Extrême droite et écologie

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Interview du chercheur spécialiste de l’extrême droite Stéphane François parue sur le site Les Inrocks.com, datée du 10 décembre 2014 :
Le FN a annoncé lors de son dernier congrès la création du collectif “Nouvelle Ecologie”, “pour une écologie patriote”, lancé le 10 décembre à Paris. D’où vient cet intérêt du FN pour l’écologie ? Est-il nouveau ?
Stéphane François  - L’écologie apparaît dans des programmes du FN au début des années 1990, dans une optique identitaire, sous l’impulsion de Bruno Megret. Pour celui-ci, il s’agissait de donner une direction nouvelle au FN, en montrant qu’il était soucieux de préserver l’environnement. Cela apparaît lors du congrès de Nice où l’écologie est mise en avant. Toutefois, l’écologie était comprise dans un sens identitaire, car pour les responsables frontistes être écologiste, c’est vouloir préserver le milieu nécessaire à la survie de l’épanouissement des espèces vivantes. De ce fait, dans cette optique, les véritables écologistes sont ceux qui prennent en compte l’immigration comme un facteur déterminant de déséquilibre culturels et/ou ethnique.

A la suite de la scission mégrétiste, la thématique est mise de côté. Ainsi en 2010 Jean-Marie Le Pen considérait l’écologie comme un passe-temps de “bobo”. Le programme du FN de 2012 était quasiment silencieux sur cette question, contrairement à d’autres tendances de l’extrême droite, qui s’intéressent à l’écologie depuis la fin des années 1980. Dans ce programme, le parti frontiste ne défendait qu’une forme de protection de la faune et de la flore, ainsi qu’une défense des paysages. Ceci ne fait pas un discours écologiste, loin de là. De fait, l’écologie ne faisait pas partie des thèmes de ce parti, le FN étant surtout connu pour son silence sur ces thématiques, malgré la présence durant un temps de Laurent Ozon, vieux routier de l’extrême droite identitaire et écologiste de longue date, au sein des instances dirigeantes de ce parti.

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L’idée d’une “écologie patriote” me semble étrange, et assez peu cohérente du point de vu doctrinal, car l’écologie, qu’elle soit de gauche ou de droite, n’est pas franchement jacobine, bien au contraire : elle promeut les particularismes régionaux et culturels, pour ne pas parler de différentialisme. Comment faire une politique digne de ce nom dans un unique cadre national ? Et je ne vois pas en quoi le retrait de l’Europe, ou le retour au franc, serait une politique écologique. Enfin, il est paradoxal que le FN défende à la fois l’écologie et les Bonnets rouges bretons qui défendent, eux, et le droit d’utiliser des transports de marchandises forts polluant et une agriculture productiviste qui détruit la nature par la production de déchets…
On a tendance à situer l’écologie politique plutôt à gauche. Comment la défense de l’environnement s’articule-t-elle avec la vision du monde et les revendications politiques du FN, et des droites extrêmes en général ?
Lorsqu’on énonce ceci, on a tendance à oublier que l’imaginaire de l’écologie politique est plutôt conservateur : la défense du terroir, des traditions, des cycles cosmiques ou autres s’inscrit dans une approche romantique du monde. En effet, il faut garder à l’esprit qu’un grand nombre de valeurs prônées par les écologistes, ou par les décroissants, comme la parcimonie, la modestie, le sens du sacrifice, etc. relèvent des valeurs et de l’imaginaire conservateurs. L’écologie est l’héritière du romantisme plus que des Lumières. Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux vertus célébrées par les écologistes : la vie naturelle contre les vices de la vie urbaine, l’ordre harmonieux de la nature contre l’idéologie du progrès, l’esthétisme des communautés rurales ou traditionnelles contre la laideur de la société industrielle, l’enracinement contre l’atomisme, les petites communautés contre la mégalopole, etc. Ces mêmes écologistes opposent l’”organique” au “mécanique” ; le “vivant” à l’”abstrait”, etc. Chez ces auteurs, la terre apparaît comme la source primordiale de l’élément nourricier, comme l’ordonnatrice d’un mode de civilisation traditionnelle, qui aurait été mise à mal par l’avènement des sociétés industrielles. De ce fait, l’écologie serait plus de droite que de gauche. En outre, la défense du local et des traditions s’inscrit très bien dans la logique identitaire de la préservation des particularismes.

