En juillet dernier, le Bloc identitaire a annoncé qu’il redevenait « Les Identitaires ». Dans son communiqué officiel, les Identitaires parlent de « changement » : pour notre part, on trouve que ça ressemble surtout à une stagnation, pour ne pas dire à un constat d’échec… Pour s’en convaincre, voici un petit rappel de ce qu’ont été les Identitaires et de ce qu’ils sont devenus, en dépit de ce qu’ils auraient voulu être.

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Avant (en haut), après (en bas) : rien de neuf sous le soleil…

L’information est passée plutôt inaperçue, et le fait même de la publier au cœur de l’été montre que c’était sûrement volontaire de la part d’un mouvement rompu aux techniques de communication. Adieu donc au Bloc identitaire, qui devient simplement Les Identitaires  : l’association créée en 2002, qui avait muée en 2009 en parti politique, retrouve donc son nom et son statut d’origine. Elle en profite au passage pour restreindre sa structure dirigeante a deux individus : l’indéboulonnable Fabrice Robert, dernier membre fondateur encore présent, en charge de l’action, et le Suisse Jean-David Cattin (que nous présenterons en détail à l’occasion d’un autre article), responsable de la formation. Génération identitaire, de son côté, devient une structure parallèle autonome, ce qu’elle était déjà de fait. Qu’est-ce qui a bien pu motiver ce ravalement de façade ? Pour le comprendre et surtout en mesurer la portée, nous vous proposons de revenir rapidement sur l’histoire de ce mouvement à travers ses réussites et ses échecs.

Des NR aux Identitaires

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De gauche à droite : Fabrice Robert, Philippe Vardon et Richard Roudier, trois des principaux membres fondateurs des Identitaires.

Lorsque se crée la structure « les Identitaires » à la faveur de la dissolution du mouvement nationaliste-révolutionnaire Unité radicale [1], ses animateurs, issus de différents groupuscules de l’extrême droite radicale et du MNR [2] ont de l’ambition.

Apparus alors que le Front National se remettait tout juste de sa scission et que, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ayant été interprétée par beaucoup comme son dernier tour de piste, la question de la succession du « Vieux » commençait à se poser de façon problématique, et alors même que de nombreux commentateurs pronostiquaient pour cette raison la disparition du parti, les Identitaires (dont plusieurs cadres étaient passés par le FN) ont pensé que c’était leur chance historique : sans complexe, ses dirigeants se donnèrent dix ans pour devenir le successeur du parti de Jean-Marie. Pour ce faire, Philippe Vardon (qui a en charge la structure jeune du mouvement, les Jeunesses identitaires) et Fabrice Robert, ses deux principaux animateurs, ont, reconnaissons-le, bousculé les habitudes d’un milieu qui végétait sévère.

Peinture à tous les étages

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D’UR aux identitaires, un changement visuel.

Convaincus que, pour atteindre leur but, ils leur faudrait « se dédiaboliser » (sans rien renier sur le fond), les Identitaires vont rompre avec un certain folklore propre à l’extrême droite radicale, qu’il s’agisse de symboles (la croix celtique d’UR est ainsi abandonnée) ou de slogans, afin d’une part de se démarquer de la « concurrence », et d’autre part de brouiller les pistes afin de ne pas faciliter la tâche de ses détracteurs. Les Identitaires vont ainsi couper les ponts avec tous les autres mouvements d’extrême droite français et, en recyclant une panoplie oubliée ( cf . la référence à Sparte et son lambda) ou en faisant preuve de créativité, ils vont développer et diffuser toute une imagerie, de nouveaux codes visuels, rompant avec les références nationalistes traditionnelles résolument tournées vers le passé. Dans la même logique de « modernité », les Identitaires vont officiellement couper le cordon avec l’antisémitisme [3] et même l’antisionisme [4], pour se concentrer exclusivement sur le prétendu « choc des civilisations » avec le monde musulman.

Le discours politique des Identitaires, assez confus, se résume ainsi à la défense de l’identité européenne, considérée uniquement sur le plan ethnique, et une focalisation monomaniaque sur la question de l’immigration extra-européenne et sur celle de « l’islamisation » de l’Europe par cette même immigration. À cet axe principal est venu s’ajouter une valorisation des racines régionales et de ses folklores, réels ou fantasmés, tous les groupes identitaires locaux se construisant ainsi avant tout autour d’une identité régionale. Cet axe de développement avait aussi l’avantage de ne pas voir la structure Jeunesses Identitaires risquer l’interdiction pour reconstitution de ligue dissoute : les Identitaires espéraient en multipliant les structures limiter la casse en cas de procès.

