Le meurtre de Clément Méric

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Le 5 juin 2013, Clément Méric, antifasciste âgé de 18 ans, a été agressé par un skinhead nazi à Paris. Cet acte s’est déroulé un après-midi dans le 9ème arrondissement, dans le quartier Haussmann-Saint-Lazare. Au milieu de la ville. Clément était venu de Brest à Paris pour suivre des études de sciences politiques à l’Institut de Sciences Politiques de Paris, et s’y est engagé dans divers groupes politiques de gauche. Son meurtrier s’appelle Esteban Morillo, il est âgé de 20 ans et est venu de Picardie pour s’installer à Paris. Déjà dans son village d’origine, il se comportait en nazi. Il appartient à la mouvance « Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » et de « Troisième Voie », sous la direction de Serge Ayoub.

Interview avec Fred Alpi, de Paris. Fred Alpi est membre du groupe « The Angry Cats », et connu pour avoir été membre du groupe de Street-Punk anarchiste « Brigada Flores Magon ». Il est membre de la CNT, anarcho-syndicaliste, dont Clément a également été proche.

Azzoncao : Salut Fred, décris-nous ce qui s’est passé mercredi dernier à Paris.

Fred : Clément se trouvait avec quelques amis dans un magasin. Il y avait une vente promotionnelle de vêtements Ben Sherman, qui sont des vêtements traditionnellement portés par les skinheads. Clément n’était pas un skin, mais aimait ces vêtements. Ils sont tombés sur un groupe de nazis. Ceux-ci ont reconnu Clément, qui a notamment participé à des rassemblements antifascistes contre les manifestations réactionnaires et homophobes qui ont eu lieu ces dernières semaines.

Azzoncao : Qui étaient ces nazis ? À quelle mouvance appartenaient-ils ?

Fred : Ces nazis appartenaient à la mouvance « Troisième Voie/Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires ». C’est le groupe de Serge Ayoub, une figure connue des skinheads nazis en France.

Azzoncao : Comment la Police et les autorités ont-elle réagi ?

Fred : Les agresseurs ont très rapidement été arrêtés par la Police. En peu de jours. Cinq d’entre eux sont toujours en prison.

Azzoncao : Selon l’enquête, ce n’est pas le choc contre un poteau métallique qui a tué Clément. Mais les fractures, dues aux coups qu’il a reçu au visage. Ces coups ont du être extrêmement violents. On dit qu’Esteban Morillo aurait frappé avec un poing américain. Malgré tout, il est inculpé d’homicide involontaire plutôt que d’homicide volontaire. Comment peut-on expliquer cela ?

Fred : Dans une bagarre, tout va toujours très vite. Et peut-être qu’Esteban Morillo ne voulait pas vraiment tuer Clément, seulement le blesser. Personne ne le sait pour l’instant. Un poing américain est une arme dangereuse. Esteban était physiquement bien plus fort que Clément. L’usage d’un poing américain est vraiment une lâcheté.

Azzoncao : Comment as-tu appris la nouvelle ?

Fred : J’ai reçu un SMS, et me suis immédiatement rendu avec des amis à l’Hôpital.

Azzoncao  : Comment les camarades de la CNT, des groupes antifas, les étudiants et les personnes qui militaient avec Clément ont-ils réagi ?

Fred : C’est un choc pour tout le monde. Il y a eu une vague de sympathie et de solidarité. Des manifestations spontanées se sont organisées très rapidement. Ainsi qu’un concert de solidarité, afin de récolter des fonds de soutien.

Azzoncao : Qu’y a-t-il eu comme manifestations et actions ?

Fred : Le lendemain, sur le lieu où Clément a été agressé, l’Action Antifasciste Paris-Banlieue a organisé un rassemblement. Il y en a eu un autre, organisé par d’autres organisations de gauche, à Saint-Michel. Puis le samedi, il y a eu une manifestation très importante, et un concert qui a suivi.

Azzoncao : Quelles ont été les réactions dans les médias et de la part des politiques ?

Fred : Ils ont présenté un spectacle dont le thème était renvoyer l’extrême-gauche et l’extrême-droite dos à dos. Mais aussi que tous les skinheads sont mauvais et dangereux. Ça a surtout été le fait des medias et partis politiques conservateurs. Serge Ayoub, le leader de l’organisation nazie, a été partout invité et interviewé. Il a pu étaler ses mensonges avec beaucoup de complaisance. Certains skinheads antifas ont également participé à ce spectacle, ressassant de vieilles légendes des années 80 afin que la visibilité médiatique les mette en lumière. Quelques médias ont toutefois cherché à mieux comprendre le contenu politique des groupes antifascistes. Mais cela ne durera pas longtemps. Le gouvernement a demandé la dissolution des groupes Troisième Voie et Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires, ce qui contente la plupart des observateurs.

Azzoncao : De nombreux partis d’extrême-droite, comme le Front National de Marine Le Pen, se sont très vite distanciés d’Esteban Morillo et de l’agression. Mais on pouvait toutefois trouver deux jours plus tard des appels à la solidarité envers le meurtrier sur Internet. Notamment de la part des nationaux-révolutionnaires, qui reprennent des thématiques de gauche en étant d’extrême-droite. Peux-tu nous parler de cette scène dans laquelle Morillo évoluait ?

