L’antifascisme, ce sont les antifas qui en parlent le mieux

MILI

Un article mise en ligne avant-hier sur LCI nous explique « qui sont les antifas » : son contenu, à l’image du média qui l’a publié, est affligeant, sur le fond comme sur la forme. Encore plus navrant, les propos tenus par les deux historiens interrogés témoignent d’une méconnaissance de l’antifascisme français contemporain. C’est d’autant plus regrettable qu’ils se permettent de porter des jugements à l’emporte-pièce et de reprendre les clichés les plus éculés sur notre mouvement : le MILI, cité dans l’article, y a déjà très bien répondu (voir image ci-contre), et voici, en complément, notre rappel de ce qu’est l’antifascisme autonome et son histoire récente.

L’article, pompeusement intitulé « enquête » mais probablement écrit en une demi-heure, est un tel tissu d’approximations et d’âneries qu’il est probable que le « journaliste » s’est contenté de deux ou trois clics sur Google, et n’a visiblement pas bien digéré tout ce qui lui ont dit les « experts » qu’il a contactés. Mais quand bien même : interroger quelqu’un comme Gilles Vergnon sur l’antifascisme contemporain est assez cocasse, quand on sait que son ouvrage L’antifascisme en France , un peu vite sous-titré « de Mussolini à Le Pen », consacre 7 pages sur 234 (!) aux trente dernières années de ce mouvement (soit de 1984 à 2002, un tiers de la période totale étudiée, qui démarre en 1922). Normal, car il connait visiblement très mal l’antifascisme contemporain, du moins dans sa version autonome, pourtant très dynamique sur cette période. Estimant que seul un antifascisme « républicain » est légitime, Vergnon ne digère peut-être pas les critiques faites à la social-démocratie qui semble avoir sa préférence, et il est en tout cas incapable de voir et surtout d’accepter que l’antifascisme a évolué, s’est adapté à l’époque dans laquelle il évolue : pas un mot donc sur l’antifascisme radical des années 1980-1990, sur les campagnes menées à cette époque par les mouvements antifascistes contre les politiques sécuritaires ou avec les luttes de l’immigration, tout en se mobilisant contre l’extrême droite, mais sans être dupes non plus de l’hypocrisie de la morale antiraciste version PS. On lui conseillera donc la lecture de l’ouvrage collectif Comme un Indien métropolitain , aux éditions No Pasaran, qui lui permettra de combler ses lacunes, et lui évitera peut-être à l’avenir de dire des bêtises.

On reconnait bien volontiers qu’il manque aujourd’hui à ce mouvement un cadre collectif, des campagnes communes, davantage de communication entre les groupes : mais en déduire qu’il s’agit d’« une mouvance ultra qui utilise le terme ’antifa’ pour développer des positions qui relèvent soit de l’anarchie radicale, soit de l’ultra-gauche » c’est vraiment de la calomnie, car il ne s’agit pas d’instrumentaliser un terme historique, ou, comme le dite l’article « un moyen d’attirer un autre type de public  », mais de s’inscrire dans une continuité, et nous avons tout la légitimité pour le faire, car notre antifascisme est bien plus sincère que celui de ces sociaux-démocrates qui viennent nous faire la leçon mais qui pour barrer la route à l’extrême droite n’ont rien trouvé de mieux que d’une part instrumentaliser l’antifascisme en période électorale, et d’autre part appliquer une partie de son programme une fois arrivés au pouvoir.

Enfin, l’article reprend deux idées reçues souvent utilisées pour dénigrer notre lutte : l’antifascisme présenté comme une lutte du passé et, bien sûr, la tarte à la crème de la violence. Nous avons déjà répondu aux deux, mais malheureusement, une piqûre de rappel semble nécessaire.

L’antifascisme, une lutte du passé ?

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Dans l’article de LCI, on peut lire : « faut-il arrêter d’utiliser le terme d’antifascisme pour autant ? "Oui", répond sèchement Gilles Vergnon » ou encore, cette fois dans la bouche de Guillaume Origoni, dont les travaux portent sur les années de plomb en Italie, et qui nous explique qu’être antifasciste et dénoncer le racisme d’État, « historiquement ça ne tient pas debout car il n’y a pas de fascisme en France contre lequel on voudrait lutter » (sic). Puisque nous avons à faire à deux historiens, un peu d’histoire s’impose.