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La "soupe au cochon" sera le véritable tremplin médiatique des Identitaires.

Pour ce qui est de son discours « social », il se résume à la formule « les nôtres avant les autres », pâle copie de la préférence nationale défendue par le FN depuis des décennies. Les Identitaires sont toujours restés très vagues sur les questions sociales et économiques, sans doute en raisons de divergences des cadres du mouvement sur les réponses à y apporter.

Les Identitaires lavent plus blanc

Il est dans sa nature même qu’un mouvement politique cherche à se faire connaitre et à diffuser ses idées dans la société, et utilise pour cela tous les moyens de communication qui lui semblent adaptés. Mais la particularité des Identitaires dans ce domaine, c’est l’application avec laquelle ils adoptent dans cette démarche les techniques du marketing et de la publicité, et leur utilisation massive des ressources d’internet et des réseaux sociaux [5]. Même s’il s’agit d’une façon comme une autre de masquer leur faiblesse idéologique et militante, en contrepartie, cette maîtrise assure à la plus piteuse de leurs actions une grande visibilité et une fréquente surestimation de la part des observateurs. Ces choix ont fortement influencé les autres mouvements d’extrême droite français, qui ont tous tenter de calquer sur les Identitaires, avec plus ou moins de bonheur, leur communication et leur présence sur internet.

Sans discours politique original ou structuré, sans appareil militant bien implanté ni résultats électoraux, les Identitaires ont ainsi concentré l’essentiel de leur énergie à faire des « coups » médiatiques. Leurs deux plus grands succès dans ce domaine ont été la « soupe au cochon » en 2004 et les apéros « saucisson-pinard » en 2009 : bon nombre de journalistes et même d’opposants tombèrent dans le piège de l’intoxication en reprenant les informations diffusées par les Identitaires eux-mêmes.

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Devinette : laquelle de ces initiatives des Identitaires a eu lieu ? Réponse : aucune ! elles ont toutes été annulées…

En effet, bien souvent, les initiatives des Identitaires annoncées sur Facebook n’ont eu tout simplement pas lieu (cf. apéro de la Goutte d’Or) ou bien de façon furtive et confidentielle, sans autre témoins que leur propre caméra : bien des médias paresseux se sont alors contentés de reprendre leurs images, forcément flatteuses… En plus d’avoir braqué tous les projecteurs médiatiques sur ce qui était (et est resté) un groupuscule, ces deux initiatives ont fait, avec le succès que l’on sait, de la viande porcine le nouvel étendard du racisme français, en particulier à l’encontre des musulmans, même si par le fait, cette discrimination par la nourriture concernent tout autant les juifs (et les végétariens également, mais là c’est plutôt un dommage colattéral !).

Les Identitaires et les autres

Ces succès médiatiques et ces innovations ont-elles permis aux Identitaires d’atteindre le but pour lequel ils ont été créés, à savoir se poser en digne successeur du Front national, un parti qui aurait fait son temps ? Tout le monde aujourd’hui sait bien que non, preuve que contrairement à ce qu’ils prétendent, les Identitaires n’ont pas toujours le nez creux. Pendant des années, fidèles en cela à leur projet initial, les Identitaires ont en effet adopté en vain un position concurrente du FN, en présentant des candidats à différentes élections locales. Mais après l’échec cuisant du projet de candidature aux présidentielles de 2012 suite au peu d’intérêt médiatique pour leur bien terne candidat Arnaud Gouillon (qui a depuis préféré changer de nationalité et devenir serbe) et surtout après que Marine Le Pen et une partie de l’UMP ont récupéré sans vergogne leur interprétation islamophobe de la laïcité, ce fut la fin des ambitions des Identitaires en tant que parti politique. Fabrice Robert, dans le communiqué de cet été, le reconnait d’ailleurs pudiquement en déclarant cesser « toute confrontation électorale avec le Front national », ce que son mouvement a de toute façon toujours été incapable de faire, à l’exception de quelques succès électoraux sur Nice, où Vardon s’est durablement implanté.

