"Good Night White Pride" : histoire d’un logo

Lu sur le site Antifa International :

GOOD NIGHT WHITE PRIDE : interview avec Harlon Jones

(merci beaucoup à that-french-punk pour la traduction !)

Tout le monde est habitué à voir le logo « Good Night White Pride » - L’image d’une silhouette mettant un coup d’pied dans la tête d’un neo-nazi - Mais peu de personne sait que l’image vient d’une photo prise en 1998 lors d’une contre-manifestation contre un rassemblement du KKK (Ku Klux Klan) à Ann Arbor dans le Michigan, US.

L’an dernier, Antifa International postait un article détaillé sur l’histoire de la photo derrière le logo GNWP , mais ils n’étaient pas encore capable de mettre un nom sur le visage de l’antifasciste apparaissant sur la photo.

Puis, il y a quelques semaines, ils ont été contacté par ce gentleman qui présentait sa semelle à la tête d’un des membres du KKK.
Voici les propos qu’ils ont recueilli :

Antifa International : Qui étais-tu en 98 ?

harlon jones en 98 good night white pride

Harlon Jones : En 1998, j’avais 18 ans et je travaillais dans un magasin sur mon campus. Deux ans auparavant, des personnes avec qui j’ai été à l’école avaient réussi à faire reculer le Klan lors d’un de leurs précédents rassemblements. Un de mes amis proches avait été arrêté ce jour là. Puis, en 98, j’ai commencé à voir des affiches tout autour du campus disant « Venez Samedi, on va se battre contre le KKK. » . Du coup, j’ai commencé à dire à tous mes amis que nous devions y aller, voir ce qu’il s’y passe et ce qui était prévu. Tout le monde était assis, parlant de leur ressenti par rapport à tout ça puis on a commencé à dire qu’on pouvait toujours s’assoir et être aussi conscient ou informé sur la cause qu’on le voulait, tant qu’il ne s’agissait que de s’assoir pour en parler, ça ne mènerait à rien.

AI : Donc tu as vu un décalage entre être informé et agir ?

HJ : Absolument. Encore plus aujourd’hui qu’il est si simple pour les gens de poster un truc puis d’oublier tous les problèmes derrière. A l’époque, c’était encore plus important d’être présent physiquement. Pour moi, ça me semblait tout simplement être quelque chose à laquelle je devais prendre part

AI : Tu t’étais déjà rendu à une contre-manifestation ou à des actions similaires avant ça ?

HJ : Avant, je travaillais bénévolement avec mon oncle en Californie. Et on avait pour habitude pour faire différent trucs dans la ville, où mon père et mes tantes faisaient de leur mieux pour qu’on ai conscience de ce qui se passait autour de nous. Mais ce genre de confrontation - c’était nouveau pour moi. Mais quand j’ai vu ces affiches, je me suis dis « Je dois y être ! »

Ce qui était magnifique à cette manifestation, c’était toutes les différentes « races » présentes. Je me rappellerai toujours cette étudiante vraiment petite - Je crois qu’elle était hispanique - criant à pleins poumons « LE KKK VIENT DANS NOTRE VILLE ? QU’EST CE QU’ON FAIT ? ON LES FOU DEHORS ! » Puis on est allé vers la Mairie, il y avait toute la police anti-débordement avec leurs boucliers et leurs barrières installées avec des fils barbelés. C’était la première fois que je voyais un tel déploiement policier.

Puis il y avait ces gens appelés les « gardiens de la paix » (ndt : je n’invente pas, en anglais dans le texte « peacekeeper » // Un peu l’équivalent du SO de la CGT). Ils avaient des gilets jaunes et ils voulaient qu’on se calme, qu’on aille ailleurs et qu’on chante « Kumbaya » et des conneries du genre. (ndt : « Kumbaya » est une chanson religieuse écrite par un Révérend et tenant ses origines à des chants chantés dans les champs de coton par les afro-américains à l’époque)

AI : Et comment réagissaient les gens ?

HJ : Vraiment pas terrible. Les gens les évitaient, leur disaient de sortir de là. Mais à ce moment là, il ne se passait pas vraiment grand chose. Les gens restaient juste là. Et j’étais genre « Où est l’action ? » et les gens essaient de savoir où se trouvait le KKK.

