Le danger de l’apolitisme : Na ruz na gwenn, loukez hepken !

Un lecteur nous a envoyé ce texte intitulé "Na ruz na gwenn, loukez hepken !"  [1] qui analyse, à travers quelques exemples, le prétendu apolitisme qui sert souvent à l’extrême droite pour se placer au-dessus de la mêlée et profiter de la défiance largement partagée (et justifiée !) à l’égard de la classe politique.

Nous vivons une époque paradoxale, où tout devient à la fois plus simple et plus compliqué. En politique, la complexité du monde contemporain, qui a perdu la simplicité des affrontements idéologiques binaires de la Guerre Froide, brouille, voire efface et balaie, les repères traditionnels. Face à cette complexité, les dangers de la simplification ressurgissent. Les théories du complot donnent ainsi l’impression de tout comprendre du passé et du présent à travers un élément artificiellement exagéré, voire complètement inventé, comme le complot juif mondial, que l’on trouvait déjà dans la propagande nazie et qui aujourd’hui est mis en avant par Soral et Dieudonné. L’apolitisme est un danger comparable au complotisme, ces deux phénomènes conduisent d’ailleurs tous deux très souvent à l’extrême droite.

L’apolitisme, c’est l’idiotie qui consiste à dire « on ne fait pas de politique » dans un mouvement, un camp ou un rassemblement politique. Ce phénomène est grandissant dans notre époque de crise de légitimité profonde des institutions républicaines – ce qui n’est d’ailleurs pas pour nous déplaire. Le problème reste que, sur des individus qui manquent de repères, d’habiles manipulateurs et communicants – pléonasme – comme Soral ou Le Pen, créent la confusion entre ce qui est apolitique et apartisan.

Ce qui est apartisan est simple et louable : c’est refuser que des mouvements sociaux et politiques soient récupérés par des partis. Ce qui est apolitique n’est que manipulation, car lorsque un groupe tente de faire avancer des idées, de changer les choses, c’est de la politique. C’est donc pour camoufler leurs idées que certain-e-s mettent en avant l’apolitisme.

Pour illustrer cela, un exemple français et un exemple breton. En France, le FN tente de récupérer tous les mécontents qui ne « croient plus en la politique », donc tenté par l’apolitisme, alors qu’en vérité ils « ne croient plus les politiques », c’est-à-dire la caste politique de l’aristocratie républicaine : le FN cherche ainsi à adopter une posture anti-système, alors qu’il fait lui-même parti de cette caste. C’est pourquoi le FN refuse de se dire de gauche ou de droite, et encore moins d’extrême droite : une façon de faire accepter son idéologie ultraréactionnaire par celles et ceux qui ne sont pas ouvertement racistes, xénophobes, antisémites, etc., et ne veulent pas « faire de politique ».

Autre exemple, lors de la manifestation des bonnets rouges de Carhaix le 30 novembre 2013, un cortège de l’Union Démocratique Bretonne – gauche autonomiste bretonne – scande : « la Bretagne au cœur, le cœur à gauche ». Non loin d’eux, un petit groupe de quadragénaires, l’air quelque peu déstabilisé par l’arrivée de ces affreux gauchistes viennent les engueuler, et dans une scène bien pittoresque (ils ne sont n’est pas loin d’en venir aux mains), sous prétexte que dans ce mouvement « on ne fait pas de politique ». On peut mettre ses deux mains à couper que ces individus « qui ne voulaient pas faire de politique » étaient de droite ou d’extrême droite, et qu’ils survivaient dans l’environnement du mouvement breton qui leur est hostile en se servant de l’apolitisme comme camouflage…

Quelques individus et quelques groupes ont dans le passé mis le mouvement breton en péril du fait de l’apolitisme. Après mai 68, avec Morvan Lebesque, l’Armée Révolutionnaire Bretonne, Alan Stivell, Plogoff et toute une nouvelle génération de militant-e-s, on pensait le problème résolu par un engagement breton qui s’affichait sans aucune retenue de gauche. Comme l’explique Morvan Lebesque dans différents écrits, c’est une suite logique qui apparait des expériences passées du mouvement breton. Il dit ainsi que la droite en Bretagne, agit toujours en conscience pour la France et l’Etat français, même quand elle revendique des actions pour la Bretagne. Ces actions ne sont d’ailleurs rien d’autre qu’une gentille reconnaissance de la « petite partie », de la défense du terroir, pour ne revendiquer qu’une « Bretagne vitrine » qui fait accepter la colonisation dans l’identité folklorisée des jours de fêtes. Toute ressemblance avec le patriotisme français exacerbé et le provincialisme romantique du régime de Pétain n’est en rien fortuite !

A l’inverse, ceux qui, en conscience, agissent pour la Bretagne et contre l’Etat français le font dans une rhétorique de gauche, pour lutter contre cette haute forme d’aliénation qu’est l’assimilation. Celle-là même qui est défendue conjointement, sur le plan économique par le capitalisme qui veut faire de tout humain une abstraction consommante, et sur le plan politique par l’Etat français qui ne veut fabriquer que des abstractions citoyennes dénuées de leurs réalités, et donc de leurs droits. Face à cela, la gauche révolutionnaire combat ces deux phénomènes au profit de la liberté individuelle et collective qui respecte l’humain et l’humanité dans sa diversité. C’est en cela que le mouvement breton commence – et se doit toujours de commencer – la où s’arrête le régionalisme bisounoursien des notables, pour laisser place aux idées révolutionnaires. Aux militant-e-s donc, d’afficher clairement leurs identités politiques, même si cela rejoint aussi une idée anarchiste de remise en cause des partis, car ce n’est en rien antinomique.

Il reste encore beaucoup d’idoles et de masques à faire tomber, celui de l’apolitisme en est un. Pour s’enrichir mutuellement, pour stimuler nos luttes et nos débats, il faut sans complexe afficher nos identités, qu’elles soient politiques, ethniques ou culturelles. A l’opposé de cette vision humaniste se trouve l’extrême droite, elle avance d’autant plus vite que de nombreux individus tombent dans le piège de l’apolitisme. C’est donc aussi un des aspects de la lutte antifasciste que de constamment le remettre en cause, pour révéler au grand jour l’identité des partis, groupes et groupuscules d’extrême droite ; afin d’avertir autrui de ce qu’ils sont, mais aussi afin de mieux les connaitre, les combattre et les détruire.
Douar ha Frankiz

Notes

[1En français : ni rouge ni blanc, idiot seulement ! Détournement du slogan que certains militants bretons tenaient pour devise de leur apolitisme : Na ruz na gwenn, breizhad hepken, ni rouge ni blanc (ni de droite ni de gauche), breton seulement.