Concernant le FN, je dois bien reconnaître que son écologie reste très soft. Sa “vision du monde”, pour reprendre votre expression reste fondamentalement productiviste et libérale. On est loin du localisme et des thèmes décroissants. D’autant qu’il reste sceptique quant au réchauffement climatique, pourtant indéniable. Quant aux autres extrêmes droites, certaines d’entre elles ont développé un discours écologiste très cohérent, mâtiné de survivalisme et de décroissance, qui rejette le productivisme et l’idéologie libérale. Bref, qui ont développé une vision du monde opposée à celle du FN.
Le président du collectif “Nouvelle Ecologie”, l’économiste Philippe Murer, est un ancien membre du PS passé par Debout la République, proche de Jacques Sapir, et désormais assistant parlementaire de Marine Le Pen : comment expliquez-vous ce parcours idéologique ?
Je ne l’explique pas car je ne connais pas ce monsieur. Je constate simplement qu’il a un parcours cohérent, marqué par le souverainisme et le rejet de l’Europe.
Philippe Murer et Eric Richermoz (un étudiant en école de commerce membre du FNJ qui sera le secrétaire général du collectif) récusent le principe d’une fiscalité verte, se disent favorables à l’industrie nucléaire comme énergie de transition, et ne ferment pas la porte à l’exploitation du gaz de schiste (tout en excluant la fracturation hydraulique) : ces prises de position sont-elles critiquées par les identitaires qui militent pour une écologie radicale ?

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Manifestation contre l’exploitation du gaz de schiste à Donzère (Rhône-Alpes), le 16 avril 2011.

Ces positions effectivement vont à l’encontre des positions des écologistes, qui sont tous contre l’exploitation du gaz de schiste. Là, on est plus dans “l’écologie superficielle” (simple gestion des ressources naturelles) que dans “l’écologie profonde” (qui souhaite un changement de civilisation) des mouvements identitaires : on est plutôt dans le développement durable, sans volonté de rupture civilisationnelle. Une politique durable considérée comme une impasse par les écologistes d’extrême droite car ne rompant pas avec le modèle productiviste issu des Lumières. D’ailleurs, dans le programme de 2012, le FN se montrait sceptique vis-à-vis des énergies renouvelables.

Comme le congrès est récent, il est difficile de connaître les positions identitaires. Toutefois, au vu des propositions, il est fortement improbable qu’elles soient soutenues par ces militants. Ceci dit, elles sont soutenues par un Guillaume Faye, qui participe régulièrement aux débats de la mouvance identitaire…
A Sivens certains médias ont relevé la présence de militants d’extrême droite, du MAS (Mouvement d’action sociale) par exemple, qui essayaient d’infiltrer les zadistes. Ces groupes radicaux exercent-ils une pression sur le FN pour qu’il prenne en compte les enjeux environnementaux ?

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Quand le MAS faisait des dégustations de produits du terroir…

Il existe une extrême droite qui s’intéresse à l’écologie depuis la fin des années 1980, qui développe un discours à la fois, localiste, identitaire et anticapitaliste. Il n’est pas étonnant de les retrouver à Sivens. D’autant que certains zadistes font preuve parfois de discours confus (favorisés, il est vrai par des positions antimodernes diffusés par des théoriciens écologistes et/ou décroissants) : il s’agit donc de possibles recrues, ou plus simplement de possibles vecteurs de diffusions d’idées…

Je ne suis pas sûr qu’ils fassent pression sur le FN car, comme je l’ai dit précédemment, des thèses écologistes d’extrême droite sont formulées depuis maintenant une vingtaine d’années, au bas mot, sans avoir d’incidence sur le parti frontiste. Par contre, il serait plus logique de penser que le FN cherche à élargir sa base électorale avec ces thèmes, mais sans trop les approfondir pour ne pas faire fuir son électorat classique, souvent hostile au parti écologiste et à ses thèses (les écologistes sont souvent traités de “pastèque” -vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur- ou d’ “ayatollah”).