Puis d’un coup, j’ai vu des gens courir dans l’autre direction, je les ai suivi et il y avait environ 5 personnes entrain de poursuivre le gars que vous voyez sur la photo, son ami et une de leurs copines. L’un d’eux s’est approché et leur a demandé s’ils appartenaient au KKK et il a répondu par l’affirmative. Alors on est juste parti les poursuivre, le plus petit gars et sa copine ont réussi à s’enfuir mais l’autre, le plus grand - C’était comme si tout le monde avait fait marche arrière pendant un millième de seconde et je suis arrivé et lui ai foutu un coup d’pied.

harlon jones en 98

Et je n’oublierai jamais que juste après ça un gars est venu me voir et m’a dit « Yo ! Ils te prennent en photo ! Echange de casquette avec moi ! » Du coup, je n’avais plus la même casquette pour le restant de la journée.

Mais pour moi, c’était juste un petit incident au cours de la journée. Même si l’image est devenue ce qu’elle est. Après ça, on est retourné à la contre-manif’ et c’était incroyable comment la foule a commencé à communiquer entre elle. La foule était genre « On va aller jusqu’à ce portail et on va le faire tomber ! » Du coup tu voyais les gens partir en petits groupes vers le portail et on a essayé de le faire tomber. Et les « gardiens de la paix » (ndt : « peace keepers ») étaient littéralement accroupi sous le portail pour essayer de nous en empêcher.

Et puis, de la même manière, la foule s’est remise à parler, dire qu’il y avait un deuxième portail, plus petit, derrière la Mairie. On y est parti par groupes de 2 et 3 personnes. La police a essayé de venir depuis l’intérieur mais c’était un portail bien plus petit. Il y avait un jardin de pierres de l’autre côté de la rue. Tout le monde y est allé et a commencé à attraper des pierres et leur envoyer dessus. Ce fut la meilleure scène à laquelle j’ai assisté de toute ma vie - les flics entrain de battre en retraite ! Je le jure, je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi génial que de voir des cops s’enfuir comme ça.

Donc, on a fait sortir le portail de ses gonds et on l’a fait passer a travers la foule en célébrant l’évènement. Puis les flics sont revenus nous tirer des gaz lacrymo dessus, mais littéralement SUR nous. Par exemple, mon pote Michael s’en est pris un en plein torse. Après tout ça, on est retourné dans la rue, en mode « victorieux », tu vois ce que j’veux dire ? Donc moi, Michael et quelques autres personnes sommes restés dehors avec quelques bières et on a parlé de la journée - Tout l’monde était tellement à fond, tu vois ? Le but était que le KKK ne remette jamais les pieds à Ann Arbor. Et on avait réussi.

Je n’ai même plus pensé de l’incident jusqu’au lendemain, quand des gens ont commencé à m’appeler à propos de la photo. J’étais entrain de me préparer à aller travailler quand une de mes amies du boulot m’appelle et me dit « Ouais, tu fais la une du journal ! » Et j’étais genre « Casse toi ! » mais elle me répond « J’plaisante pas, mec ! » Du coup j’me suis dépêché d’aller au travail et une fois là bas, je ME vois sur la une du journal. J’ai instantanément attraper un rasoir sur l’étagère et suis parti dans la salle de bain me raser la barbe et les cheveux. Parce que les flics avaient pour habitude de venir tous les jours au magasin et ils me connaissaient tous. Ils savaient tous que c’était moi, tout le monde savait ! Et le plus fou dans tout ça c’est qu’ils avaient tellement peur de me poursuivre et avoir toute cette pub négative contre l’université, ils ne m’ont même pas arrêté. Rien du tout.

AI : C’est étonnant, parce que les flics n’y sont pas allé de main morte après les faits.

HJ : Et pourtant, ils me voyaient tous les jours et ne m’ont pas arrêté. Tu dois comprendre, à ce moment là l’université avait un vrai problème de communication inter-raciale et mixité, et j’ai l’impression que m’arrêter aurait créer un combat qu’ils ne voulaient pas affronter. J’étais littéralement la personne la plus simple à trouver et ils n’ont rien fait.

AI : Et comment les autres ont réagi à la photo ?

HJ : Tout le monde m’adore, tu vois ? Encore aujourd’hui, j’ai des amis qui sont tellement fier de ce qui est arrivé qu’ils m’invitent chez eux et racontent l’histoire à leurs enfants pendant le diner, comme ça ils comprennent qu’ils ne doivent pas avoir peur à aller dehors et d’agir.

AI : Et tu penses quoi des gens qui disent que tu as eu tord de faire ce que tu as fais ce jour là ?

HJ : Tu dois vraiment être à l’aise avec les décisions que tu prends. Donc si quelqu’un me dit que ce que j’ai fais était mal, je lui demanderai, peu importe ce en quoi ils croient, quand était la dernière fois qu’ils ont fait quelque chose à ce propos en dehors d’en parler ?

