Il y a 70 ans, le 14 octobre 1943, éclatait la révolte de Sobibor

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Il y a 70 ans, le 14 octobre 1943, une révolte éclate en Pologne dans le camp d’extermination de Sobibór : plus de 200 prisonniers juifs échappent à une mort programmée. Cet acte de résistance de la part de ceux que les nazis voulaient rayer de la surface de la terre n’a pas été pour eux un moyen de s’en sortir (la plupart ont été repris et n’ont pas survécu à la guerre), mais l’expression d’une dignité, d’une humanité dont leurs bourreaux voulaient les priver. L’évoquer est également pour nous l’occasion de rappeler ce qu’a été l’Aktion Reinhard, et de rendre hommage à ses victimes et à ses opposants, en particulier au sein de la communauté juive.

On sait aujourd’hui que c’est à l’automne 1941 que Adolf Hitler décide de passer à une nouvelle phase de « la solution finale de la question juive », c’est-à-dire d’assassiner tous les Juifs d’Europe ; c’est ensuite lors de la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942, que les responsables nazis en préparent la mise en œuvre, sous l’autorité du Reichsführer Himmler et la coordination de l’Obergruppenführer SS Reinhard Heydrich (l’opération est d’ailleurs nommée « Aktion Reinhard », en hommage à Heydrich, abattu à Prague par des résistants tchèques le 27 mai 1942).
Pour que leur projet meurtrier dément soit rendu possible en un minimum de temps, ils décident d’utiliser les techniques de gazage utilisées dans les années 1930 pour l’élimination des handicapés (programme T4) et testées sur des Polonais et des prisonniers de guerre soviétiques. Ainsi, dans le cadre de l’Aktion Reinhard, quatre camps d’un genre nouveau sont construits, tous en Pologne : une station de gazage à Chełmno, près de Łódź, et de véritables centres de mise à mort à Bełżec, à Sobibór et à Treblinka, auxquels il faut ajouter des chambres à gaz dans deux camps de concentration à Majdanek, près de Lublin, et à Auschwitz-Birkenau, près de Cracovie, qui devient début 1943 la plus grande usine de mort pour les Juifs d’Europe.

A Bełżec, les nazis assassinent 430 000 Juifs entre avril et décembre 1942, c’est-à-dire jusqu’au démantèlement du camp (une décision probablement due au fait que le camp était arrivé à saturation). Les derniers prisonniers chargés de démonter le camp ont ensuite été envoyés par le train à Sobibór, encore en activité. Ces ultimes déportés venus de Bełżec, sachant avec certitude ce qui les attendaient, se sont révoltés à l’arrivée, sur la rampe, et ont été exécutés sur place. Quand les prisonniers de Sobibór ont trié leurs vêtements, ils ont trouvé cachés dans les coutures des petits mots, qui contenaient cette phrase : « nous sommes de Bełżec, vengez-nous ! ». Cet ultime acte de résistance est peut-être le point de départ de l’insurrection d’octobre 1943 à Sobibór.
Après que, en janvier 1943, les premiers combats ont éclaté dans le ghetto de Varsovie entre l’Organisation juive de combat et les Allemands, une révolte se produit en août dans le camp de Treblinka (avant la destruction du camp par les nazis en septembre), tandis que la résistance armée s’organise dans le ghetto de Białystok et dans le camp de travail de Krychów. C’est dans ce contexte que va s’organiser une résistance à l’intérieur de Sobibór.

Felhender&Pechersky
De gauche à droite : Felhender et Pechersky.

Des révoltes s’étaient déjà produites dans le camp, mais elles étaient davantage le fruit du désespoir que de veritables actions organisées. Il faut attendre l’arrivée à Sobibór de prisonniers particuliers pour qu’un véritable projet voit le jour. Le meneur de l’opération s’appelle Leon Feldhender, un ancien dirigeant du Judenrat de Zolkiewka, une petite ville de l’est de la Pologne, secondé par un lieutenant de l’Armée rouge, Alexandre "Sacha" Aronovitch Pechersky, dont les compétences militaires furent déterminantes dans la préparation de la révolte et qui pris en charge le déroulement de l’action. Alors que les nazis commencent à démanteler certaines installations du Lager III, annonçant ainsi la fin du camp et donc la liquidation totale de tous ses prisonniers, plusieurs projets d’évasion sont envisagés par un petit groupe de prisonniers réunis autour de Feldhender et Pechersky : après avoir envisagé de creuser un tunnel d’environ 38 mètres, les révoltés, après avoir convaincu un groupes de Juifs russes qui voulaient tenter une évasion séparée de les rejoindre, se décident finalement pour un plan en trois étapes. D’abord, préparer la révolte en volant des armes et des munitions lors du travail de tri du matériel militaire soviétique récupéré par les nazis. ensuite, attirer les SS dans les ateliers et les exécuter un par un, en prétextant avoir trouver dans les affaires des nouveaux arrivants au camp des objets précieux. Enfin, une révolte ouverte, en profitant de l’affaiblissement des nazis durant la seconde étape et de l’effet de surprise. Les prisonniers pouvaient également profiter du fait que les Allemands n’avaient pas confiance dans les Ukrainiens chargés de la surveillance du camp, et qu’ils leur avaient retiré leurs armes automatiques.

Au final, près de 300 prisonniers parviennent à s’enfuir du camp, et plus d’une dizaine de SS sont tués, ainsi que plusieurs gardes ukrainiens. Himmler, furieux, charge le général SS Jacob Sporrenberg de retrouver les évadés, avec l’aide de la Wehrmacht et de la Luftwaffe. La plupart des mutins sont retrouvés et exécutés dans les forêts voisines, et seuls une cinquantaine de prisonniers ont finalement survécu et pu apporter leur témoignage. Le 19 octobre, Himmler ordonne la destruction de Sobibór, et comme ce fut le cas pour les autres camps d’extermination, après avoir démonté toutes les installations et dynamité les chambres à gaz et tous les bâtiments en dur, le sol fut labouré et replanté de pins, afin qu’il ne reste aucune trace visible des crimes commis.

Plus d’informations (en anglais) ici

Sur le site de l’Express, le témoignage d’un survivant