Marine Le Pen a donc décidé de pousser hors de la maison Front national celui qui lui en a donné les clefs. Si, par sadisme, on peut se réjouir de voir se déchirer deux personnalités détestables par ailleurs, difficile de ne pas être frappé par l’absence de scrupule et l’ingratitude décomplexée de la présidente du FN, décidément prête à tout pour accéder au pouvoir, y compris à se débarrasser de son vieux père...

Le Pen, RTL, 1987

Le 13 septembre 1987, alors qu’il est question des négationnistes qui contestent l’existence des chambres à gaz, Jean-Marie Le Pen déclare sur RTL : « Je n’ai pas spécialement étudié la question, mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ». L’affaire fait du bruit, y compris au sein du FN, et restera pour des années LA preuve de l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen (condamné à un franc symbolique en septembre 1987 pour ses propos) et de son parti, et par conséquent son exclusion hors du champ « républicain ». Un an après, Le Pen en rajoute avec le jeu de mot « Durafour-crématoire », avec là encore une publicité sans précédent.

En janvier 1995, à l’occasion des 50 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, Le Pen observe sur TF1 une minute de silence à la mémoire des victimes de la Shoah, à la demande d’une journaliste du plateau. Mais il reparlera publiquement du « détail » des chambres à gaz en 1997, en 2008, en 2009… et donc le jeudi 2 avril 2015, d’abord sur RMC, puis sur BFMTV, précisant par ailleurs qu’il y a au sein du FN « de fervents pétainistes ».

Rivarol 09:04:2015

Aussitôt, Marine Le Pen affirme « son profond désaccord avec Jean-Marie Le Pen, tant sur le fond que sur la forme » et affirme ne connaître aucun nostalgique de Vichy dans son parti (!). Gilbert Collard, Florian Philippot, Nicolas Bay et même Marion Maréchal-Le Pen condamnent également les propos du président d’honneur, ce qui montre à quel point il est affaibli au sein du parti. Il y a cinq ans, quel nouveau venu au sein du parti [1] se serait permis de contredire le patron ? Il est vrai aussi que la perspective des régionales attise les convoitises, alors que « le vieux » s’était auto-proclamé tête de liste en région PACA. Enfin, cerise sur le gâteux, dans l’hebdomadaire pétainiste et antisémite Rivarol , le Menhir a tout le loisir de s’étendre, non seulement sur les nostalgiques de Pétain [2] mais aussi sur les trahisons de son propre camp [3]. Enfin, jeudi 9 avril, sur TF1, Marine Le Pen annonce « l’ouverture d’une procédure disciplinaire » contre son père, qui réplique en accusant sa fille de « se soumettre au système ».

Marine et Jean-Marie
Le baiser de la mort ?

Le népotisme de Jean-Marie Le Pen a suffisamment été décrié en son temps pour que chacun puisse s’en remettre à l’évidence : Marine Le Pen doit tout à son père. En 1997, Jean-Marie Le Pen propose de faire entrer Marine au Comité central : elle n’est pas élue, alors il l’impose comme son statut de président le permet. C’est encore lui qui crée spécialement pour sa fille, en 1998, un service juridique au sein du parti, avec un gros salaire à la clé, alors que, jeune avocate, elle peinait à trouver des affaires, et qu’il y avait déjà au FN des juristes autrement plus expérimentés. Ce poste lui permet, deux ans plus tard, au moment de la scission avec Bruno Mégret, de prendre de l’importance dans l’appareil, car une partie de la bataille entre les deux factions s’est déroulée dans les tribunaux. L’affaire des élections européennes de 1999 [4] rappelle d’ailleurs à tous ceux qui l’auraient oublié que le FN est avant tout une affaire de famille… En 2002, le président du FN laisse sa fille organiser sa campagne pour les élections présidentielles, ce qui lui permet d’éprouver son style, comme elle continuera à le faire à partir de 2003 avec Génération Le Pen. En 2004, Le Pen se débarrasse de Jean-Claude Martinez, un fidèle pourtant, mais qui occupait un sièges au Parlement européen (la seule instance, ironie du sort pour un parti aussi anti-européen, où le FN a des représentants), afin que Marine Le Pen puisse le remplacer… Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est que Marine Le Pen ne s’est pas fait toute seule ! Et une fois en place, et sans risquer les foudres du patron comme cela aurait été le cas pour n’importe quel autre prétendant à la succession, elle avait les coudées franches pour prendre le pouvoir au sein du FN.

Mais comme souvent chez les héritiers, les sentiments filiaux ne pèsent pas lourd face à l’appât du gain. Marine Le Pen doit bien pourtant à son père cette rente viagère politique que constitue le fait d’assumer, même du bout des lèvres, les provocations paternelles sans lesquelles elle ne serait pas, tous les matins en se rasant, en train de s’imaginer à la tête de l’Etat. Mais la loyauté et la décence ne sont pas de mise quand il est question de pouvoir... Il faut reconnaître à ce propos que le père avait montré la voie de l’indécence, en faisant de la mort de millions de gens un « détail » dans le seul but de faire parler de lui. Ne boudons pas notre plaisir de voir ce "bon mot" qui lui a ouvert les portes de la célébrité précipiter aujourd’hui sa chute.

Cependant, qu’on se le dise : Marine Le Pen se moque de la Shoah comme de l’an quarante. La preuve ? Quand ce sont des amis utiles et influents, et non pas encombrants comme son vieux papa, on la trouve prête à les défendre bec et ongles... Ainsi, quand Frédéric Chatillon est bras dessus, bras dessous avec le négationniste Faurisson, quand Axel Lousteau défile avec des nostalgiques de Vichy ou quand sa petite protégée Nathalie Pigeot exhibe de la vaisselle siglée SS, elle ne trouve rien à redire.

Chatillon, Faurisson, Le Pen

Sur son site officiel, Marine Le Pen avait publié un long texte sur « la liberté d’expression » pour défendre entre autres la tenue des spectacles de Dieudonné : mais quand des propos antisémites desservent ses intérêts et menacent sa possible arrivée au pouvoir, cette liberté de parole ne vaut soudain plus grand-chose ; Marine Le Pen veut simplement du passé faire table rase, quand bien même il faudrait pour cela pousser son père dans la tombe.
La Horde

Notes

[1Aucun des cadres cités n’était militant au FN avant 2010, à l’exception de Marion Maréchal-Le Pen, qui adhère en 2008.

[2«  Pour ma part, comme je l’ai déjà dit, je n’ai jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître. L’on a été très sévère avec lui à la Libération. Et je n’ai jamais considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l’estime pour le Maréchal. Ils ont selon moi leur place au Front national comme l’ont les défenseurs de l’Algérie française, mais aussi les gaullistes, les anciens communistes et tous les patriotes qui ont la France au cœur. » Rivarol , 09/04/2015

[3À ce propos, il déclare : « Les nouvelles générations qui n’ont pas connu la guerre sont plus perméables que les anciennes au discours médiatiquement dominant et à une vision manichéenne de l’histoire. »

[4Jean-Marie Le Pen, inéligible suite à une affaire de violence, impose sa femme Jany, inexpérimentée, pour le remplacer, alors que le n°2 du parti Bruno Mégret, aurait dû logiquement prendre sa place.