Dans la communauté, les gens s’assoient autour d’une table et parlent à propos des sujets brûlants et moi je suis toujours genre « Bon, si vous n’allez rien faire à propos de ça, comment pouvez-vous vous dire que ça vous tient au trip alors que vous n’êtes même pas prêt à sacrifier quoi que ce soit pour faire avancer les choses ?

Donc, je suis prêt à l’accepter. Si je suis le mauvais gars pour m’être battu contre l’ignorance, le racisme et toutes ces merdes, putain mais carrément ! Je serais fier d’être le mauvais gars pour ça !

AI : Tu as vu notre article l’an dernier à propos du logo GNWP et de son histoire  ?

HJ : Je l’ai découvert quand un ami a vu un article à propos des Etats Américains qui détestent le plus les Afro-américains, et l’illustration était la photo d’un nazi avec 3 patches sur son dos. Un des patches étant celui avec le logo « Good Night Left Side »

nazi avec good night red side

Mon pote a fait une prise d’écran et m’a envoyé la photo genre « Yo ! C’est quoi cette merde ? Un Nazi avec ton logo ? » et il l’a posté sur facebook en disant « Dites moi que c’est pas Harlon entrain d’foutre un coup d’pied dans les dents d’un nazi ». Tout l’monde en parlait. Du coup quand je l’ai vu, j’ai dû chercher sur google de quoi ça parlait. Et j’ai vu qu’ils utilisaient ce logo contre les antifa, c’est comme ça que j’ai entendu parler de vous (Antifa International) etc…

AI : Donc tu ne connaissais pas le mouvement GNWP jusqu’à ce que tu vois un nazi avec ce patch dans son dos ?

HJ : C’est ça ! Mon meilleur ami m’a dit « Tu devrais vraiment contacter ces types et leur dire ton histoire parce qu’il y a beaucoup de gens dehors qui « font l’boulot » que représente cette image, tu sais ! » Et j’étais vraiment impressionné, genre, tu t’attends jamais à un truc pareil. J’veux dire, ça part d’une situation qui me semblait tellement isolée et pourtant, on en parle encore 20 ans après. J’étais juste vraiment impressionné. Je trouvais ça génial.

AI : Tu n’étais pas au courant que la photo était à l’origine d’un des logos anti-racistes les plus connus aujourd’hui ?

HJ : Absolument pas.

AI : Comme tu as vu la version des neo nazis, t’en penses quoi ?

HJ : Je trouve ça marrant. L’ironie du truc - tu peux pas l’inventer. On est allé sur certains forums haineux et des gens pointaient du doigts que peut-être ils devraient se renseigner sur l’origine de l’image. Et ils s’en foutaient - l’ignorance faisait leur bonheur. Mais je trouvais ça fou que quelqu’un pouvait promouvoir cette image sans même savoir d’où elle venait. Et ils la portent avec fierté ! Mais j’étais vraiment heureux de savoir que ça venait du bon endroit, de personnes se battant pour les bonnes causes.

AI : Quelque chose à dire par rapport à ces dix-huit dernières années de ton côté ?

HJ : Pas vraiment. Je fais beaucoup de bénévolat avec des jeunes et de temps à autres j’en profite pour leur dire de canaliser la haine que les gens peuvent avoir sur les bonnes causes ou pour dire à quelqu’un d’être assez confiant pour que, peu importe ce qui se passe, si tu te bats pour de bonnes raisons, tu sors et tu te bas vraiment pour l’obtenir !

halon jones en 2016

AI : Beaucoup de gens autour du monde ont commencé à avoir envie de se battre contre le fascisme et le racisme là où ils vivent après avoir vu cette image. Tu voudrais leur dire quelque chose ?

HJ : Ca me fait tellement plaisir. J’en pleure presque rien qu’en y pensant ! C’est plus que n’importe lequel de mes rêves - avoir ce genre d’impact - pas seulement sur une personne mais sur plusieurs groupes à travers le monde ! C’est tellement impressionnant parce que je suis juste comme eux ! Peu importe d’où ils viennent et si on parle la même langue - je suis juste comme eux. Et si voir ça c’est ce qu’il leur faut pour être prêt à se battre, physiquement ou psychologiquement, pour la bonne chose ?

Mec, j’salue toutes les personnes portant ces idées ; tous ceux qui supportent cette idée et font quelque chose pour la faire avancer. Je salue et supporte ces actions, et j’irais toujours dehors rejoindre et aider les organisations qui sont dehors entrain de se battre pour de bon !