Fred : Les membres de « Troisième Voie » et des « Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » travaillent depuis des années main dans la main avec le Front National. Mais cela doit rester caché. La stratégie de Marine Le Pen, cheffe du Front National, est de faire apparaître son parti comme respectable. Et de présenter une image conservatrice sérieuse, sans les bastonneurs d’extrême-droite. La réalité est que les nazis issus de ces groupes secondent le FN, en collant des affiches ou en assurant la sécurité des manifestations qui y sont liées.

Azzoncao : Il y a plusieurs groupes d’extrême-droite interdits maintenant. Qu’en penses-tu ?

Fred : Cela ne règle pas le problème de fond. La pensée fasciste nourrit depuis des années tous les programmes politiques des partis conservateurs ou socio-démocrates. Notamment l’islamophobie et le racisme anti-roms. Quant aux groupes dissous, ils se reconstituerons sous une forme ou une autre avec un nom différent.

Azzoncao : Il y a eu ces dernières temps en France une vague de violences d’extrême-droite liées à la campagne contre le mariage pour toutes et tous. Peux-tu en dire plus à propos du climat que ce mouvement a instauré en France ?

Fred : Le problème est que ces positions réactionnaires ne sont pas le seul fait de l’extrême-droite. Mais aussi des partis conservateurs classiques, qui utilisent ces thèmes comme propagande et comme programme. Le gouvernement social-démocrate fait la même politique économique que celle que Sarkozy a menée. Afin de se différencier de cette politique conservatrice basée sur l’exploitation menée par les socio-démocrates, les partis conservateurs s’alignent de plus en plus sur les positions d’extrême-droite. Et essaient de se positionner le plus à droite possible. L’Église Catholique a également largement financé cette campagne contre le mariage pour tous. Elle cherche a gagner de l’influence dans la société.

Azzoncao : Que se passe-t-il du côté de la gauche radicale face à cette évolution ?

Fred : Malheureusement pas grand-chose. Il n’existe pratiquement pas de programme ou de perspectives politiques. Peu de contact avec celles et ceux qui ont le plus besoin de liberté, d’égalité et de solidarité. Les chômeur-se-s, les travailleur-se-s pauvres, les mères célibataires, les homosexuel-le-s, les victimes quotidiennes de la violence raciste, etc… Les temps sont difficiles pour la gauche radicale.

Azzoncao : Peux-tu nous en dire plus sur Clément ? Qui était-il ?

Fred : Clément avait à peine 18 ans, mais était déjà très intéressé par la politique. C’est pour mener des études en sciences politiques qu’il s’était installé à Paris. Il était végétalien et anarchiste. Il aimait la musique, surtout le punk et le ska. Il avait eu une leucémie, qu’il avait combattue et vaincue. C’était tout sauf un hooligan. Mais il était courageux. Il était souvent présent aux manifestations, auxquelles il participait au premiers rangs. Clément était le contraire d’un frimeur, comme on en rencontre malheureusement chez nous aussi. Lorsqu’il habitait Brest, il était membre de la CNT. À Sciences Po Paris, il n’y a pas de section CNT pour les étudiants. Il a rejoint le syndicat SUD. Il était également membre de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue.

Azzoncao : Il y a eu en Europe un grand mouvement de solidarité, que ce soit en Angleterre, Espagne, Grèce et d’autres pays encore, afin de protester contre ce qui s’était passé en France. Comme les analyses-tu ?

Fred : Clément est devenu un symbole. Symbole de la violence du fascisme. La violence est le seul argument que connaisse l’extrême-droite afin d’empêcher les gens de se mobiliser. Pour les fascistes, il est insupportable que des gens résistent afin d’être libres, ou pour aider d’autres à l’être. Les fascistes ont une mentalité d’esclaves. Clément est un camarade pour toutes celles et ceux qui aiment la liberté. C’est pour cela qu’il est mort.

Azzoncao : Merci pour cette interview. Transmets nos sentiments et notre solidarité à la famille de Clément et aux camarades de Paris.
 Interview publiée en allemand ici : https://syndikalismus.wordpress.com/2013/06/14/der-mord-an-clement-meric/( traduction Fred Alpi )

Medias :

Agression mortelle

http://www.bnr.de/artikel/aktuelle-meldungen/toedliche-schlaege

Esteban Morillo :

Esteban, itinéraire d’un jeune extrémiste

http://www.parismatch.com/Actu/Societe/Esteban-itineraire-d-un-jeune-extremiste-517984

Clément Méric : ¿Quién es Esteban Morillo ? (Fotos)

http://www.melty.es/clement-meric-quien-es-esteban-morillo-fotos-a132479.html

En français :

La Horde : http://lahorde.samizdat.net/

Action Antifasciste Paris-Banlieue :

http://www.facebook.com/pages/Action-Antifasciste-Paris-Banlieue/126207707507571

Qui est Esteban l’agresseur présumé de Clément Méric

http://www.youtube.com/watch?v=4cVvJIsOhOU