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Après avoir tenté leur chance, les candidats identitaires sont gentiment rentrés dans le rang et ont rejoint le FN.

Mais après avoir espéré en 2011 une implosion du Front national au congrès de Tours, suite à une lutte interne entre les partisans de Marine Le Pen et ceux de Bruno Gollnisch, les Identitaires ont bien dû se rendre à l’évidence : l’avenir du FN passera par Marine Le Pen, et cette dernière n’a que faire des Identitaires, les traitant en 2012 d’ « européistes » (néologisme opposé à « nationalistes »). Le regard de la patronne du FN s’est un peu adouci depuis, peut-être pour ne pas froisser sa nièce qui, elle, n’hésite pas à s’afficher aux côtés de Philippe Vardon : mais c’est que ce dernier, sans rien renier de son engagement passé, est aujourd’hui lui-même au FN…

Pour ce qui est des relations avec les autres groupuscules à la droite de la droite, les choix radicaux et audacieux des Identitaires concernant certaines alliances politiques (comme Riposte laïque en 2009, à l’époque plutôt marqué à gauche) ou certaines références (la laïcité, De Gaulle) les ont plutôt isolés. Ainsi, son arrogance et sa volonté de se distinguer des autres ont parfois amené Robert à parler de « l’extrême droite » pour désigner les autres groupes nationalistes ! À l’inverse, de petits accrochages ont eu lieu avec des structures comme le GUD, plus attaché aux traditions de leur famille politique, et à des jugements de valeur désobligeant de la part de certains dirigeants s’interrogeant sur le concept même d’ « identitaire » [6]. Tant que les Identitaires se développaient, cet isolement servait plutôt leur projet ; mais à présent, personne ne se bouscule pour venir au secours d’un mouvement en perte de vitesse, et l’on peut même être assuré, qu’au PNF ou à l’Action française, on se réjouit de l’essoufflement du mouvement identitaire.

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Casapound, sur lequel toute l’extrême droite française se tripote…

Autre échec : bien que les identitaires aient cherché à donner à leurs discours une dimension internationale, et même si des contacts réguliers existent avec d’autres identitaires francophones (en Belgique, en Suisse et au Québec) ainsi qu’avec CasaPound en Italie [7], aucun réseau « identitaire » à l’échelle européenne n’a vu le jour. Pourtant, la marque « identitaire » a essaimé un peu partout en Europe : en Autriche, en Allemagne, en Slovaquie, des mouvements identitaires se sont développés, reprenant souvent les visuels et les slogans de leurs homologues français.

La bête bouge encore

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Malgré cela, les Identitaires n’ont pas disparu, et conservent même certains bastions, comme à Nice, Paris ou Lyon, avec quelques dizaines de militants, des locaux et des activités régulières. De même, Génération identitaire, qui depuis la campagne "Une autre jeunesse" a remplacé les Jeunesses identitaires, avec ses actions décentralisées et bien médiatisées et son utilisation performante des réseaux sociaux, parvient à maintenir l’illusion d’un mouvement toujours dans la course : l’occupation du chantier de la mosquée de Poitiers en octobre 2012, le pseudo-blocage des routes de Calais en mars 2016, sont là pour le montrer. Mais depuis le début des années 2010, d’autres mouvements de l’extrême droite radicale (comme les Jeunesses nationalistes de l’Œuvre française en 2010 ou l’Action française aujourd’hui) ont réussi à faire venir à eux les militants en mal de sensations fortes que l’activisme légaliste, "lisse" et un peu superficiel des Identitaires laissaient sur leur faim. Revers de la médaille : ces partisans des "actions coup de poing" payent le prix fort en se retrouvant fréquemment devant les tribunaux, et par conséquent ont du mal à agir dans la durée ; alors que les Identitaires, eux, sont plus rarement inquiétés par la justice, et comptent même sur la police pour les protéger, comme l’a déclaré Aurélien Verhassel, militant identitaire qui a ouvert un bar à Lille, à la Voix du Nord. On est loin du ACAB fièrement affiché par certains nationalistes !