Avant les années 1930, les forces révolutionnaires refusent de reconnaître une autonomie politique au phénomène fasciste, considéré comme le stade final et nécessaire de la domination bourgeoise. Une fois le fascisme devenu incontournable, les sociaux-démocrates développent alors l’idée que, le socialisme étant la démocratie totale, la classe ouvrière doit soutenir la démocratie politique en place : face au fascisme, il faudrait avant tout renforcer la démocratie, et se contenter de réformer le Capital. Cinquante ans plus tard, c’est sur ces bases que se construit l’antifascisme républicain qui fait du combat contre le fascisme une lutte pour la démocratie en escamotant la critique de l’État. Pire, c’est en s’engouffrant dans les failles de ce même raisonnement que le Front national présente aujourd’hui ses détracteurs comme d’infâmes « fascistes », au prétexte que Marine Le Pen, elle, se présente aux élections.

Pour affirmer notre distance à l’égard de cet antifascisme républicain et pour être capable d’analyser l’extrême droite dans toutes ses dimensions, un antifascisme qui se respecte ne peut rester inactif face au racisme d’un État qui expulse tous les jours, face à la violence de sa police. Pour mener un antifascisme digne de ce nom, il faut que sa fin et ses moyens soient clairement replacés dans un projet global de changement social : la lutte antifasciste n’est pas qu’une lutte de résistance, mais une lutte émancipatrice, parce que nous nous donnons les moyens de résister au climat de peur que veulent instaurer les groupes d’extrême droite, et parce que nous proposons des alternatives en actes aux fausses solutions du discours nationaliste.

L’antifascisme, une lutte violente ?

fillette

Comme souvent, c’est par un habile renversement des rôles que celles et ceux qui ont tout intérêt à ce que l’antifascisme disparaisse posent cette question de la violence. Rappelons quand même que la violence de l’extrême droite est un élément constitutif de son identité et de son folklore, car c’est dans l’exclusion voire l’élimination des éléments « allogènes » qu’elle construit son discours identitaire ; c’est ainsi le reflet de sa vision du monde dominée par l’image de la guerre entre groupes « naturellement » antagonistes. Bien que cette violence de l’extrême droite soit peut-être parfois surestimée en France aujourd’hui, son expression concrète reste d’actualité, et de nombreux faits divers sont malheureusement là pour le montrer. Aussi, le recours à la violence est un mal nécessaire dans le cadre d’une lutte antifasciste qui se veut autonome. Car face aux agressions de groupes qui cherchent à installer un climat de peur dans les rues ou ailleurs, deux solutions : organiser l’autodéfense ou s’en remettre à l’État (et donc à la police) pour se protéger. Nous assumons le choix de la première solution, et nous nous donnons les moyens de nous défendre nous-mêmes. L’action violente n’est donc pas pour nous une fin en soi, mais bien une forme d’auto-organisation et de solidarité.

Mais c’est surtout face à la violence intolérable du discours de l’extrême droite, celle des pratiques discriminatoires qu’elle promet de mettre en place une fois au pouvoir (et parfois, répétons-le, déjà mises en place par les gouvernements successifs) qu’il faut réagir. Aussi, nous revendiquons également une forme d’intolérance face à l’extrême droite, car il faut lui signifier clairement qu’on ne la laissera pas s’installer et s’imposer, dans les rues ou ailleurs. Quant à la « liberté d’expression » revendiquée par l’extrême droite, ce n’est qu’un masque pour cacher son discours raciste et sexiste : nous n’en ne serons pas les dupes.

Nous n’attendons pas des médias comme LCI ou BFM qu’ils comprennent la nature de notre mouvement, les raisons de notre lutte, l’histoire dans laquelle nous nous inscrivons. En revanche, il est bien regrettable que des historiens, au lieu de se taire quand ils sont incompétents, se permettent de gloser sur un sujet (les « antifas ») qu’ils ne maîtrisent pas. Ce n’est malheureusement pas un hasard si c’est justement au moment où l’extrême droite se sent pousser des ailes, que nous nous retrouvons ainsi caricaturéEs et mépriséEs. À nous de rappeler d’où nous venons, qui nous sommes et ce que nous voulons, sans laisser les autres parler à notre place.
La Horde