L’antifascisme face à la répression depuis le début des années 2000

L’incarcération de militants antifascistes (et désignés comme tels) la semaine dernière, et surtout sa surmédiatisation et son instrumentalisation par le pouvoir en place, doit nous faire réfléchir à la question de la répression et de la criminalisation de notre mouvance. Alors qu’on apprend que le témoignage "anonyme" sur lequel repose l’arrestation de nos camarades est en réalité celui d’un policier chargé du renseignement à la préfecture de  Paris, et que l’arbitraire semble avoir dominé dans cette affaire, il n’est pas inutile de revenir sur quelques autres affaires dans lesquelles des antifascistes autonomes se sont retrouvéEs confrontéEs à la répression pour des raisons politiques.

Dans les années 1990, alors que le Front national connaissait une forte progression de ses scores électoraux et qu’il avait réussi à mettre la main sur plusieurs mairies de villes moyennes, l’antifascisme, qu’il soit républicain ou radical, apparaissait comme une composante légitime du paysage politique français. Il n’était pas rare de voir des affrontements lors des déplacements électoraux de candidats FN, affrontements n’impliquant pas que des militants mais aussi souvent, la population du quartier (cf. caravane électorale de Martine Lehideux pour les législatives de 1997 à Paris). De son côté, Jean-Marie Le Pen, secondé il est vrai du DPS, le service d’ordre du FN, ne rechignaient pas à faire le coup de poing, comme à Mantes-la-Jolie le 30 mai 1997. À cette époque, l’opposition à l’extrême droite, quand bien même elle prenait la forme d’une opposition physique à la présence de ses représentants, n’était pas systématiquement suivie d’une répression féroce.

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Pétition anti-antifa du Front national (avril 2016).

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : non seulement la répression sanctionne les antifas quand ils osent s’opposer véritablement à l’extrême droite, mais, plus significatif, l’opposition concrète à l’extrême droite est présentée comme un reflet de la violence d’extrême droite (renvoyant ainsi racistes et antifascistes dos à dos), voire comme une atteinte à la liberté d’expression (le racisme, le sexisme ou toute autre forme de discours discriminant devenant une opinion parmi d’autres). "L’antifa" est alors présentéE comme une menace pour l’ordre public, réduitE à sa seule dimension violente, sans plus aucune considération pour son engagement militant et le projet qu’il ou elle défend. Régulièrement, le Front national demande ainsi la dissolution des groupes antifas, présentés systématiquement comme des "milices", dans une jolie inversion sémantique des rôles.

Or, contrairement à ce que les médias ont voulu nous faire croire lors de la mort de notre camarade Clément Méric, l’antifascisme autonome d’aujourd’hui ne peut être réduit aux pratiques des bandes de la fin des années 1980, mais se situe dans la continuité de l’antifascisme radical des années 1990 et 2000, à savoir une lutte non seulement de résistance mais d’émancipation sociale. Si l’on met de côté les actions revendiquées FTP à Marseille à la fin des années 1990, qui s’inscrivaient dans un contexte local particulier, l’antifascisme radical n’a pas fondamentalement changé dans ses modes d’intervention depuis cette époque : déterminé et défensif, mais avant tout politique et solidaire.

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Or, on ne peut que constater que depuis le début des années 2000, avant même l’apparition de l’Action Antifasciste Paris-Banlieue, la répression frappe plus fortement les militants antifascistes. On peut ainsi rappeler la condamnation de quatre militants qui s’étaient opposés à la propagande homophobe du Bloc Identitaire en juin 2004 sur le marché du Cours de Vincennes à Paris à 4 mois de prison avec sursis et à de forts dommages-intérêts ou encore celle de deux autres militants opposés en décembre 2004 à SOS Tout-Petits à 2 mois avec sursis et 800 euros de dommages-intérêts le 13 septembre 2006. Suite à la venue à Toulouse de Jean-Marie Le Pen le 25 mars 2007, douze personnes furent arrêtées et 5 condamnées à de la prison ferme : les peines allant de 3 à 9 mois. En septembre 2008, en deux jours, à Paris et en banlieue parisienne, on compte trois cas de mise en garde à vue pour des durées allant de 24 à 36 heures, et deux perquisitions de domicile avec de forts déploiements policiers, au prétexte que ces trois personnes sont soupçonnées d’avoir participé à des actions antifascistes au cours du mois de mai 2008, ayant permis d’empêcher coup sur coup une manifestation où se retrouve la fine fleur des fascistes français et un meeting du groupuscule néofasciste des Identitaires. Ce genre d’opérations policières avaient d’ailleurs déjà été menées un an auparavant à Lille, et à Limoges et Bordeaux. Depuis, on ne compte plus les gardes à vue et arrestations qui concluent les actions antifas, en particulier en région parisienne, mais aussi ailleurs, à Clermont-Ferrand par exemple.

Old School

Cette répression de la part de l’État ne concerne bien entendu pas que les antifascistes, car elle s’inscrit dans un mouvement plus général visant à empêcher de toute forme de contestation sociale qui sorte un tant soit peu des formes généralement admises, comme les manifs sauvages, les actions d’occupation ou d’auto-réduction, etc. Mais on peut lui trouver des facteurs d’explication propres. En effet, l’antifascisme comme question politique « légitime » a disparu à partir de la scission du Front national en 1999. Tout au long des années 2000, l’essentiel des antifascistes républicains, dont l’action se limitait à appeler à des fronts républicains afin de faire barrage au FN dans les urnes, y ont vu la fin du danger que représentait l’extrême droite ; alors que pour nous, antifascistes radicaux, non seulement le FN bougeait encore, mais surtout, ses idées continuaient à se diffuser dans le corps politique et dans l’opinion, relayées en particulier sur les réseaux sociaux alors en plein essor, tandis que l’extrême droite radicale se réorganisait et avançait sous de nouveaux masques.

Pire, dans les années 2010, le Front national s’est redressé et surtout s’est normalisé, le travail de "dédiabolisation" mené par Marine Le Pen avec la bienveillance des médias ayant atteint son but : désormais, il n’ y aurait plus de raison de vouloir lutter contre l’extrême droite et ses idées autrement que dans les urnes, et il est donc possible de réprimer les militants antifascistes autonomes sans grand risque de choquer l’opinion. Le nationalisme exacerbé, le racisme décomplexé seraient devenus des opinions comme les autres, qu’il conviendrait de respecter : quiconque voudrait s’y opposer frontalement serait montré du doigt comme un "fasciste" ! La perspective des élections présidentielles de 2017, avec la présence très probable de Marine Le Pen au second tour, ne change pas fondamentalement la donne, puisqu’elle réduit la question de la lutte contre l’extrême droite à une question électorale. Face au FN, le PS, tout comme les Républicains, auront certainement le culot de se présenter comme un rempart "antifasciste", et surtout d’accuser celles et ceux qui dénoncent leurs politiques antisociales et racistes de "faire le jeu du Front national"…

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Alors que l’extrême droite est désormais aux portes du pouvoir, elle représente, du fait de l’institutionnalisation du FN, de la multiplication de ses structures et de sa capacité à se fondre dans le paysage, un risque indéniable. Les antifascistes doivent ainsi à la fois continuer à alerter l’opinion sur le danger qu’elle représente et à réfléchir à des formes d’autodéfense efficaces, tout en veillant à ne pas se laisser prendre au piège de la répression, qui est pour l’État le plus sûr moyen à la fois de décourager les militantEs, mais aussi de les occuper en les obligeant à dépenser du temps et de l’énergie à organiser la solidarité.

La Horde