Grande-Bretagne : Mort d’un héros modeste, Sir Winton

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Voici l’histoire remarquable de Nicholas Winton, le Schindler britannique, disparu le 1er juillet dernier à l’âge de 106 ans, qui sauva 669 enfants juifs de la déportation dans les camps nazis.
De façon symbolique, le 1er juillet est la date à laquelle, en 1939, ce héros britannique réussit à rassembler ce qui allait être le premier de huit groupes d’enfants juifs à qui il fit gagner la Grande Bretagne en train. Au cours du premier voyage, 241 enfants tchèques furent sauvés.
L’histoire de Winton a commencé le 19 mai 1909 à West Hampstead, où il naquit sous le nom de Nicholas Wertheim. Ses grands-parents paternels, des Juifs allemands, s’étaient installés en Grande Bretagne dans les années 1860 et sa mère était arrivée d’Allemagne en 1907. Nicholas fut baptisé et élevé en chrétien, et sa famille changea de nom et devint Winton en 1938.

Prague
À partir du milieu des années 1930, Winton prit conscience de ce qui se passait en Allemagne, au fur et à mesure que des amis et des parents éloignés commençaient à arriver en Angleterre, chez ses parents, souvent sans bagage.
À la fin de l’année 1938, un de ses amis qui travaillait à l’ambassade britannique à Prague l’appela pour lui faire part de terribles nouvelles. L’Ouest de la Tchécoslovaquie avait été annexé par l’Allemagne nazie.
Devenu entre temps agent de change à Londres, Winton partit pour la Tchécoslovaquie avec Martin Blake, un de ses amis, qui était instituteur, mais aussi pacifiste de gauche. Là-bas, ils virent de leurs yeux les conditions misérables dans lesquelles vivaient les populations déplacées. Craignant le pire à venir, et avec l’aide de certains de ses parents éloignés qui vivaient encore en Allemagne, Winton décida de rester à Prague.
Dans sa chambre du Grand Hotel Europa, il ouvrit un « bureau » où il recevait les familles juives qui espéraient faire partir leurs enfants loin du danger.
Winton écrivit à de nombreux officiels occidentaux pour leur demander leur aide, mais au bout du compte, seuls les Britanniques et les Suédois acceptèrent d’accueillir les enfants. En fait, les organisations britanniques étaient déjà engagées dans le programme des Kindertransport , qui permettaient le transfert d’enfants juifs non accompagnés. Cependant, pour être acceptés au Royaume Uni, les enfants devaient avoir une famille d’accueil, avec laquelle tout était déjà arrangé, ainsi qu’une garantie de 50 livres sterling, permettant l’achat éventuel d’un billet de retour.
Lorsque les nazis étendirent leur contrôle à Tchécoslovaquie tout entière en mars 1939, Winton fut tellement désespéré par les retards du Home Office, qui délivrait les documents permettant d’entrer sur le territoire britannique, qu’il décida d’avoir recours à la fabrication de faux-papiers.

Les voyages
Au cours des neuf mois suivants, il parvint à faire partir 669 enfants par huit différents trains de Prague jusqu’à Londres. Un petit groupe de 15 transita par la Suède.
Les voyages étaient potentiellement très dangereux : les enfants partaient de Prague et voyageaient à travers les territoires du Reich avant d’arriver en Hollande. De Hollande, ils tentaient de rejoindre la côte britannique en bateau. Certains prenaient ensuite un train pour rejoindre Liverpool Street à Londres, où ils étaient accueillis par Winton lui-même ou par leurs familles d’accueil.
« En moi-même, j’applaudissais comme à un match de football, mais extérieurement, j’étais calme et silencieux. » se rappelle-t-il. « Je savais que pour chaque enfant juif arrivé sain et sauf sur le quai, il y en avait des centaines toujours pris au piège en Tchécoslovaquie. Et comme j’organisais cette émigration tout seul, je savais que je ne serai capable que d’en sortir une toute petite partie de ceux qui faisaient face à un terrible danger. »
Le neuvième train, un transport très important, quitta Prague le 3 septembre 1939 (c’est-à-dire le jour où la Grande Bretagne entra dans la guerre), et n’arriva jamais.
« Dans les heures qui ont suivi l’annonce de l’entrée en guerre, le train disparut. », dit Winton plus tard. « On n’a revu aucun des 250 enfants qui avaient embarqué dans le train. Nous avions 250 familles qui attendirent à Liverpool Street ce jour-là, en vain. Si le train était parti un jour plus tôt, il serait passé. C’est terrible, car on n’a plus jamais entendu parler d’aucun de ces enfants. »
Dans les années qui suivirent, environ 15 000 enfants tchèques furent assassinés, soit bien plus que les 6000 que Winton avait inscrits sur ses listes au début de l’année 1939.