On se résume

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Si aujourd’hui les Identitaires se définissent comme « une centrale d’agitation et de formation », c’est bien par aveu d’impuissance, car leur ambition initiale était tout autre, celle d’être un parti politique. Son rôle n’est cependant pas à minimiser : leurs idées, leurs slogans et leurs modes d’apparition ont permis à l’extrême droite radicale de se renouveler et de sortir du ghetto dans lequel elle était enfermée. Mais au final, ce sont surtout d’autres structures politiques qui en ont profité pour se développer et imposer ces thématiques dans l’espace publique, le mouvement des Identitaires en tant que tel faisant du surplace, voire se retrouvant sur la touche, comme lors des mobilisations contre le mariage pour tous. Qu’il s’agisse de l’usage d’internet ou de l’islamophobie, d’autres, en se spécialisant, ont pris la place de leader qu’y occupaient un temps les Identitaires. On nous répondra que les Identitaires agissent en fait dans l’ombre, en faisant de « l’entrisme » au FN, comme le suggère le blog Droit(e)s extrêm(e)s, pour mieux faire avancer leur projet. Nous ne le pensons pas : plutôt que d’ « entrisme » au FN, comme l’Œuvre française avait pu le faire en son temps, c’est davantage d’opportunisme et de reconversion qu’il faut parler, car seul le FN, à l’extrême droite, est aujourd’hui capable de proposer une gamelle. Seule lueur d’espoir pour l’avenir des Identitaires : la progression de l’influence de Marion Maréchal-Le Pen, plus attachée que sa tante à l’héritage de Jean-Marie, qui avait su faire du Front national le creuset dans lequel venait se fondre tous les courants de l’extrême droite, dont certains pensent que c’est même une condition nécessaire au succès du parti dans sa conquête du pouvoir. Il sera donc intéressant, dans la perspective des présidentielles, de voir comment les Identitaires réussiront à tirer leurs marrons du feu, que Marine Le Pen remporte ou non l’élection.
La Horde

Notes

[1Les Identitaires ont été créés en août 2002 en partie par des militants d’Unité radicale (UR), un groupuscule nationaliste-révolutionnaire (NR) interdit et dissout cette même année, après que l’un de ses membres, Maxime Brunerie, a tenté d’assassiner le président de la République Jacques Chirac le 14 juillet 2002 sur les Champs-Élysées. Unité Radicale était elle-même l’héritière, du point de vue idéologique ou militant, de Nouvelle Résistance, groupuscule NR des années 1990, et encore plus loin, de Troisième Voie, mouvement des années 1980.

[2Le Mouvement National Républicain (MNR) a été créé en 1999 par Bruno Mégret, ancien délégué général du Front national, après la scission du parti en 1998, suite au refus de Jean-Marie Le Pen de laisser à Mégret sa place de candidat aux élections européennes.

[3On peut douter de la sincérité de ce revirement et légitimement penser qu’il est surtout stratégique : Fabrice Robert avait en effet été condamné en 1992 pour négationnisme pour avoir distribué des tracts révisionnistes à la sortie des lycées !

[4Les Identitaires ont ainsi rompu avec la position nationaliste-révolutionnaire sur la Palestine. Cela a rendu possible quelques rapprochements ponctuels avec la LDJ, ou tout au moins avec l’un de ses leaders de l’époque, Jean-Claude Nataf, alias Mickaël Carlisle.

[5Présents dès leur création sur Internet, les Identitaires ont développé un grand nombre d’outils virtuels destinés à valoriser la moindre de leurs initiatives : ils ont monté une pseudo-agence de presse, Novopress, et un très grand nombre de blogs et autres sites, à l’aspect souvent très professionnel, animés par des militants identitaires, bien pratiques pour masquer leur faiblesse sur le terrain.

[6On pense ici au patron du Renouveau français, Thibaut de Chassey, qui déclara en 2012 à la radio que « le mot identitaire ne veut pas dire grand-chose. »

[7Si la fascination des nationalistes radicaux français pour l’Italie existait déjà dans les années 1970-1980, les identitaires ont été les premiers à se tourner vers CasaPound, avant d’être rapidement rejoints par toute l’extrême droite radicale, qui voit dans l’expérience italienne la voie à suivre. Étrange de la part des identitaires de fricoter avec les autoproclamés héritiers du fascisme italien, quand on sait qu’une des affiches du Bloc fait l’apologie du général De Gaulle comme figure de la Résistance : il est vrai qu’avec eux, la cohérence atteint très vite ses limites !