"islamo-fascisme", un concept bancal

Sur le site Fragments sur les temps présents, les politologues Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg analysent l’expression « islamo-fascisme », récemment utilisé, entre autres, par Manuel Valls. Si, pour Jean-Yves Camus, le caractère totalitaire de l’islamisme radical ne fait aucun doute, mais la référence au fascisme est " scientifiquement bancale " car ce dernier appelle à la création d’un homme débarrassé des "pesanteurs du passé", tandis que le premier renvoie au contraire à un retour aux origines. Nicolas Lebourg les rapproche comme étant deux organicismes, mais il rappelle aussi l’instrumentalisation islamophobe du terme et le fait qu’il repose sur une représentation fausse des phénomènes tant fascistes qu’islamistes.

Pensez-vous que l’expression “islamo-fascisme” employée par Manuel Valls soit adaptée à la situation ?
Jean-Yves Camus −  Il y a des termes qui peuvent paraître appropriés dans le langage politique mais qui scientifiquement le sont beaucoup moins. C’est le cas de l’emploi de ce néologisme. Si l’on entend par “islamo-fascisme” l’expression que l’islam radical est un totalitarisme, je pense que c’est correct. Je n’ai aucun doute sur la nature totalitaire de l’islam radical. Par contre, s’il s’agit d’exprimer une similitude entre les projets politiques de l’islamisme et du fascisme dans leur acception historique, c’est beaucoup plus compliqué.
Quelle est l’origine de ce terme ?
Ce néologisme qui est apparu dans les années 90 n’a pas été inventé par des universitaires mais par des journalistes ou des experts généralistes comme le journaliste britannique Christopher Hitchens.
Ce terme est-il porteur de confusions ?
Nous sommes dans des contextes géographiques et historiques totalement différents. Il n’y a pas de parti-État, il y a un embrigadement général de la population, mais sous des formes totalement différentes. Le projet de forger un homme nouveau peut sembler un point de convergence mais, dans le fascisme, il s’émancipe des pesanteurs de l’histoire, alors que dans l’islamisme radical, c’est un homme du retour à la pureté des origines. C’est une définition politiquement opérante mais scientifiquement bancale.
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Nicolas Lebourg (interviewé par Slate.fr) :

Certes, le mot « islamo-fascisme » a le mérite de rattacher la désignation de l’ennemi à la référence antifasciste, importante dans le culture de la gauche française. Il permet de spécifier qu’il s’agit d’un ennemi politique avant tout. Il pointe le fait que l’islamisme est un organicisme, comme les extrêmes droites européennes. Le concept est d’ailleurs apparu après que, dans les années 1990, les historiens spécialistes des fascismes aient beaucoup travaillé sur l’imbrication des notions de religion politique et totalitarisme.

Après le 11 septembre 2001, et avant que le président George W. Bush n’en fasse la publicité planétaire à partir de 2005, cette étiquette d’« islamo-fascisme » fut popularisée par le journaliste étasunien Christopher Hitchens, chroniqueur célèbre de Slate décédé en 2011, en particulier grâce à cet article. Ses arguments révèlent en fait une méconnaissance de ce que fut le fascisme, les éléments d’analogie renvoyant à deux catégories.
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