Le nationalisme version Maurras (dossier sur l’AF, 2e partie)

Les antifascistes bordelais du Pavé brûlant poursuivent leur travail de fond sur l’Action française. Après un premier et copieux dossier sur la place de l’AF dans l’extrême droite française, voici, dans un second dossier non moins copieux, une analyse de leur vision du monde et de leur ligne politique. Nous vous en proposons un premier extrait, consacré à leur conception du nationalisme à travers le prisme maurrassien.

Comme souvent chez les maurrassien.ne.s, les concepts de leur chef (dont ils vantent la subtilité théorique, prétendant ainsi se démarquer de l’extrême-droite bourrinne) se révèlent à l’analyse particulièrement vulgaires. C’est précisément le cas du concept de nation, dont nos cher.e.s camelot.e.s font aujourd’hui la promotion – illes parlent même de « nationalisme intégral », pour bien montrer leurs muscles.

af-12-mai-2013-paris
Manif de l’AF, mai 2013, Paris

Quelle est la nature de cette nation maurrassienne ? pour répondre à cette question, plongeons-nous dans les écrits du Maître (exercice souvent éprouvant) : il ne faut pas longtemps, alors, pour découvrir que la nation doit être assimilée à… une cité fortifiée.

chfort
La société rêvée par Maurras et ses rejetons…

Des murs, des armes, des chefs à l’intérieur, voilà ce que nous promettent les royalistes de l’AF biberonnés aux thèses de leur père fondateur. Dans un des textes particulièrement funky que ce dernier consacre à la question de la nation, on sent partout surgir la peur de l’autre, le danger de l’intrusion, la menace de l’étranger. Une sorte de paranoïa délirante suinte à chacune des lignes de ce qui constitue la rêverie nationaliste des camelot.e.s du Roy.

Ainsi, ce qui pour Maurras constitue la condition de possibilité de la communauté humaine, prototype de la nation, c’est le rempart : ce n’est qu’une fois celui-ci érigé que les hommes pourront devenir amis. « L’ennemi repoussé, l’ami est rapproché : il devient possible à la société qui se forme de se sentir et de s’écouter vivre »   (toutes les citations sont extraites de Maurras, « la Nation », chapitre III, in Œuvres capitales, Essais politiques, coll. Textes politiques, Paris : Flammarion, 1954.) . Et Maurras de s’extasier devant le spectacle d’une société mise à l’abri derrière des « palissades à créneaux garnis d’hommes d’armes », dont la concorde sera en outre assurée par « une action régulatrice de chefs puissants »… Garde à vous ! accourez derrière les murs hérissés de lances et de canons ! et vous aurez une vie paisible et fraternelle.

fredericleplay-265x300
Frederic Le Play, maître à penser des nationalistes au début du XXème siècle.

Hélas ! à peine le petit Maurras, casque à pointe sur la tête et doigt sur la gâchette, a-t-il eu le temps de se réjouir, que détournant son regard des ennemi.e.s extérieur.e.s, il découvre, horreur ! que des loups se baladent dans sa propre cité ! Un ennemi intérieur, donc, qui met en danger sa chère civilisation tout juste constituée. Qui est ce nouvel ennemi ? On vous laisse le plaisir de le découvrir dans cette citation hallucinante : « Tout semblait donc devoir jouer d’accord. Mais non. Le Play l’a bien vu, une sauvagerie innée est propre à la Cité : c’est l’enfant. L’enfant sauvage. Par lui, la bergerie humaine s’ouvre périodiquement à des troupes de petits loups […] »

Dans la cité rêvée de Maurras, on a donc, à l’extérieur des murs fortifiés, des loups adultes, qu’il faut avoir repoussés pour devenir entre soi ami.e.s, et à l’intérieur, des petits loups, des gamins quoi. Tremblez, bourgeois ! la marmaille entre dans la bergerie. Nos cathos intégristes, qui voient le Mal partout, considèrent que l’enfant porte en lui cette part non-civilisée, mauvaise de la nature humaine – pas étonnant que Maurras, dans sa détestation de la fraicheur juvénile, déteste Rousseau !

Mais heureusement, ajoute Maurras, ces monstres en culotte courte ne sont que des «  loups nains, et (merveille d’un ordre qu’il faut dire divin), ils sont aussitôt accueillis par l’appareil d’une communauté de géants qui, toute formée, les apprivoise et les dompte ». Soupir de soulagement : à naître dans une caserne géante, sous la domination de chefs puissants, les petits-d’homme ne risquent pas de la ramener bien longtemps – ils seront dressés.

Mais comme chez Maurras une menace en remplace toujours une autre, les centres de dressage ne suffiront pas à sauver définitivement la belle Nation, car un autre danger la guette : l’incapacité des pauvres à se satisfaire de leur sort, et leur propension à se retourner contre leurs maîtres – la lutte des classes, quoi. Dans une Cité, « la querelle de ses riches et de ses pauvres » fait horreur à Maurras, qui n’est pas loin, avec Ernest Renan, de « désespérer de tout peuple où la question sociale se pose de façon trop aiguë » – qu’en termes raffinés ces horreurs-là sont dites ! C’est que, pour Maurras, les prolétaires exigeant la justice sociale se rendent coupables, par les dissensions qu’ils provoquent, d’organiser le suicide collectif de la belle Nation, quand le progrès véritable consisterait à cultiver et développer une «  amitié désirable entre les ouvriers prolétaires et les capitalistes propriétaires ».

leoxiii-237x300
Léon XIII, mépris de classe et sourire satisfait sous les dorures du Vatican.

Pour disqualifier la colère des pauvres et donc justifier cette amitié désirable au cœur de la Nation, Maurras ne trouve rien de mieux à faire que d’établir l’inégalité entre les hommes : « l’inégalité est bonne en soi »   écrit-il doctement, de sorte que « les pauvres ont besoin des riches » comme les enfants ont besoin de « parents plus grands, plus habiles, plus forts qu’eux ». Ici, le mépris de classe et le paternalisme de Maurras sautent aux yeux : si les pauvres sont pauvres, c’est qu’ils sont comme des enfants, moins grands, moins habiles et moins forts que les propriétaires capitalistes ! Citant avec gourmandise « il pappa cesareo » Léon XIII, pour qui « la division en classes inégales fait à coup sûr le caractère des sociétés bien organisées », Maurras n’a que haine pour « le juif Marx » (ce texte date de 1952, et Maurras, qui n’a pas bien digéré sa compromission avec le régime de Vichy, a encore des accès de rots antisémites), un Marx coupable d’avoir voulu liguer les pauvres de tous pays contre leurs propriétaires respectifs – ce qui, on l’aura compris, est une absurdité : dans la maisonnée nationaliste, les enfants doivent chérir leur pater familias !

Voilà donc le type de société que nos royalistes bordelais.e.s, en faisant la promotion du nationalisme, nous proposent : une immense cité fortifiée, où l’ amitié ne pourra fructifier que sous la menace de l’ennemi, où les enfants devront être perçus comme des loups et dressés en conséquence, et où les pauvres devront apprendre à aimer leurs maîtres. Tout cela donne terriblement envie.
Lire le dossier intégral ici,
ou attendre la parution de la suite sur La Horde