes.

Bien entendu, on retrouve la source de ces propos dans la prose des sites identitaires qui se sont mis à dénoncer aussi bien les dispositifs d’accueil que les politiques d’éducation prioritaire qui « concernent déjà plus de deux millions d’allogènes » et qui « confirment la volonté délibérée et farouche d’instruire au mieux ces populations au détriment des autochtones, ceci afin d’accompagner le grand remplacement de population dénoncé par Renaud Camus ! Nous devons combattre avec force cette politique ‟assassine” destructrice de notre identité ! ». L’auteure de ce billet, Claude Meunier-Berthelot*, a publié C’est l’identité française qu’on assassine , un ouvrage dont Jean-Yves Le Gallou* – fondateur du Club de l’Horloge passé un temps au FN puis au MNR – a rédigé la préface sous le titre « L’École, instrument du grand remplacement ».

Mais est-on si loin de ces théories quand, dans l’un de ses bulletins, le Snalc dénonce « le programme d’histoire de sixième [qui] commence par un thème intitulé ‟la longue histoire de l’humanité et des migrations : une seule humanité”. Le message est clair. Il n’y a pas de nation, de culture propre, ni de France, ni d’Europe, mais une seule identité, l’humanité ».

Comme sur d’autres sujets, il n’y a pas unanimité au sein de la galaxie réac-publicaine. Danièle Sallenave déclarait :

« Ce n’est pas seulement l’école qui, en France, est menacée. C’est la France qui est menacée dans son école. C’est le pays, c’est la nation, c’est la République et ses institutions et, par-dessus tout, la justice sociale […]. Qu’est-ce qu’une école qui veut en finir avec l’idée de la progression, de la méthode, de la répétition, de la sanction ? Qu’est-ce qu’une école qui repose sur la délégitimation du rôle et de l’autorité de l’enseignant ? »

Elle avoue aujourd’hui qu’elle est

« effarée par le tour que prend la critique de la réforme. L’accuser de préparer une invasion de l’Islam par l’effacement de nos racines européennes et nationales, en faire un nouveau ‟Munich de l’esprit”, et le prodrome d’une ‟soumission” à ‟l’islamo-fascisme”, c’est du délire. Et un délire dangereux. »

Mais d’autres s’y retrouvent pleinement, comme Jean-Paul Brighelli :

« J’aimerais que les programmes d’histoire, dont j’ai décrit les horreurs, chantent et enchantent une France glorieuse, une France parlant français, une France rayonnante, une France des Lumières – et pas celle des communautés prêtes à s’entre-égorger. […] Toute mesure visant à minimiser l’entrisme islamiste, que ce soit dans la presse ou dans les programmes de l’école, s’apparente pour moi à une haute trahison. Il y avait à l’époque deux jeunes musulmanes qui faisaient parler d’elles à Creil. Il y en a aujourd’hui deux millions. Comme au jeu de go. Les pions noirs occupent l’espace. »

Les petits élèves français « ne sauront désormais plus rien, à part la date de l’Hégire ».

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Dans cette crispation identitaire, la défense de l’histoire de France occupe une place à part, d’autant que son instrumentalisation par l’institution est constitutive du projet nationaliste – et colonialiste – du père de l’école de la République. Depuis la tentative de réhabiliter « le rôle positif de la colonisation », l’offensive réactionnaire s’est radicalisée et s’efforce de réduire l’enseignement de l’histoire au seul « grand roman national ». « On a gommé tout ce qui faisait la fierté d’être français dans les livres d’histoire », déplore le « républicain » Laurent Wauquiez ; Jean-Paul Mongin, de SOS Éducation, considère que seul le retour de ce récit national peut sauver l’école : « L’histoire […], ciment de l’identité de notre pays […], doit permettre aux enfants d’origine étrangère de comprendre et d’aimer le pays qui les accueille. »

Enfin, selon Dimitri Casali :

« les concepteurs des programmes sont pétris d’une idéologie d’ultragauche pleine de bien-pensance mais éloignée de la réalité du terrain. […] Régie par un système dont les règlements ont été signés par Maurice Thorez en 1950, et qui accuse désormais soixante-cinq ans de retard, l’Éducation nationale n’est jamais sortie de ses vieilles idéologies marxisantes et anticolonialistes ».