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Un éloge tardif
Après la guerre, Winton travailla pour des organisations de réfugiés et pour la Abbeyfield Society, une organisation caritative qui fournit des hébergements d’urgence. Pendant presque cinquante ans, il garda pour lui ce qu’il avait fait à Prague… jusqu’à ce que sa femme, Grete, avec qui il avait eu trois enfants, trouve un vieux sac contenant la liste des enfants qu’il avait fait venir au Royaume Uni, les lettres de leurs parents ainsi que des papiers datant de cette époque.
Le jour où le Sunday Mirror publia le récit de ces sauvetages, Winton passa sur la BBC à l’émission That’s Life ! pour raconter son histoire. Une semaine après, il fut réinvité cette émission. Cette fois, la présentatrice, Esther Rantzen, invita les membres du public présent sur le plateau qui devaient leur vie à Nicholas Winton à se lever, et tout le public se mit debout. Winton a toujours dit qu’il n’avait jamais rien fait de particulier : « J’ai juste vu ce qui se passait et j’ai fait ce que je pouvais pour aider. »
Mais c’était quelque chose de particulier et Nicholas Winton, le « Schindler britannique », est toujours révéré comme le père qui sauva un grand nombre de ses « enfants » d’un terrible destin dans les camps de la mort, même si, aujourd’hui, les enfants sont eux-mêmes devenus grands-parents.
Parmi ceux qui lui doivent la vie, citons l’auteure Vera Gissing (qui participa à l’écriture de la biographie de Winton), Karel Reisz (décédé aujourd’hui), le réalisateur du film La maîtresse du lieutenant français , Lord Alf Dubs, un homme politique du parti travailliste britannique, et Dagmar Simova, une cousine de Madeleine Albright, l’ancienne secrétaire d’État aux affaires étrangères, née Tchèque.
En Tchécoslovaquie, Winton a reçu le prix de la Liberté de la ville de Prague en 1991 et, en octobre 1998, Vaclav Havel, le président de la République tchèque l’a décoré de l’Ordre du TG Masaryk au cours d’une cérémonie au château Hradcany.
En 2001, sur l’invitation de Havel, Winton est retourné à Prague pour la première du film, Le Pouvoir du bien , un documentaire tchèque racontant son histoire. En octobre 2014, il fut décoré de l’Ordre du Lion blanc par le président tchèque Milos Zeman, au cours d’une cérémonie au château de Prague.
En Grande Bretagne, Winton reçut la Freedom of the City of Windsor en 1999, un honneur qu’il partage seulement avec les membres de la famille royale, et il fut fait chevalier en 2003.

Les leçons de « Nicky »
Malgré les éloges publics, Winton n’a jamais mis en avant ses origines juives, alors qu’il s’est beaucoup exprimé sur les raisons humanitaires de cet appel du devoir.
« Lorsque je me suis mis en devoir de faire venir des enfants de Tchécoslovaquie, a-t-dit plus tard, je ne l’ai pas fait parce qu’ils étaient juifs. Je l’ai fait parce que c’était des enfants. »
Le jour de sa mort, le Premier Ministre David Cameron a dit : « Le monde a perdu un grand homme. Nous ne devons jamais oublier l’humanité dont a fait preuve Sir Nicholas Winton en sauvant tant d’enfants de l’Holocauste. »
Pourtant, nous assistons aujourd’hui à la crise la plus grave de notre ère concernant les réfugiés. En 2014-2015, une personne sur 122 a dû fuir la guerre, la famine ou les persécutions et, partout dans le monde, la moitié des réfugiés enregistrés sont des enfants. Pendant ce temps-là, la Grande Bretagne continue de se montrer résolue à fermer ses portes et à tourner le dos aux souffrances humaines.
Pourtant, ce sont ces préjugés et ces idées isolationnistes que Sir Nicholas avait dû surmonter en 1939. Lorsque son ami Lord Dubs (qu’il avait sauvé enfant) écrivit dans le Guardian : « Les difficultés étaient énormes, l’une des plus grandes consistant à convaincre le ministère de l’Intérieur d’autoriser l’entrée sur le territoire d’enfants non accompagnés. Quelqu’un d’autre aurait pu dire : “ C’est trop compliqué, ce n’est pas mon problème.” Il aurait aisément pu baisser les bras mais au lieu de cela, il s’est consacré à la réussite de son projet. Il me manquera terriblement, tout autant qu’aux centaines d’autres à qui il a sauvé la vie, ainsi qu’à leurs enfants et petits-enfants. Merci, Nicky. »

Elisabeth Pop, de l’équipe de Hope not Hate