De « provocations » en « dérapages », la rhétorique réac-publicaine donne à la querelle scolaire la tournure d’une guerre de civilisation contre « les nouveaux barbares ». La surmédiatisation du discours décliniste ne laisse souvent d’autre choix aux nombreux candidats à la « célébrité » que l’escalade verbale. Jean-Paul Brighelli s’en est fait une spécialité

 « Crétin, c’était gentil [référence au titre de son pamphlet La Fabrique du crétin ] . Aujourd’hui, ce sont des barbares que l’école fabrique. Les émeutes de banlieue, qui se reproduiront, me donnent raison. […] Nous avons laissé dégénérer une génération entière. »

Une surenchère qui ne garantit jamais de ne pas se faire déborder à son tour :

« Il est absolument évident que la fabrication de moutons, dénués de tout sens critique et au dialecte riche de 50 expressions de verlan […], est un phénomène majeur dans les démocraties-marchés où prolifèrent des barbares déculturés ainsi que des ignares imbus d’eux-mêmes voués à la consommation à forfait illimité, surfant de rave-parties en manifs citoyennes. »

Après le sabordage de l’histoire nationale, c’est la perte de toute maîtrise de la langue (en référence à l’étymologie du mot « barbare ») qui caractérise la déchéance du système éducatif… Là aussi, la surenchère est de rigueur :

« La langue maternelle paraît presque aussi étrangère aux jeunes Français de souche qu’aux primo-arrivants », assène Fanny Capel dans Qui a eu cette idée folle un jour de casser l’école ? (Ramsay, 2004). Même point de vue pour Loys Bonod* qui se présente sur son profil Twitter comme « professeur de français langue (de plus en plus) étrangère ».

Jean-Claude Milner l’avait prédit, enfermés dans les « collèges Pol-Pot », enrôlés dans les goulags du savoir animés par des « khmers rouges de la pédagogie », ces enfants sont les victimes d’un « génocide scolaire ». Incapables d’orthographier, d’écrire, de lire et même de parler, les élèves du collège unique sont les nouveaux barbares de notre époque, élevés dans la haine de la culture, du savoir, dans le culte de l’égalitarisme et de la démocratie permanente, l’école en a fait des individus ayant perdu toute humanité… Pour Alain Bentolila, les enfants en difficulté avec la langue orale ou écrite seront « moins humains que les autres ».

Derrière ce mépris de classe, ce qui inquiète ces défenseurs de l’ordre établi, c’est la possible « contamination » de leurs rejetons : « Ce rejet du savoir n’est plus seulement le fait d’élèves en situation d’échec scolaire, l’obscurantisme déborde du cercle des seuls enfants de milieu défavorisé . » Pour nous sauver d’un tel « naufrage », il faudra des victimes expiatoires, qu’à défaut de (ré)éduquer, on devra sélectionner, et surtout « contrôler » pour protéger les autres, les nôtres… En ouvrant le secondaire à toutes et tous, c’est la barrière dressée entre l’homme raffiné, civilisé et l’homme vulgaire et grossier que les « attila-pédagogues » ont fait céder.

Profs en territoires perdus de la République ?

C’est à la « fabrique » de ces « étrangers de l’intérieur » que le discours réac-publicain contribue. Revenant sur la diffusion du documentaire Profs en territoires perdus de la République  ? , les membres du collectif Aggiornamento-histoire-géo ont très justement décrypté et dénoncé ce discours « regrettable cas d’école : non seulement les élèves ne parlent jamais, ils n’ont aucune existence individuelle, pas de nom propre : ils sont totalement interchangeables, groupe homogène uniquement destiné à marquer ‟l’environnement”. Ils n’en constituent pas moins une altérité radicale, une sourde menace, comme nous le rappelle le sidérant raccourci de l’école au terrorisme djihadiste que constitue le prologue du film ».

L’école est ainsi devenue un champ de bataille où s’affrontent les civilisations. C’est précisément la conclusion de la pétition lancée par l’hebdomadaire Marianne contre la réforme du collège : « C’est un combat contre toutes les formes de barbarie. Il faut arrêter le gâchis pendant qu’il en est encore temps, pendant qu’il reste encore dans ce pays un amour commun pour la transmission et l’instruction. Qui ne voit pas ici que l’enjeu n’est pas politique : c’est un enjeu de civilisation ! »

Reste à savoir si c’est ce projet, celui d’une école « entre soi », une école de « souche » identitaire, « nationale » et « républicaine » que nous devons nous résoudre à voir advenir.
Grégory Chambat